Juste avant son départ pour le tournage du prochain film de Claude Lelouch, Salaud, on t’aime, la Belge Isabelle De Hertogh revient sur le succès d’Hasta la Vista, qui l’a révélée, parle du temps qui passe, de son métier, de la vie.

Ceux qui ont vu Hasta la Vista ne peuvent l’oublier. C’est le genre de film qui marque parce qu’il prend à la gorge et aux zygomatiques. Ils ne peuvent non plus oublier cette actrice, Isabelle De Hertogh, qui y crève l’écran. Pas parce qu’elle est ronde, non, mais parce que cette fille aux formes et au sourire généreux est capable de cueillir notre émotion à notre insu, au détour d’un gros plan, d’un silence éloquent ou d’une réplique maîtrisée. Isabelle De Hertogh, cette  » petite  » Belge qui-monte-qui-monte-qui-monte tourne en ce moment même avec Claude Lelouch. Avant de partir sur ce tournage en Haute-Savoie, cet été, elle nous a fait l’honneur d’un rendez-vous, début juin, à Uccle, sur une terrasse paisible et ombragée.

Isabelle revient d’une semaine passée à Cannes où elle présidait le jury du festival Entr’2 Marches, rencontre cinéma autour du handicap, en marge de la grand-messe du septième art. Depuis son magnifique rôle dans Hasta la Vista, on la sacralise un peu, tout comme les autres acteurs du film et le réalisateur Geoffrey Enthoven, devenu en quelque sorte porte-parole de la cause.  » C’était intense, le festival, explique-t-elle. Il fallait assumer le fait de passer trois jours à voir des films assez lourds, où forcément, puisque je suis dans le jury, je dois m’impliquer émotionnellement… Mais c’est important qu’on se passe le flambeau, c’est comme ça qu’on peut soutenir ce genre de projet à vocation sociale. Parce que ce n’est pas quelque chose que tu peux faire chaque année, tu peux difficilement choisir de te cantonner à cela. Moi je suis d’abord comédienne, j’ai d’autres projets qui n’ont rien à voir « , précise-t-elle.

HASTA ET CETERA

Le succès d’Hasta la Vista est tel que le film continue à vivre de public en public, de pays en pays, depuis plus de deux ans maintenant. Le 7 juin dernier avait d’ailleurs lieu l’avant-première londonienne du film (Come As You Are). Ignoré en Belgique francophone à sa sortie (l’effet Intouchables, sans doute), ce road-movie raconte l’histoire de trois amis (un paralysé, un aveugle, un malade du cancer) qui, ne voulant pas mourir puceaux, décident de se faire la malle ensemble dans un bordel du sud de l’Espagne où les prostituées acceptent de travailler pour des  » gens comme eux « . Accroché au destin de ces trois âmes en peine, celui de Claude (Isabelle De Hertogh), l’infirmière qu’ils décident d’embaucher secrètement pour les emmener dans leur virée. La force du film, mise à part son originalité thématique (la sexualité et le handicap), c’est le traitement subtil, émouvant et tellement drôle que Geoffroy Enthoven a réussi à en faire.  » Je suis certaine que le public a besoin de rire tout en ayant un propos fort. Comme Geoffroy le dit : « l’humour, c’est la confiture qui fait passer le propos »… Et c’est vrai : c’est tellement lourd et difficile ! Mais il faut arriver à parler des choses difficiles aussi. En tant que comédienne, je me vois comme un canal de communication. Le film de Claude Lelouch que je suis en train de tourner parle plus des relations au sein de la famille, de la vie et du temps qui passe. Ce film résonne aussi en moi parce qu’à 40 ans, c’est un peu l’époque des bilans entre le passé et le grand avenir qu’on a encore devant soi. Depuis que j’ai perdu mon papa, il y a quelques années, j’y pense souvent : la vie avance très vite. « 

Les propos sont graves, engagés, révèlent la sensibilité de l’actrice, bien que l’être soit plutôt solaire, léger et enjoué ! Une sensibilité à plusieurs facettes que le grand Claude Lelouch a décidé d’apprivoiser pour jouer dans son prochain film Salaud, on t’aime !, aux côtés de Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Sandrine Bonnaire et Rufus.  » J’ai encore parfois du mal à y croire, avoue-t-elle. Claude était venu présenter D’un film à l’autre au Festival de Montréal. Il avait un peu de temps à tuer avant sa présentation et est entré dans une salle de cinéma, au hasard. Et c’était Hasta. Rien n’aurait pu se faire s’il s’était assis dans la pièce d’à côté. Ma vie aurait pris un autre tournant, sûrement aussi bien, mais autre.  » Parce que Claude Lelouch est tellement secoué par le film qu’en quelques heures, il décide de prendre en charge sa distribution en France et à l’étranger, grâce à sa société de production Les Films 13. Les contacts se prennent, une tournée promo s’organise, le charme agit.  » Un jour au Festival de l’Alpe d’Huez, il est venu me trouver pour me dire, devant mes amis d’Hasta, qu’il m’avait écrit un rôle… J’ai cru qu’il me faisait une blague ! C’est troublant parce que je me suis rendu compte qu’en décembre 1972, le mois de ma naissance, il a tourné L’Aventure c’est l’aventure, avec Johnny Hallyday. Et quarante ans plus tard, c’est moi qui joue dans son film avec Johnny. Pour Claude, il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous.  »

ENTRE FICTION ET RÉALITÉ

Une rencontre extraordinaire, enrichissante, mais exigeante aussi. Le réalisateur a une manière très particulière de diriger ses acteurs, laissant la part belle à l’improvisation, l’insouciance, persuadé que c’est dans la surprise et l’instantané incontrôlé qu’on vit de grands moments, dans la vie comme devant la caméra.  » Il est très exigeant envers lui-même, très généreux dans l’effort qu’il fournit et attend la même chose de ses comédiens. Avec lui, tu n’es pas un acteur, tu es Isabelle, et c’est pour cela qu’il t’a choisie, parce qu’il a quelque chose à te faire vivre. C’est très valorisant, et très prenant à la fois. Le défi, c’est de pouvoir rester centrée pour revenir les pieds sur terre quand il le faut. Si je n’étais pas capable de cela, je ne ferais probablement pas ce métier, ce serait trop destructeur ou déstabilisant. Ça l’a été, mais maintenant je sais équilibrer la balance. Parce que la vie, c’est encore autre chose, c’est le quotidien et c’est primordial.  »

Dans la vie justement, Isabelle de Hertogh aime profiter de sa complicité avec  » son homme « , dans leur maison campagnarde du Brabant wallon.  » Si j’ai passé plusieurs semaines sur un tournage, j’ai besoin d’un moment d’adaptation quand je reviens chez moi. C’est un bonheur de rentrer, de revoir mon homme, mes chats, la campagne, d’écouter les hirondelles et les peupliers dans le vent… C’est ce dont je profite le plus. Mais il faut se réhabituer « , confie-t-elle.

L’EFFET PAPILLON

Si le tournage de Salaud, on t’aime ! est certainement l’une des expériences les plus marquantes de ces derniers mois pour l’actrice, il faut également pointer son rôle dans le dernier opus de Stefan Liberski, Baby Balloon qui sortira en novembre prochain en salles. Elle y incarne une ogresse hystérique.  » Avant, on me proposait des personnages comme la maman, la copine, l’infirmière… C’est dû à ma bonhomie, à mon sourire, et on n’allait pas chercher le côté sombre en moi que j’adore pourtant jouer ! Le film parle du malheur de gens qui sont vides intérieurement malgré le fait qu’ils sont pleins de bouffe et de consommation. Stefan m’a demandé d’aller jusqu’au bout de cette idée d’être vide tout en étant pleine, ce que je ne suis pas dans la vie… J’espère être très loin de ce personnage !  » A ces deux rôles majeurs, on peut encore ajouter le tournage de Témoin muet dans la série Agatha Christie pour France 2 (diffusion en octobre prochain), celui d’un court-métrage du Belge Adrien François, des capsules pour la télé, un projet de scénario qui se concrétise, l’écriture d’une pièce de théâtre, des envies de collaboration avec Jean-Luc Couchard (Dikkenek)… Une foule de choses qui s’annoncent.  » Parfois je ne comprends pas comment cela se fait ! C’est vrai que j’ai beaucoup travaillé, et tout d’un coup, la vie fait que ça se débloque. Je crois que quand tu diffuses une énergie positive, tu attires, tu captes et tu entraînes quelque chose de positif. Si tu te donnes l’opportunité de croire que les choses sont possibles, tu les rends possibles, philosophe Isabelle. Quand tu vas mal, tu le ressens, alors que quand tu vas bien tu n’y penses pas, et c’est la vie. Il ne faut pas trop se poser de question quand tout va bien, juste continuer à vivre, avec beaucoup d’envie et un peu de chance.  » Et c’est plutôt bien parti pour la Brabançonne : un talent fou, un regard plein de malice, une vraie tendresse pour les gens, des rondeurs qui font du bien tant elles sont assumées, une confiance inébranlable en la vie, on dit oui !

PAR STÉPHANIE GROSJEAN / PHOTOS : JULIEN POHL

 » IL NE FAUT PAS TROP SE POSER DE QUESTION QUAND TOUT VA BIEN, JUSTE CONTINUER À VIVRE, AVEC BEAUCOUP D’ENVIE ET UN PEU DE CHANCE.  »

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