Non, le haut de gamme n’est pas réservé à une poignée de privilégiés. Conscient d’être souvent jugé inabordable, le secteur joue désormais la carte de l’accessibilité. Leçon de séduction, en huit temps.

Il y a des signes qui ne trompent pas. Quand on entend que le chaland se presse en masse dans la nouvelle boutique bruxelloise Primark, attiré par des prix défiant toute concurrence, et qu’à l’inverse, nombreuses sont les petites et grandes griffes créatives à ramer rageusement pour séduire de nouveaux acheteurs, on se dit qu’il existe un sérieux fossé entre la mode telle qu’elle est dévoilée sur les podiums et celle qui se vend, se vit et s’apprécie dans la rue. Le prix est indiscutablement la raison première de cette distorsion. Impossible de concurrencer des pantalons, certes basiques, vendus 8 euros ou des tee-shirts étiquetés à 3 euros. Et qu’importe, manifestement, si ceux-ci ont été fabriqués dans des conditions sociales (très) peu appréciables…

Face à ces offres tentantes des enseignes de grande distribution et à une concurrence sans cesse accrue par la mondialisation, les maisons commercialisant des produits de luxe ont plus d’effort à fournir, pour rester dans la course. Depuis toujours, celles-ci misent sur des modèles ultracréatifs, des matériaux de qualité, des coupes irréprochables, une fabrication locale par des spécialistes du secteur, sans oublier de saupoudrer le tout d’une grande part de rêve. Cependant, ces ingrédients ne suffisent plus… Selon une enquête réalisée il y a quelques mois par OpinionWay pour le compte du joaillier en ligne parisien Gemmyo, les sondés ne se reconnaissent plus du tout dans le luxe, le jugeant trop ostentatoire, provocant et inaccessible. Même s’il fait toujours fantasmer, ce dernier est désormais destiné aux touristes étrangers à fort pouvoir d’achat, estiment-ils. Aux marques haut de gamme, dès lors, de mettre les bouchées doubles pour se rapprocher davantage de leurs clients. Certaines ont déjà compris l’enjeu et testent sans attendre de nouvelles manières de procéder. Illustration, en huit leçons.

1. LANVIN, POUR TOUTES LES FEMMES

Pour ce printemps-été 2015, Alber Elbaz, directeur artistique de la maison Lanvin, a eu envie d’habiller des femmes de tous âges, et pas seulement des poupées Barbie siliconées. Pour ce faire, il a invité sur son podium toutes celles qu’il aime particulièrement, comme Violetta Sanchez, mannequin en vogue dans les années 80. L’idée ? Montrer que ses vêtements s’adressent à des personnalités aux multiples facettes et ce, qu’elles aient 16 ou 55 ans.  » C’est joli d’avoir des rides, d’avoir un petit peu de cheveux gris, parce que c’est la vie, on ne peut pas effacer la vie « , a ainsi confié le créateur au magazine FashionMag, au terme de son défilé. Plutôt que d’imaginer des pièces belles en photo mais pas toujours dans la réalité, Alber Elbaz a voulu éteindre l’écran, cette saison.  » J’ai décidé de revenir à une simplicité totale (…), de ne faire que ce que je vois à l’oeil nu, que ce que les filles me disent qu’elles aiment bien, ce qu’elles trouvent confortable.  » Tout bon ! Le quotidien c’est la rue et pas Internet.

2. UNE SILHOUETTE LIBÉRÉE, FAÇON CHANEL OU ALEXANDER WANG

Entre des talons de 13 centimètres et des jupes crayon ultramoulantes qui empêchent de marcher à plus de 3 mètres à l’heure ou des matières tellement précieuses qu’il suffit qu’un enfant tente de s’approcher qu’on pousse des hauts cris, la mode est souvent jugée aliénante, masochiste et superficielle. Or, qui serait encore assez fou, en ces temps de crise, pour dépenser une fortune dans des tenues aussi improbables ? Forts de ce constat, de plus en plus nombreux sont les créateurs à repenser leur vestiaire, pour proposer des pièces portables, pour aller au travail, chercher ses bambins à l’école, courir après son bus… Un élan contemporain qui se traduit, cette saison, par une multitude de chaussures plates, tandis que se poursuit la tendance sportswear, parfaite pour allier élégance et confort – et tant mieux si la petite robe noire s’accompagne dorénavant de baskets colorées ou de sandales façon claquettes de piscine. Alexander Wang, biberonné aux nineties, est incontestablement l’ambassadeur de cette évolution du luxe. Mais à 81 ans, Karl Lagerfeld, toujours à l’affût de l’air du temps, l’a également bien compris, lorsqu’il fait manifester ses tops dans un boulevard reconstitué, avec panneaux affichant des slogans comme  » féminité et féminisme  » (photo). Pionnière en la matière, Coco Chanel aurait adoré.

3. DAVID KOMA OU JULIE DE LIBRAN : UNE GÉNÉRATION STUDIO, OUVERTE SUR LE MONDE

L’époque des créateurs stars a vécu. Désormais, les maisons préfèrent miser sur des personnalités qui ont fait leurs preuves en coulisses et en équipe (lire par ailleurs). Julie de Libran (photo), nouvelle directrice artistique de Sonia Rykiel ; Katie Hillier qui imagine les collections Marc by Marc Jacobs, en duo avec Luella Bartley ; David Koma arrivé chez Mugler… Les raisons de cette stratégie ? Il ne suffit plus de présenter un logo pour vendre cher et vilain. Les clients, mieux informés, souhaitent un meilleur équilibre entre qualité, créativité, utilité et prix. Des enjeux économiques auxquels cette nouvelle génération studio doit être attentive. La mode ne peut plus se résumer à n’être que de l’art, déconnecté de la réalité. Et quand on sait qu’en général, seulement 30 % des silhouettes montrées lors des défilés sont finalement commercialisées, on se dit que l’écart est encore loin d’être comblé…

4. BURBERRY PRORSUM OU L’ÉLOGE DE LA RAPIDITÉ

Rien de plus frustrant que de repérer quelque chose lors d’un défilé et de devoir attendre près de cinq mois pour pouvoir l’acheter et le porter. Sans compter que, d’ici là, l’envie sera peut-être retombée comme un soufflé… La griffe britannique Burberry Prorsum (photo) est la première à s’être intéressée à cette question. Il y a plusieurs saisons déjà, elle proposait à ses meilleurs clients de venir assister, en boutique, à la diffusion de son show sur grand écran. Et de commander directement leurs looks préférés.

Une idée qui en a inspiré d’autres. Le site Web français Precouture.com (jusqu’il y a peu baptisé My Beautiful Dressing) invite les internautes à acquérir, en avant-première, des vêtements et accessoires vus sur les podiums, le tout lors de ventes de courte durée. Et, en septembre dernier, le célèbre concept store Colette, à Paris, offrait la possibilité de précommander des modèles des collections printemps-été 2015, ceux-là précisément qui défilaient, au même moment, durant la Fashion Week. Intitulée  » Du catwalk à Colette « , cette opération mettait chaque jour en avant un créateur, comme Loewe, Julien David ou Carven. Avec livraison des vêtements de façon prioritaire, avant que ceux-ci ne soient disponibles partout. Ou l’art d’attiser le désir, en étant le premier sur la balle.

5. COLLER À L’AIR DU TEMPS, COMME CHEZ DIOR

Fini le temps où la mode ne livrait que deux grandes collections par an – en hiver et été. Avec le poids croissant de la fast fashion et du commerce en ligne, la voici obligée de se réinventer, à coups de précollections, baptisées d’obscurs anglicismes, tels que cruise, resort ou pre-fall. Ces lignes alimentent les magasins avant l’arrivée de la collection principale, dévoilée en grande pompe lors des Fashion Weeks. But premier de la manoeuvre ? Amener de la nouveauté plus accessible commercialement parlant, et donc faire (re)venir les clients en boutique. Preuve de l’engouement croissant pour ces livraisons annexes, ces dernières sont davantage médiatisées, via des défilés mis sur pied aux quatre coins du monde. Même Dior s’y est mis en décembre dernier à Tokyo, en organisant pour la première fois un show pour la présentation de sa pré-col automne 2015.

6. L’OPTIMISME DES SEVENTIES, CHEZ GUCCI

Pour lutter contre la morosité ambiante, des maisons telles que Gucci n’hésitent pas à s’inspirer d’époques optimistes et pleines d’espoirs. Cette belle saison qui s’annonce en est le parfait exemple : la jeune génération s’est laissé porter par les seventies, dernière décennie des Trente Glorieuses – et qu’importe si ceux qui ont connu cette période la jugent parfois ridicule. On se pâme devant les pantalons taille haute, les robes gipsy, les jupes trapèze, sans oublier une multitude de pièces taillées dans le denim ou le daim. Soit un vent nouveau qui respire la spontanéité et donne immédiatement envie de renouveler sa garde-robe.

7. UNE MODE ULTRACONNECTÉE, PRÔNÉE PAR LOUIS VUITTON, ETC.

Avec l’avènement de la génération des digital natives, ces consommateurs nés avec une souris d’ordi dans la main, les marques sont obligées d’intégrer les nouvelles technologies à leur stratégie. Plus de 18,6 millions de fans sont ainsi abonnés à la page Facebook de Louis Vuitton (photo), faisant de cette maison le label de luxe le plus suivi de par le monde, devant Burberry (18 millions) et Gucci (15,3 millions). A noter qu’il ne s’agit plus seulement d’être présent sur les réseaux sociaux ou de se lancer dans le commerce en ligne. Il faut désormais aussi produire des contenus exclusifs, qu’ils soient informatifs ou divertissants, faire entrer cet arsenal 2.0 à l’intérieur des boutiques, générer des collaborations avec des blogueurs, dont les plus influents sont devenus leaders d’opinion de la Toile… Ou comment pister les acheteurs de demain au plus près.

8. MISER SUR L’ACCESSIBLE, À LA MANIÈRE DE MICHAEL KORS, CARVEN OU KENZO

Conscientes que tout le monde n’a pas le portefeuille suffisamment garni pour s’offrir des accessoires ou tenues à plusieurs milliers d’euros, quelques griffes tentent de se démocratiser, sans pour autant se dévaluer. Crédibles sur le plan de la créativité, de la com’ et des défilés, des labels comme Kenzo (3.) et Carven (2.) offrent des looks à des prix plus abordables. Pareil pour l’Américain Michael Kors (1.), qui vient d’ouvrir une boutique à Bruxelles, et dont le sac best-seller ne coûte  » que  » 330 euros – une broutille en comparaison des milliers demandés pour certains accessoires d’autres griffes. Soit du haut de gamme, à portée de main, ou presque.

PAR CATHERINE PLEECK

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