Premiers beaux jours et désirs d’escapade vivifiante et 100 % nature. D’Amiens à la baie de Somme, Weekend vous entraîne en un tour du monde encore préservé, en 80 heures, sur les pas de Jules Verne, sa ville d’adoption jusqu’à sa mort en 1905.

Inutile de relire tout Jules Verne avant de partir passer ces heures entre rêve et réalité, entre terre et mer, d’Amiens à la baie de Somme : quatre-vingts heures, c’est le moins que l’on puisse faire pour honorer la mémoire du plus célèbre conseiller municipal qu’ait connu Amiens, la ville d’adoption où il vécut jusqu’à sa mort, en 1905. Pour vous replongez dans son univers, prenez avec vous son fameux  » Tour du monde en 80 jours « , pour les soirées au coin du feu, en même temps qu’une bonne paire de jumelles, un guide d’identification des oiseaux, un carnet de notes, une carte IGN, un horaire des marées, des vêtements chauds, des bottes et vos lunettes de soleil. Vous allez avoir besoin de tout ça au long de ce grand week-end dans cet étrange pays, où la terre joue avec le ciel et l’eau pour recréer des espaces de vie protégés aux couleurs toujours changeantes. Une arrivée sur Amiens un vendredi en fin de matinée est l’idéal pour prendre le pouls d’une ville qui s’anime aux premiers rayons du soleil. C’est la bonne heure pour découvrir les tonalités exubérantes des petites maisons du quartier Saint-Leu, repaire des tisserands, des teinturiers et des tanneurs au Moyen Age, traversé par les bras de la Somme. Jetez un £il sur les devantures des boutiques qui lui donnent son allure de village préservé, avant d’aller prendre un verre et une part de flamiche aux poireaux en terrasse, sur les quais. L’après-midi, difficile de résister à l’attrait d’une balade en barque, au milieu des hortillonnages, ces  » jardins flottants  » situés au c£ur d’Amiens. Cultivées depuis le Moyen Age, ces parcelles de terre sont entrecoupées de  » rieux « , canaux navigables uniquement en barques à fond plat et à l’avant incliné, afin d’en faciliter l’accostage sans détériorer les berges. Ce sont elles qui servaient autrefois au transport de ces légumes qui donnent goût et couleurs aux plats picards et continuent d’être vendus le samedi matin, place Parmentier. Arrêtez-vous en fin de journée au Marott Street, bar de convivialité, pour reprendre le nom que lui ont donné, sans malice, ses propriétaires, dans un cadre réalisé, en 1892, par l’architecte Emile Riquier et inspiré par Gustave Eiffel, qui vous fera rêver à d’autres voyages extraordinaires. Vos pas vous ramèneront toujours à la cathédrale Notre-Dame, chef-d’£uvre de l’architecture gothique classique, qui, depuis sa restauration, offre, une fois la nuit et l’été venus, le plus magique des spectacles : la statuaire des portails, autrefois polychromes, retrouve ses couleurs vives du xiiie siècle, grâce aux projections lumineuses qui vous invitent à faire travailler votre imagination, voyage dans le temps que Jules Verne n’aurait pas imaginé, lui qui avait pourtant un jour rêvé sa ville au xxie siècle.

Entre mer et remparts

Profitez de la matinée du samedi pour faire le marché avant de prendre, plutôt que l’autoroute à la sortie d’Amiens, la D3 qui longe la Somme, en direction de la côte. Entourée de fortifications, la cité médiévale de Saint-Valery domine littéralement l’estuaire (ou la baie, comme on dit ici) de la Somme. Entre mer et remparts, de grandes villas anglo-normandes jouent les belles indifférentes face aux hordes d’envahisseurs qui n’arrivent que difficilement, certains week-ends, à lui faire perdre son flegme. Il faut dire qu’elle en a vu passer du monde, et du beau. Guillaume le Conquérant est parti d’ici afin de conquérir l’Angleterre, Jeanne d’Arc est passée sous les portes de la ville haute, en route vers son destin… A chacun sa façon de savourer l’instant présent. Quel souvenir ramènerez-vous de votre balade ? Celui du gâteau battu acheté à la boulangerie Lehot, face à l’église (une brioche au bon goût de beurre frais), celui des rues fleuries, du panorama exceptionnel sur la baie de Somme ? Ou bien la découverte de l’herbarium des remparts, un jardin à nul autre pareil, fou et sage à la fois. Nicole Quilliot est à l’origine de la restauration de ce paradis caché qui appartenait autrefois aux religieuses de l’hôpital. On y trouvait de quoi guérir, nourrir et fleurir les malades. Et l’on trouve toujours, en cherchant bien. Combien de plantes médicinales, ornementales ou tinctoriales se cachent là sur les remparts de la ville ? Difficile, même pour les guides bénévoles qui vous aideront dans votre recherche, de le savoir vraiment…

La ville basse, c’est un autre monde, celui qui cultive la nostalgie des grands voiliers alimentant l’entrepôt à sel, des pêcheurs à la baille ou à pied pavoisant la ville de leurs filets lors des fêtes de la mer. Aujourd’hui, ce sont les bateaux de plaisance qui sont amarrés tout au long du chenal, et les quais sont occupés par les étals du marché le dimanche matin. Les petites maisons de pêcheurs du Courtgain, serrées l’une contre l’autre, comme pour mieux se protéger, grimpent derrière le port. Les amoureux des chambres d’hôtes peuvent trouver leur bonheur, dans des genres bien différents. Face à la place du marché, Sophie et Patrick Deloison, antiquaires et décorateurs, ont créé les leurs dans une maison attenante à la boutique, spécialisée dans les oiseaux en bois : depuis longtemps, la chasse au gibier d’eau est une tradition populaire dans la région, et ces oiseaux de bois en sont un témoignage artisanal. Appelés  » leurres  » ou  » blettes  » en Picardie et posés sur l’eau pour attirer leurs congénères sauvages, ces oiseaux sont évidemment très recherchés par les amateurs. Tout cela, vous l’apprendrez si vous participez, le lendemain matin, à une traversée de la baie en compagnie d’un guide, sage précaution si vous venez pour la première fois et n’avez pas l’habitude des marées (ne jamais oublier : il faut quitter la baie trois heures et demie avant la pleine mer !) Une randonnée découverte d’un environnement particulièrement riche, tant sur le plan de la flore (plantes salées amies ou ennemies de la baie, ce chef-d’£uvre en péril qu’elles contribuent à combler peu à peu) que de la faune (oiseaux et invertébrés marins). Mieux vaut être bien équipé à l’approche des vasières, domaine de la salicorne, d’un beau vert foncé en début de saison, qui sera récoltée plus tard par les hommes et dégustée en salade ou comme condiment, à condition que les oiseaux n’aient pas pris plus que leur part en hiver. Quant aux moutons de pré-salé, qui paissent en toute tranquillité sur la partie haute de l’estuaire, ils vous seront d’une compagnie très reposante.

Arrivé au Crotoy, qui fut longtemps l’un des plus importants ports des côtes de la Manche, vous avez le temps de faire un tour au Bazar de l’Hôtel de Ville, boutique plaisante restée faussement dans son jus, et de repartir sur les pas de Jules Verne, qui passa là ses vacances, avant de s’installer à La Solitude, où il travaillait  » comme une bête de Somme « , pour reprendre sa formule, déjà pas vraiment nouvelle, mais, sachez-le, sa maison ne se visite pas. Pour vous consoler et savourer le temps qui passe, un lieu idéal pour déjeuner, boire un verre ou prolonger votre séjour, s’il reste des chambres disponibles : l’hôtel-restaurant-salon de thé Les Tourelles, haute demeure en briques du début du xxe siècle, flanquée de tourelles, ayant appartenu à un ami du parfumeur Pierre Guerlain. Un endroit rare, où retrouver l’esprit des vacances en famille d’autrefois, ou seulement pour y déguster une sole ou goûter à l’agneau du pays, nourri d’herbes salées par la marée haute.

Pour rentrer sur Saint-Valery-sur-Somme, vous pouvez louer un vélo, moyen de locomotion très tendance et même le faire monter dans un vieux train à vapeur qui ne manque vraiment pas de panache. Reprenant, non sans ironie, la succession du tortillard qui conduisait les touristes vers les plages de la côte picarde au siècle précédent, il permet aux visiteurs de découvrir une région verdoyante, riche en marais, cultures et  » mollières « , les prés-salés en picard, entre Le Crotoy, Noyelles-sur-Mer, Saint-Valery et Cayeux. Composé d’authentiques voitures en bois de la Belle Epoque, tractées par de vaillantes locomotives à vapeur ou diesel, ce petit train offre un autre point de vue sur la baie de Somme.

L’évasion, tout simplement

S’il y a trop de monde sur la digue à Saint-Valery, évadez-vous selon l’humeur du moment. Le printemps est la saison idéale pour recommencer à courir les brocantes et l’occasion de découvrir ici et là un nouveau village, à défaut de l’objet de ses rêves. C’est aussi le moment d’explorer la flore sauvage et colorée du Hâble d’Ault, à quelques encablures du port de pêche du Hourdel, qui marque l’entrée de la baie de Somme, au sud de Saint-Valery. Si l’on vous propose quelques sauterelles à déguster avec un verre de blanc, ne soyez pas surpris, c’est le nom local des crevettes grises et la spécialité de certains pêcheurs, en complément des traditionnels poissons plats (limandes, soles, turbots). Et si la mer commence à descendre, ne croyez pas être sujet à un mirage en découvrant quelques phoques pointant leur museau, avant de venir s’étendre sur les bancs de sable : tout comme les oiseaux, ils sont de nouveau chez eux ici. Votre promenade en baie de Somme ne serait pas complète sans une visite de Cayeux-sur-Mer, célèbre tout autant pour ses cailloux que pour son chemin de planches (l’un n’allant pas sans l’autre), et celle du secteur sauvegardé de Mers-les-Bains, avec ses maisons aux façades boisées colorées, que les amoureux du détail apprécieront. Passez la fin de la journée au sud de la côte picarde et profitez des derniers rayons du soleil sur les falaises et à fleur d’eau… Le lundi matin est un moment essentiel, pour qui veut terminer en beauté ce voyage hors du temps de quatre-vingts heures. L’important est de se lever tôt, de faire une promenade tonique le long de la digue, salué par les seuls habitués. C’est aussi l’occasion, si le temps (celui qu’il fait et celui qui vous reste) le permet, de s’enivrer d’embruns et d’iode, bien calé à bord d’un char à voile. Après quelques minutes d’explications, on peut vivre de vraies et belles sensations : la voile bordée, c’est grisant et revigorant. A moins que vous ne préfériez monter dans un ultramotorisé de loisirs (ULM) et découvrir la baie d’en haut : sauvage, lumineuse et unique !

Une nature belle et fragile

En famille, profitez-en pour faire découvrir aux enfants la nidification au parc ornithologique du Marquenterre, lieu de prédilection pour de nombreux oiseaux migrateurs venus de toute l’Europe.  » Moitié terre, moitié eau « , comme son nom le laisse entendre, il a su préserver toute la richesse et la fragilité de la faune et de la flore du littoral picard… Un littoral considéré comme l’un des plus grands sites ornithologiques de France, avec plus de 360 espèces d’oiseaux, dont un tiers régulièrement nicheuses. Au printemps, la nature s’éveille vite en ces terres. C’est le temps des parades nuptiales et de la reproduction. A ne pas manquer, des espèces rares, comme la spatule blanche ou l’avocette, élégant oiseau blanc et noir au bec recourbé vers le ciel. Vos enfants adoreront lorsque le guide leur racontera la vie des oies cendrées, en leur faisant observer la canne couveuse ou les oisons qui traversent les chemins.

Vous pourrez ensuite faire avec eux une balade à cheval, le site étant le berceau de la race Henson, née de croisements entre des chevaux de selle français et des poneys norvégiens. Calme, endurant, remarquablement équilibré, le Henson est d’une sociabilité rare. Vous pourrez même déjeuner dans le parc, mais, avant de quitter la Picardie, pourquoi ne profiteriez-vous pas de l’occasion pour faire votre premier pique-nique à la plage de la Maye (en revenant du Marquenterre, au nord du Crotoy), en dégustant quelques bulots et crevettes grises sur les galets réchauffés par les premiers rayons du soleil. Parmi toutes les images que vous ramènerez de ce grand week-end printanier, celle-ci devrait faire partie des instants exceptionnels que vous n’oublierez pas.

Reportage Gérard Bouchu

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