Hurler dans la rue sans se faire entendre. Grâce au  » ScreamBody « , tout le monde peut péter les plombs sans gêner personne. Salutaire.

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur La Première (RTBF radio).

Certains  » ingénieurs  » devraient être condamnés pour leurs trouvailles débiles. Imaginez la scène. Vous êtes chez vous, au bureau ou au restaurant. Vous entendez soudainement un petit son strident d’une seconde à peine et puis plus rien. Cinq minutes plus tard, rebelote : même biiiiiip énervant et puis plus rien. Cinq minutes plus tard, rebelote. Et c£tera, et c£tera. Furtive, cette pollution sonore de 2 000 hertz est évidemment trop brève pour être immédiatement repérée. Il faudra attendre, patienter et vous concentrer probablement des heures (voire des jours) avant de trouver l’origine de ce satané bruit aigu. Autant dire que la folie vous guettera plus d’une fois. Et lorsque, enfin, vous aurez déniché le maudit engin, vous serez subjugué par sa consternante banalité : une pile de 9 volts relié à un minibidule électronique baptisé  » Mind Molester « . Traduction littérale : le  » Gêneur d’esprit « . Le pollueur de neurones ou le bip qui rend fou serait plus opportun. A quoi sert-il ? A rien d’autre que d’emmerder le monde ou taquiner ses amis si l’on est un peu masochiste avec les gens qu’on aime. Question de goût. Et, évidemment, cet objet inutile se vend sur Internet au prix de 20 euros (rubrique  » Gadgets électroniques  » sur www.thinkgeek.com) sous l’appellation respectable de  » jeu de cache-cache détourné « . Ben voyons. On vit décidément une époque formidable. Heureusement, d’autres ingénieurs, davantage altruistes, s’investissent dans la gestion originale du stress urbain. Car avec ou sans  » Mind Molester « , il convient de reconnaître que nos villes génèrent déjà, en suffisance, leur paquet de nervosité quotidienne plus ou moins domptable. Dieu merci, on a inventé les psys, mais ceux-ci n’ont pas encore percé tous les mystères de l’aire de Broca (la zone du cerveau où se niche l’organisation du langage articulé). Cela tombe bien parce que certains grands stressés n’ont pas toujours envie de parler mais de crier. Comment ? Vous n’en avez jamais rêvé ? Hurler une bonne fois pour toutes dans la rue ou dans le métro, histoire d’évacuer l’excès de pression ambiante. Ça doit faire du bien, non ? D’accord, les passants risquent d’être affolés et d’appeler illico la police, voire l’asile. D’où l’intérêt du  » ScreamBody « , un sac dessiné par l’artiste-ingénieur Kelly Dobson ( http://web.media.mit.edu/~monster). Le principe est aussi original que révolutionnaire puisqu’il s’agit d’offrir à chaque citadin une grande poche transportable dans laquelle on peut crier sans importuner l’autre. En clair : vous ouvrez votre sac, vous hurlez dedans et personne ne vous entend. Cerise sur le gâteau sonore : vous pouvez même y enregistrer votre cri ultime pour le diffuser ultérieurement. Par exemple chez vous, tranquillement, surtout si l’un de vos  » amis  » y a dissimulé un  » Mind Molester  » ! A priori anecdotique, ce drôle  » ScreamBody  » est bien révélateur de l’air du temps. Mixant design et nature profonde (l’objet est en effet défini comme un  » organe portable  » par sa conceptrice), il est surtout politiquement correct. Grâce à cette invention, on assume ses pulsions sans déranger l’autre, on affiche son ras-le-bol sans faire la moindre vague. Un acte un peu lâche, certes, mais surtout respectueux de l’environnement sociétal. Une façon de protester en restant dans le rang. Une manière de dire  » Crotte ! « , tout bas. Le cri qui dort, quoi.

Frédéric Brébant

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