Serti par un désert ocre, le lac Nasser cache de merveilleux petits temples que l’on aborde au gré d’une croisière. Moins connus que ceux de Karnak ou de Louxor, Ils offrent un émerveillement inattendu.

Guide pratique en page 117.

A Assouan, les longues silhouettes nubiennes à la peau noire flottent dans leurs amples galabiyas bleues. Les regards sont doux et bienveillants. C’est une autre partie de l’Egypte, fort différente du Caire et de ses pyramides et même de Louxor, située à quelque 200 km au nord. Assouan évoque le fameux barrage, £uvre gigantesque entreprise dès le début des années 1960 sur ordre du président Nasser pour régulariser les indomptables crues du Nil. Au-delà de cette barrière artificielle s’étend la Nubie. Région désertique, mais chargée d’histoire, qui franchit les frontières égyptiennes vers le Soudan. Assouan, ancienne route commerciale entre l’Egypte et le reste de l’Afrique, servit aussi de pôle stratégique depuis l’Ancien Empire pour les incursions militaires vers les pays voisins. Aujourd’hui, c’est d’ici que partent les croisières sur le lac Nasser. Sereine, mystérieuse et magnifique, la Basse Nubie dévoile avec nonchalance des trésors arrachés des flots.

Une terre, un peuple

Mais la Nubie, littéralement, le pays de l’or, c’est d’abord l’histoire d’un peuple établi à cheval entre l’actuelle Haute Egypte et le Soudan. Une histoire qui les réunit au XXe siècle lorsque les eaux lâchées par le barrage engloutissent de nombreux villages, ainsi que les temples de la vallée. Aujourd’hui arabisés, ces populations ont été réinstallées dans les environs d’Assouan, à Kom Ombo exactement, mais aussi à l’est du pays et bien sûr à Khartoum, la soudanaise. Les Nubiens étaient autrefois organisés selon un modèle de société matrilinéaire. Il en subsiste certaines coutumes. Après le mariage, ce sont par exemple les hommes qui vont vivre dans la famille de leur épouse, ce qui n’est pas habituel dans les sociétés musulmanes. S’ils parlent l’arabe couramment, les Nubiens n’ont pas pour autant perdu l’usage de leur langue. Ils ont également conservé leur habitat traditionnel, des maisons souvent blanchies à la chaux et décorées de motifs colorés représentant leur vie quotidienne.

De petits mirages

Moyen privilégié pour atteindre les splendides petits temples nubiens : le bateau. A moins de préparer une caravane digne des expéditions d’autrefois et de partir à l’assaut du désert ! Seuls cinq ou six bateaux de croisière de taille modeste parcourent le lac, ce qui permet de conserver cette ambiance intimiste et encore préservée du tourisme de masse. Un bonheur que l’on savoure davantage en abordant ces sites situés en plein désert. Cet environnement leur confère une atmosphère très différente des non moins magnifiques temples de Louxor ou Karnak. Ici, point de ville, souk ou autre distraction. On vient uniquement pour découvrir ces petits mirages inattendus. Des merveilles sauvées des flots grâce à un projet titanesque. Début des années 1960, les impressionnants travaux de construction du haut barrage ordonnés par Nasser menacent les quelque 24 temples antiques situés dans le périmètre du futur lac artificiel. La célèbre égyptologue française Christiane Desroches-Noblecourt use de toute sa diplomatie (le conflit autour du canal de Suez compliquant les choses) et de sa persévérance pour convaincre la communauté internationale de se mobiliser pour sauver ces précieux témoins de l’époque pharaonique. Acquise à sa cause, l’Unesco débute les travaux en 1965. Découpés et numérotés, les temples sont alors déplacés pièce par pièce depuis leur endroit originel et reconstruits à l’identique un peu plus loin, sur les rives du nouveau lac Nasser. Le sauvetage le plus spectaculaire fut celui des temples d’Abou Simbel, dont certaines pièces pesaient plus de 20 tonnes. Véritable puzzle géant, ils furent remontés en moins de trois ans et inaugurés, à la grande satisfaction de Christiane Desroches-Noblecourt, en 1968, quelques années avant la fin des travaux du barrage.

Restaient alors bien d’autres temples, de taille certes plus modeste, à sauver des eaux du lac. Leurs noms ont des résonances exotiques : Kalabsha, Beit el-Wali, Wadi el-Seboua, Amada… Sans oublier le célèbre temple de Philae voué au culte d’Isis. Un véritable chef-d’£uvre datant essentiellement des époques ptolémaïques et romaines. Originellement construit sur l’île de Biggeh, plus au sud, dont la légende prétend qu’elle abritait le corps d’Osiris auquel Isis rendit la vie avant d’enfanter Horus. Philae fut donc longtemps un lieu de pèlerinage dédié aux mystères de la vie et de la mort. Jusqu’au début des années 1980, on ne pouvait admirer les colonnes submergées du temple qu’en les approchant en barque. Aujourd’hui réédifiées sur la petite île d’Agilka, on y accède toujours en bateau, mais le temple se visite les pieds au sec.

Philae témoigne des dynasties successives gravées à jamais dans la pierre, tel un héritage des différentes occupations dans la région, mais aussi de l’assimilation des cultes locaux par les envahisseurs désireux de se faire accepter par les populations locales. La porte d’Hadrien côtoie le petit temple d’Hathor, déesse de l’amour et de la guerre, représentée sous l’aspect d’une vache, ainsi que le kiosque de Trajan dans lequel on peut admirer une fresque où l’empereur romain brûle de l’encens devant Osiris et Isis.

A l’ouest du barrage, le temple de Kalabsha, édifié au Ier siècle de notre ère par l’empereur Auguste sur les ruines de celui d’Aménophis III, est quant à lui dédié à la fertilité. On remarquera le petit kiosque de Kertasi aux colonnes hathoriques, ainsi que le petit temple de Beit el-Wali datant de l’époque de Ramsès II. Il conserve des scènes de batailles et de conquêtes dans l’ancien pays de Kouch, situé au sud de la deuxième cataracte du Nil. On peut y admirer les différentes denrées rapportées d’Afrique, tels l’encens, l’ivoire, des peaux de léopards ou de gazelles. Insolite, ce site renferme également des stèles sur lesquelles sont gravés des dessins d’animaux préhistoriques.

Ramsès, dieu vivant

En quittant Kalabasha, le paysage se fait carrément majestueux. Le bleu du lac tranche avec l’aridité du désert où aucune vie ne semble frémir. Le choc entre l’aquatique et le minéral est total. Une association qui incite à la sérénité et à l’apaisement. Certes, il faut apprécier le désert, mais les tons ocre, rougeoyant sous les caresses des rayons du coucher du soleil, sont sans pareils. Le dégradé qu’offre la roche se décline tel un tableau vivant. Petit à petit, on a l’impression de se diriger vers le bout du monde. De vivre des moments suspendus dans un lieu où l’homme et la vie se font rares. Seuls des aigles tournoient dans le ciel immaculé. A certains moments, le lac est si large et l’horizon si dégagé, que l’on se croirait même en pleine mer.

Ces paysages désertiques et intenses ont clairement inspiré Ramsès II, qui dans sa folie des grandeurs y puisa son énergie créatrice pour faire édifier des temples à sa gloire. Plus on s’éloigne de Louxor, plus sa déification s’exprime à l’abri des regards des prêtres de la capitale thébaine. Le temple de Wadi el-Seboua en est un exemple. On y accède depuis le bateau par petites barques. Nos pas s’enfoncent dans ce sable doré et on imagine alors ce que furent les temples pharaoniques avant d’être envahis par nos civilisations modernes. Seuls quelques nomades proposent une balade en chameau entre les trois petits temples, immuables sous ce soleil cuisant. Une majestueuse allée de statues de Ramsès, Horus et Amon-Rê û dont certaines au corps de sphinx û précède le temple. Ses parois sont recouvertes de représentations des fils et filles du pharaon. On lui en prête une centaine ! Comme dans beaucoup de temples, certaines statues ont été martelées par les Arabes, mais aussi les Coptes, désireux d’éliminer les cultes païens.

Les temples de Dakka et de Maharraka ont aussi été regroupés sur le site de Wadi el-Seboua. Le premier, dédié à Thot, patron des scribes et dieu de la sagesse, fut construit par le roi éthiopien Arkamoun sur les ruines d’un ancien temple d’Hatshepsout. Il fut par la suite agrandi par les Ptolémées et les Romains. L’endroit offre l’un des plus beaux panoramas sur le lac et le désert nubien. Ici, le temps peut s’arrêter durant quelques instants.

Patrimoine de l’humanité

Près d’une quarantaine de kilomètres plus au sud, Amada est le plus ancien temple connu en Nubie. Dédié à Amon-Rê et bâti par Touthmôsis III et Aménophis II, il renferme des bas-reliefs qui dévoilent encore un peu de leurs couleurs. Ils sont parmi les mieux conservés de la région. On y observe des inscriptions en arabe, puisque Amada servit aussi de station de repos sur la route des pèlerinages vers La Mecque. Un peu plus loin, le petit temple de Derr abrite quatre statues de Ramsès dont les bustes ont été sectionnés. On peut aussi y admirer des scènes de pêche traditionnelle sur le Nil, avec des représentations de barques identiques à celles employées aujourd’hui !

Dernière étape avant Abou Simbel, les ruines de la forteresse de Qasr Ibrim. Ancienne frontière avec le Soudan, elle abrita sept temples sous les Romains. Devenue chrétienne au Xe siècle, on y construisit une église, puis une mosquée lorsqu’elle fut conquise par les musulmans au XVIe siècle. Les archéologues cherchent encore à en extraire ses mystères.

La croisière s’achève en beauté devant l’impressionnant et majestueux site d’Abou Simbel, à contempler impérativement au lever de l’astre, lorsque la pierre adopte des tons rose flamboyant. Parachèvement de l’£uvre de Ramsès II et de sa déification, il s’agit de l’un des plus beaux sites pharaoniques. Il fallut le découper en 1 042 blocs pour le sauver des eaux. Un travail de titan et de précision fut nécessaire pour respecter l’orientation d’origine qui permet aux rayons du soleil d’atteindre deux fois par an les statues situées au fond du temple. Ainsi, les dieux Ptah, Amon et Rê, sont censés transmettre leur puissance divine au roi Ramsès. C’est lors du sauvetage des temples de Nubie que naquit l’idée d’élire certains lieux comme patrimoine de l’humanité. Après avoir contemplé ces merveilles, on comprend pourquoi !

Texte et photos : Sandra Evrard

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