Après sa double mastectomie il y a deux ans, elle a choisi de médiatiser son ablation des ovaires. Un parti pris courageux, destiné à sensibiliser le grand public à certaines formes héréditaires de cancer. L’écrivain Claire Castillon raconte toutes les vies de la comédienne, femme engagée, épouse de Brad Pitt, mère de six enfants.

Quand Marcheline Bertrand tombe amoureuse de l’acteur Jon Voight, l’irrésistible Joe Buck de Macadam Cowboy, elle ne se doute pas qu’ils vont faire ensemble deux enfants qu’elle élèvera seule. L’un, James (Haven) est comédien et réalisateur. L’autre, Angelina, l’est aussi. Mais elle est avant tout Angelina Jolie. Son nom fait l’effet d’un secret qui contiendrait tout à la fois, et selon les goûts, une promesse de soleil, un défi de haut sommet, une proposition de chocolat, de fruits exotiques, de vin délicat ou de nuit d’amour. Sa beauté, son charisme donnent à cette diplômée ès sex-appeal le pouvoir absolu d’apparaître et d’anéantir.

Les femmes veulent ses dents, ses cheveux, son époux, les prénoms de leurs enfants, sa silhouette de sirène – surtout enceinte de huit mois de ses jumeaux Knox Léon et Vivienne Marcheline – sur le tapis rouge du Festival de Cannes, vêtue d’une robe Véronèse au décolleté plongeant. Quant aux hommes, ils se damneraient pour effleurer l’un de ses douze tatouages. A travers eux, ils approfondiraient bien volontiers sa philosophie. Comme le dicte son dos, reprenant une chanson des Clash, Know Your Rights. Des étoiles veillent sur elle, au nombre de sept, ses six enfants et son Brad Pitt d’homme dont elle a, incrustées dans le bras, les sept séries de coordonnées géographiques indiquant les lieux de naissance. Quant au grand tigre qui orne ses lombaires, il veille. Il lui ressemble. Depuis son enfance, Angelina observe le spectacle du monde, quand elle n’est pas occupée à s’y opposer.

En effet, il y a en elle une colère, un manque, une peur dissoute. Avec sa mère pour boussole, femme peu attachée aux choses matérielles, qui lui enseigne avant tout la nécessité d’être utile sur cette Terre, Angelina qui s’appelle à l’époque encore Voight, nom du père dont elle se débarrassera en 2002, se prend de passion pour le métier d’actrice et s’inscrit dès 12 ans au Lee Strasberg Theater Institute de Los Angeles. Elle souhaite faire bon usage de ses énergies sourdes, mais la compagnie des autres filles, fortunées et bien habillées, avides de réussir dans le milieu du show-business, se révèle détestable.

LE COTÉ OBSCUR

Qui sont ces autres si éloignées d’elle-même ? Quel est leur sang, si froid, qui leur donne tant de forces ? A l’époque, Angelina est très maigre, elle porte des lunettes, et se renferme sur elle-même, en compagnie de ses serpents. Sa mère reste un phare. Son père est absent. Celui qu’elle n’invitera pas à son dernier mariage, lui reprochant principalement d’avoir saccagé l’équilibre familial en trompant sa mère, ne l’aide pas à contenir l’abus qui germe en elle comme une mauvaise graine. Le chiendent pousse. Angelina se veut du mal, elle s’en fait. A 14 ans, son rêve n’est plus de brûler les planches, mais de brûler les corps. D’ailleurs, elle s’imagine très bien directrice d’une agence de pompes funèbres. De noir vêtue, les cheveux teints en violet, mi-punk mi-gothique et toujours malheureuse, elle tombe hélas amoureuse. Les mauvais garçons sont des aimants pour les jeunes filles en peine. Anton, le fiancé avec lequel elle multiplie les incartades, s’installe avec elle, ils vivent chez Marcheline. Ensemble, ils goûtent à l’alcool, à la drogue. Angelina découvre alors que le sexe ne la satisfait plus entièrement. Elle a besoin de davantage. Aujourd’hui, et avec humour, elle constate que ses cours de voltige sont encore meilleurs que de s’envoyer en l’air… Mais à l’époque, c’est le début d’une longue période de scarifications. Couper Anton, se faire saigner lui ouvre la voie vers un amour dangereux et fort. Le vampire qu’elle devient ne voit pas dans le miroir sa beauté qui s’affirme. La preuve lui en est pourtant fournie, puisqu’elle débute une carrière de mannequin et défile à Londres, New York et Los Angeles. Elle apparaît aussi dans quelques clips comme Anybody Seen My Baby des Rolling Stones, ou Stand By My Woman de Lenny Kravitz. Un rôle d’envergure lui est offert en 1993, dans Cyborg 2. En 1995, âgée de 20 ans, elle rencontre, sur le tournage de Hackers, l’acteur Jonny Lee Miller, qu’elle épouse. Pour l’occasion, elle porte un pantalon en cuir noir et une chemise blanche sur laquelle elle écrit avec son sang le prénom de son mari.

INOUBLIABLE LARA CROFT

Provocation en bandoulière, elle aime choquer. En quête de sève humaine, elle se consacre de préférence à des rôles de femmes torturées. On peut imaginer que la jeune punk ne court pas après les récompenses mais elle reçoit un Oscar du meilleur second rôle féminin pour Une vie volée (1998) où, internée dans un hôpital psychiatrique, la femme qu’elle incarne est consciente que le monde autour d’elle est rempli de mèches à allumer… Angelina épouse peu de temps après l’acteur Billy Bob Thornton, de vingt ans son aîné. Elle arbore cette fois le sang de son mari dans une fiole pendue à son cou. A force de se vider de son sang, pas étonnant qu’une Lara Croft finisse par éclore… Femme parfaite quasi désincarnée, objet de fantasme à la plastique exceptionnelle et non viscérale, image éthérée de jeux vidéo, Angelina Jolie devient l’héroïne de Tomb Raider (2001) et la number one au box-office des femmes les plus sexy du monde. Mais ce qui compte bien plus que cette nouvelle image est sa rencontre avec un pays, le Cambodge, et le petit Maddox qu’elle va y adopter, ainsi que sa décision de collaborer avec l’UNHCR (Agence des Nations unies pour les réfugiés). Est-ce le succès, est-ce la maternité ou est-ce tout simplement pour elle le temps de l’apaisement ? Participer à l’aide humanitaire devient son obsession. Il coule là, le sang de la vie. En Ethiopie, elle adopte la petite Zahara Marley dont les parents viennent de mourir du sida. De retour de ses voyages à vocation humanitaire, Angelina déclare :  » Plus jamais je ne me plaindrai pour des choses idiotes et plus jamais je n’oserai dire que je connais la souffrance.  » Irak, Darfour, Soudan, Libye, elle se rend dans les zones de conflit. Sa fidélité à la cause des réfugiés pendant plus de dix ans lui vaut d’être nommée, en avril 2012, envoyée spéciale du HCR.

Le grand amour ne s’installe pas dans une tête en demande et un corps en délire. Il prend la place qu’on lui réserve. La foudre est bien plus forte qu’un coup de sang, Et lorsque Brad Pitt entre dans sa vie, sur le tournage de Mr and Mrs Smith, en 2005, Angelina Jolie le reconnaît aussitôt. Il est encore marié à Jennifer Aniston et Angelina se défend de l’avoir aimé avant qu’il soit libre. Là est le paradoxe de la rebelle. Elle goûte au sang, coupe la relation avec son père comme avec un amant, reste de marbre quand celui-ci s’épanche à la télévision sur les crises émotionnelles que sa fille traverse parfois, mais campe sur ses principes. Brad Pitt divorce, et c’est en homme libre qu’il rejoint Angelina. En 2006 naît Shiloh Nouvel dont ils vendent la photo au magazine People pour plus de 4 millions de dollars et reversent les profits à un organisme de bienfaisance. Puis, ils adoptent Pax Thien au Vietnam. Offrir à Marcheline une famille unie, respectant les principes qu’elle lui a enseignés, est pour Angelina une fierté. Elle s’est fait un devoir de ne pas décevoir sa mère et a souvent craint d’échouer. Hélas, celle-ci se bat contre la maladie. Porteuse du gêne BRCA1, responsable des cancers du sein et des ovaires, qu’elle a transmis à sa fille, elle livre son dernier combat.

Angelina joue beaucoup, toutes sortes de rôles qu’elle choisit désormais avec soin, et loin de la provocation d’antan. En 2006, elle tourne Raisons d’Etat avec Robert De Niro ; puis elle incarne, dans Un coeur invaincu (2007), de Michael Winterbottom, la femme de Daniel Pearl, journaliste américain décapité par des extrémistes pakistanais, pour lequel elle reçoit le Golden Globe de meilleure actrice . En 2008, elle interprète L’Echange, de Clint Eastwood. Elle continue à travailler pour de grandes productions commerciales, prête sa voix à des personnages animés – Lola de Gang de requins ou Master Tigress dans Kung Fu Panda. Pourchassée par la CIA dans Salt, espionne dans The Tourist, elle reste l’icône décapante qui fait trembler et fantasmer les hommes.

Son image ne l’empêche pas de servir la cause des femmes. Elle veut porter la vérité. Dans son premier long-métrage en tant que réalisatrice, Au pays du sang et du miel, elle évoque le viol de 50 000 femmes durant la guerre en Bosnie, conflit dans lequel les abus sexuels ont été utilisés comme arme de guerre. Parce qu’elle a subi une double mastectomie et une ablation des ovaires, Angelina Jolie se veut aussi le porte-parole des femmes hébergeant le même gène défaillant qu’elle. Le courage, c’est encore ce qu’Angelina a mis en scène dans Invincible, épopée aux accents eastwoodiens sortie début 2015, sur un scénario cosigné par les frères Coen. Elle raconte l’incroyable destin du coureur olympique et héros de la Seconde Guerre mondiale, Louis Zamperini (1917-2014), fait prisonnier par les Japonais après 42 jours passés à survivre en mer, à la suite d’un crash aérien.

A 39 ans, Angelina Jolie a beaucoup couru. Le jour de son mariage avec Brad Pitt, en août dernier, dans la chapelle de leur domaine du sud de la France, les pieds posés sur une dalle au nom de Marcheline, racines en terre, la tête couverte par un voile orné de dessins de ses enfants, elle vient sans doute de dire oui pour la première fois. Ses convictions sont belles. L’engagement est meilleur. D’ailleurs, Angelina Jolie pourrait très bien entrer en politique. Elle le sait. On ne provoque pas de changement extrême sans prendre ses responsabilités.

PAR CLAIRE CASTILLON

Elle observe le spectacle du monde, quand elle ne s’y

oppose pas.

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