. que Patrick Estrade connaît bien. Spécialisé dans la dynamique des relations et des conflits, le psychologue s’est aujourd’hui penché sur le lien qui nous unit à nos lieux d’habitation avec La Maison sur le divan. Prendre soin de sa maison, c’est prendre soin de soi.  » Déclimaisons  » sur le même t’aime et applications concrètes.

Le déménagement serait la troisième plus grosse source de stress après le deuil et le licenciement. Comment alléger ce traumatisme ?

Même lorsque nous quittons un endroit pour un autre nettement mieux, un déménagement implique forcément une part de souffrance. C’est un moment difficile à gérer, il faut donc prendre le temps de s’y préparer, laisser mûrir en nous l’idée. Le changement fait peur, car il présente un avenir incertain, ce qui est anxiogène. En réalité, c’est surtout la représentation que nous nous en faisons qui nous effraie. Un nouveau lieu doit s’apprivoiser. Je conseille donc d’aller dans le nouveau quartier, de jour comme de nuit, pour prendre de nouveaux repères. Tenter également de capter, de percevoir ce qui se passe autour, comprendre le contexte et l’environnement de la maison. être à l’écoute de la dialectique entre intérieur et extérieur. Laissez vos sens en éveil. C’est important. Surtout pour les femmes qui ont besoin de savoir leurs enfants en sécurité et d’apprivoiser ce nouvel univers.

Lorsqu’on se lance dans une recherche de maison ou qu’on décide de construire, le couple doit souvent faire face à des envies ou des rêves différents. Comment parvenir à concilier les avis pour que chacun se sente bien ?

En matière de maison, c’est la femme qui décide très souvent. Même si cela n’a pas l’air d’être toujours le cas. Il est important de trouver des accords ensemble, mais en fin de compte, ce seront les besoins de base et les prérogatives de la femme qui primeront. D’ailleurs, les femmes sont naturellement plus tournées vers l’intérieur. Par exemple, ce sont elles qui vivent le plus mal l’éloignement de leur foyer. Cela se marque directement sur leur intestin, ce que le chercheur américain M. D. Gershon a appelé le deuxième cerveau. Il faut savoir que près de 7 femmes sur 10 en souffrent ! Cela se remarque chez certains hommes, mais c’est beaucoup plus rare. Même chose lors de l’achat d’un appartement. Un homme est capable de dire  » si on n’est pas bien, on le revendra « , tandis que la femme tendra d’abord à penser aux enfants, à leurs amis qui vont leur manquer, aux questions d’intendance telles que l’école, les commerces environnants, etc.

La maison est donc un environnement féminin. D’ailleurs vous parlez de la maison  » ventre de la mère  » qui fait l’analogie de la maison avec la membrane d’un utérus : deux lieux qui accueillent et protègent. Pourtant, il arrive qu’une maison ne remplisse pas ce rôle  » nourricier « . Qu’on ne s’y sente pas comme dans un cocon. Comment remédier à ce mal être et se sentir bien chez soi ?

Nombre d’entre nous vivent mal leur maison ou ne la vivent pas parce qu’ils se trouvent en exil d’eux-mêmes. Parvenir  » au pays de chez soi  » n’est pas forcément donné, c’est quelque chose qui se travaille, se mérite. Nous sommes proches ici du  » souci de soi  » tel que Michel Foucault a pu le décrire dans son livre au titre éponyme à propos de l’époque gréco-romaine. Le premier chemin pour y parvenir, selon moi, serait de savoir où l’on se situe par rapport à soi-même. Si on est capable de répondre un tant soit peu à cette question, on peut arriver à mieux demeurer en soi-même. Et si l’on demeure mieux en soi-même, le reste découle logiquement. On sait où l’on se sent bien et où l’on se sent mal. Et l’on sait également ce qu’il nous reste à faire pour nous sentir mieux.

Dans votre ouvrage, vous invitez le lecteur à se demander si son intérieur lui ressemble. Forcément avec des meubles rococo hérités d’une arrière-grand-tante, c’est rarement le cas. Comment refuser aimablement ces attentions délicates mais terriblement envahissantes ?

En faisant preuve d’honnêteté intellectuelle et en étant assez courageux pour décliner l’offre. Oser dire sans froisser vos proches :  » non merci, j’ai d’autres idées pour mon intérieur « . L’important, ici, c’est de comprendre qu’on ne dit pas non  » contre  » eux mais  » pour  » nous. Ainsi, le message sera mieux perçu. C’est finalement la manière dont on l’annonce qui est cruciale. Mais s’il y a un piège au départ que l’on peut éviter, c’est quand même mieux pour la suiteà Cela paraît logique : si l’appartement est suffisamment grand, il n’est pas difficile d’envisager un compromis, mais lorsqu’on vit dans 25 m2, là, c’est un vrai souci.

Résultat, certaines maisons étouffent à cause des nombreux objets que nous avons accumulés au cours de notre vie, mais dont nous avons du mal à nous séparer parce qu’ils nous relient à notre passé. Comment parvenir à se débarrasser enfin de son  » brol  » ?

Dernièrement, j’ai reçu une femme – une prof d’université – en consultation pour ce problème : elle m’a expliqué qu’elle était incapable de se débarrasser ou de donner ses vêtements. Ainsi, au fil des années, elle s’est retrouvée avec une garde-robe incroyable. Comme chacun de nous, elle possède une garde-robe d’été et une d’hiver. A la différence qu’elle lave et repasse systématiquement l’ensemble de ses vêtements. Même ceux qu’elle ne met plus depuis plus de dix ans et qu’elle sait qu’elle ne remettra jamaisà Peur de manquer ? Pas du tout. Le leitmotiv est :  » On ne sait jamais « .  » Cela pourrait servirà « . Le conseil que je pourrais donner pour éviter ce problème serait de s’interroger sur la relation que nous entretenons avec l’objet : si nous avons encore une relation, on peut le garder. S’il n’y en a plus, il faut alors faire quelque chose. Heureusement, vous aurez remarqué comme moi que toute maison possède ses endroits privilégiés pour mettre les objets à l’honneur. Lorsque nous acquérons un nouvel objet et qu’on l’aime beaucoup, on veut lui donner la meilleure place dans la maison pour le mettre en valeur. Ce sera dans l’entrée, ou au-dessus du sofa, par exemple. La possession étant une  » amitié  » entre l’homme et la chose, il est naturel de vouloir la concrétiser. Mais, sauf rare exception, celle-ci a tendance à s’user. S’agissant des objets, ils perdront progressivement leur place privilégiée, passant du salon à la chambre, puis au couloir, avant d’atterrir à la cave ou au grenier, quand ce n’est pas au vide-greniers ou à la poubelle.

Autre problème ménager : le désordre. Comment sortir du cercle vicieux de la maniaquerie ?

Toute maison a besoin d’un certain ordre pour être agréable à vivre. D’ailleurs, le labyrinthe de nos désordres domestiques va de pair avec nos errements psychologiques : ils sont le reflet du rapport que nous entretenons avec nous-mêmes. Lorsque notre maison est un capharnaüm, nos idées, notre perception, notre image de nous-mêmes s’étiolent. À l’inverse, lorsque la maison est en ordre, propre, claire, lisible, elle renforce notre capital d’énergie (*). Le désordre signifie quelque chose : un vêtement qui traîne n’est pas là par hasard. C’est comme s’il nous tenait compagnieà Toute personne – à peu près saine psychiquement – cherche à trouver un moyen terme entre ordre et désordre. Nous gérons le désordre davantage que l’ordre. Mais lorsqu’une personne choisit le contraire, elle entre dans un combat perdu d’avance. De quoi vous transformer tout à la fois en victime et en bourreau. De vous-même et de la maison. Certaines personnes entretiennent une véritable relation sadomasochiste avec leur habitat. Combien de vies gâchées à cause d’un tel combat sans lendemain ? Et de dégâts collatérauxà Car souvent toute la famille doit participer pour lutter contre ce présumé fléau. Ce genre de problème touche d’ordinaire les personnes en mal d’identité qui cherchent à cacher un vif complexe d’infériorité sous des dehors de perfection. Souvent, ces personnes ont vécu une enfance dans une ambiance  » pourrie  » et en ont beaucoup souffert. La maison catalyse leur sentiment de rage et d’impuissance qu’elles ressentent face à ce manque. La maison joue alors en quelque sorte le rôle de bouc émissaire. Nos intérieurs sont le reflet de notre façon de concevoir la vie mais aussi celui de nos rapports sociaux avec autrui et de tous les équilibres (et les déséquilibres) qui en résultent. Ils sont notre univers, notre cosmos en minuscule.

Aujourd’hui, les familles recomposées deviennent quasi la norme. Les enfants se retrouvent avec plusieurs foyers. Comment les aider à trouver une maison  » repère  » ?

Généralement les enfants n’ont pas voix au chapitre. Comme ils doivent suivreà Mais après tout, l’on peut se demander si ce n’est pas le destin de chacun d’entre nous de chercher sa demeure ? Même si on peut le déplorer, rien n’est donné dans la vie. On voudrait épargner nos enfants, mais faut-il absolument les protéger de tout ? Lorsqu’un foyer vole en éclats, les enfants n’ont d’autre choix que de s’adapter.

Notre famille fait, qu’on le veuille ou non, partie de notre destin et nul ne peut y déroger. En tout cas, ce que je constate, c’est que tous ces problèmes seraient moins lourds à porter si nous favorisions mieux la communication. Les enfants comprennent, pour peu qu’on leur explique les choses. Ils sont extraordinairement flexibles et savent aller chercher ce dont ils ont besoin. Quels sont-ils ? Tant qu’ils sont petits, je dirais, dans l’ordre : 1) la mère, 2) la maison, 3) le père. Bien sûr cet ordre change. Petit à petit, les pères commencent à prendre leur place, mais ce n’est pour l’instant qu’un épiphénomène. Et pourtant, quel que soit le cas de figure, on constate que lorsque le foyer est accueillant et aimant, la maison reste un repère précieux, même longtemps après que l’enfant l’ait quittée.

La Maison sur le divan. Tout ce que nos habitations révèlent de nous, par Patrick Estrade, Robert Laffont, 318 pages.

(*) Avis aux parents : les chambres d’ado ne répondent pas aux mêmes critères. Dans ce cas, le désordreest un outil d’affirmation de soi.

Propos recueillis par Valentine Van Gestel

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