Pour la première fois, le couturier Karl Lagerfeld se dévoile dans un documentaire poétique. Envoûté par son sujet, le réalisateur Rodolphe Marconi nous livre les clés d’une personnalité hors norme.

L’homme fascine. Couturier de génie (Chanel, Fendi et sa marque en nom propre), photographe virtuose, Karl Lagerfeld est aussi un phénomène médiatique. Là où d’autres se cachent, lui parade. Ses bagues, ses mitaines, son éventail et ses petites phrases assassines ont fait le tour du monde.

Mais qui se cache réellement derrière les lunettes noires et le profil svelte ? C’est ce qu’a voulu savoir le jeune réalisateur français Rodolphe Marconi ( Le Dernier Jour, 2004). Après moult tentatives, il a fini par convaincre le maître de lui ouvrir les portes de son royaume. Trois ans plus tard (dont deux de tournage !), son documentaire Lagerfeld confidentiel sort enfin sur les écrans français (il n’y a pas encore de date prévue pour la sortie en Belgique).

Un portrait intimiste d’autant plus précieux qu’il n’existait à ce jour aucune biographie officielle de l’insaisissable esthète allemand. Ce qui ne veut pas dire que rien n’a jamais été écrit sur le personnage. Deux ouvrages récents écornent ainsi l’image dorée du couturier. Le premier, The Beautiful Fall (disponible uniquement en anglais) est dû à une ancienne journaliste de Vogue, Alicia Drake ; le second, Merci Karl !, à Claire Germouty. Comme le relevait avec à-propos Pierre Assouline dans Le Monde 2 du 22 septembre dernier, les menus crimes de lèse-majesté – avoir évoqué son homosexualité et son âge (74 ans) pour le premier, avoir levé le voile sur le régime de faveur instauré par KL pour le second – qui émaillent ces deux livres ont suffi à mettre les nerfs du marquis de la mode en pelote…

Rodolphe Marconi a la dent moins dure. Jouissant d’une liberté totale, sa caméra a consigné les moindres faits et gestes du sphinx. A côté des paillettes, le spectateur découvre ainsi les moments de solitude, de douleur et de lecture. Le génie de la mode et de la communication se double d’un intellectuel insomniaque avide de littérature, de cinéma et d’art contemporain.

Une aventure humaine et artistique de longue haleine dont nous parle Rodophe Marconi. En toute subjectivité…

Weekend Le Vif/L’Express : Comment avez-vous fait pour convaincre Karl Lagerfeld de se laisser filmer ?

Rodolphe Marconi : J’ai contacté plusieurs fois son attachée de presse pour pouvoir le rencontrer. Chaque fois, j’essuyais un refus. Pendant trois mois, je l’ai poursuivie. J’ai finalement décroché un rendez-vous. Karl avait vu un de mes films entre-temps. Apparemment, il lui avait plu. Le courant est tout de suite très bien passé entre nous. J’étais venu pour déjeuner et je suis finalement resté tout l’après-midi. En plus, je suis reparti avec sa veste. Il me l’a offerte comme ça…

Qu’est-ce qui vous a la plus surpris chez lui ?

Sa fidélité et sa gentillesse. Quand il dit oui, il tient parole jusqu’au bout. Il m’a ainsi supporté pendant deux ans sans remettre une seule fois en question son accord. Ce qui m’a aussi déconcerté, c’est son intransigeance. Tout doit aller vite car il ne veut pas perdre de temps ou s’encombrer inutilement. Ce qui ne veut pas dire que ce soit un dictateur. Je ne l’ai jamais vu engueuler quelqu’un. Il est toujours calme et drôle. Simplement, il faut que les choses avancent.

Il est donc moins mordant qu’il n’en a l’air…

Je pensais également que Karl était quelqu’un de difficile, voire d’odieux. En réalité, c’est une personne très chaleureuse et même un peu enfantine par moment. Il est très blagueur mais toujours avec élégance.

Comment expliquez-vous ce décalage entre l’homme public et l’homme privé ?

Sans doute en partie parce qu’il ne mâche pas ses mots dans les interviews. Il bouscule les gens avec des propos percutants. Il préfère ainsi dire qu’on en bave dans son métier plutôt que de faire croire comme les acteurs de cinéma que tout est rose sur les tournages, ce qui est faux. Et puis, il a suffisamment de détachement pour préférer passer pour un antipathique et ainsi éviter les parasites…

Est-il aussi charismatique qu’on le dit ?

Oui. A la seconde même où il vous dit bonjour, vous vous sentez à l’aise, en sécurité. Au sens propre et figuré. Je peux en témoigner. J’ai une peur bleue de l’avion. Eh bien, à ses côtés, j’avais l’impression qu’il ne pouvait rien m’arriver. Mais il faut jouer franc-jeu avec lui sinon il est capable de vous mépriser royalement.

L’homme est plutôt pudique. Comment avez-vous fait pour lui soutirer des confidences ?

J’y allais pas à pas. Il me respectait tellement que je ne me voyais pas l’agresser. Je n’abordais les questions personnelles, comme la sexualité, que quand j’étais sûr que le moment s’y prêtait, et encore en prenant des gants. Je savais très bien que si je commettais un faux pas, tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. J’ai eu le malheur de lui faire une fois la gueule parce qu’il n’était pas intervenu en ma faveur pour que je puisse filmer un shooting pour un magazine étranger. En réaction, il ne m’a plus adressé la parole pendant une semaine… Je n’ai plus recommencé.

Certains lieux vous ont-ils été interdits ?

Non. Je suis même allé dans son appartement à Monaco. Le seul endroit que je n’ai pas vu, faute de temps, c’est un château qu’il possède. Il ne m’a jamais interdit de filmer quoi que ce soit.

Il doit bien avoir un défaut ?

Peut-être le sentiment d’injustice que vous laissent certaines de ses décisions. Mais avec le recul, on se rend compte qu’il avait raison. Mais il réfléchit tellement vite qu’on est parfois un peu en décalage et qu’il faut un peu de temps pour comprendre le sens de ses actes. Sinon, je pourrais vous dire qu’il a un ego surdimensionné. Mais c’est le cas de toute personne célèbre ou riche. Et dans son cas, ça ne l’empêche pas de plaisanter de lui-même.

Il tient beaucoup à ses moments de solitude. Est-ce pour autant un solitaire ?

Non, il a des amis très proches. Notamment Caroline de Monaco, qu’il a au téléphone presque tous les jours…

Sa passion pour les livres n’est pas une légende…

Il achète des dizaines de bouquins par semaine. Il aime autant les livres comme objets que la lecture. Mais ce n’est pas un fétichiste pour autant. Il donne facilement, il aime faire partager ses découvertes, simplement il faut que tout passe entre ses mains.

Internet : www.lagerfeldconfidentiel.com

Propos recueillis par Laurent Raphaël

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