Souvent victime de son image bourgeoise, ce matériau naturel et graphique fait son grand retour dans la déco.

Quel est le point commun entre la nouvelle boutique d’Alexander Wang à Pékin, celle de Givenchy avenue Montaigne et Monsieur Bleu, le restaurant du Palais de Tokyo, deux hauts lieux de la branchitude dans la Ville lumière ? Ils portent tous le sceau marbré de l’architecte Joseph Dirand. Ce designer d’intérieur parisien est souvent présenté comme l’ambassadeur du marbre, dont il use et abuse dans ses réalisations. La dernière en date ? Une cuisine du fabricant belge Obumex, pour laquelle l’architecte a choisi le Pavonazzetto, la Rolls du marbre transalpin, issu des carrières de Carrare, en Toscane, ultraconvoité pour sa pureté et son veinage gris discret. Et, si pendant les grandes heures de la Renaissance italienne il brillait dans les salles de bains et les cuisines bourgeoises, il broyait du noir depuis longtemps, cantonné aux cabinets des dentistes et aux salons des notables. Aujourd’hui, il se libère de cette réputation de parvenu et s’émancipe de son image ringardisée par des années de trompe-l’oeil ratés, en s’invitant dans nos intérieurs sous forme d’objets du quotidien. Depuis, pas une manifestation de design, pas un Salon ne se tient sans que le marbre ne vienne y jouer les stars. Du transat d’intérieur jusqu’au vase, en passant par l’enceinte acoustique, toutes les marques s’y mettent, des petits éditeurs aux mastodontes de la déco. Serendipity a édité une ligne d’objets pour la maison entièrement en marbre blanc, tout comme Habitat et le géant suédois H&M, qui décline une collection de vaisselle et de linge de maison avec cet imprimé.

MOTIF GRAPHIQUE

Pour les coutumiers de la géologie, c’est une pierre métamorphique dérivée du calcaire. Selon Charles Zana, il est avant tout un matériau esthétique :  » C’est la beauté de ses veines dessinées par la nature qui me touche. Quand le dessin est beau, il y a une forte tension, comme un éclair, à la manière d’un tableau de Richter.  » Une matière familière à ce designer français, qui a revisité un tabouret en marbre statuaire massif pour l’exposition AD Intérieurs 2014 aux Arts décoratifs, à Paris.  » C’est un objet du quotidien anobli « , explique-t-il. Pour Dorothée Boissier, du duo de décorateurs Gilles & Boissier, qui a signé l’hôtel Chess, dont toutes les salles de bains sont en carrelage imitation marbre, cette roche a un côté vivant et raconte beaucoup de choses :  » A l’image de la pierre de lune, en Chine, une pierre illustrative, le marbre est une matière extrêmement riche, avec ses différents motifs et couleurs.  » Car, si le statuaire blanc italien est le plus courant, il existe plus d’une centaine de variétés et chaque région a sa teinte. Dans nos contrées, les roches noires de Golzinne – qui ont été utilisées pour restaurer le château de Versailles – et rouge royal de Wallonie. Ou, dans les Alpes franco-italiennes, le marbre vert, en particulier dans les vallées d’Aoste et de l’Ubaye.  » Il m’arrive d’utiliser des matériaux de différentes couleurs, même si mon préféré reste le noir à rayures blanches « , confie Dorothée Boissier, qui en a d’ailleurs tapissé la devanture du restaurant parisien Tong Yen, qu’elle vient de rénover.

AU QUOTIDIEN AUSSI

L’architecte Isabelle Stanislas, qui a réalisé les boutiques de Zadig & Voltaire, l’utilise depuis une dizaine d’années.  » Aujourd’hui, il existe de nouvelles techniques de façonnage. Pour ma part, je le colle sur des plaques façon nid d’abeille pour en alléger la masse et le rendre plus maniable.  » Ainsi le marbre, affiné, biseauté, se plie à tous les désirs et réinvente la fonction de l’objet.  » J’ai créé un fauteuil inspiré du transat, et tout de suite cette pièce en impose dans un salon, presque comme une oeuvre d’art posée là.  » Mais ce qui plaît le plus à cette architecte parisienne, c’est de le travailler à l’extrême.  » Je veux repousser ses limites, le rendre le plus fin possible. D’ailleurs, j’aimerais créer une série de petites choses, un cendrier ou un bougeoir…  » Même son de cloche du côté de l’architecte Charles Zana, qui partage l’idée que ce matériau sublime l’objet :  » Un objet en marbre, c’est une pièce du quotidien mythifiée, à la manière d’une statue italienne.  » Si les techniques ont évolué, les goûts aussi. Désormais, on abandonne l’étape du polissage, qui lui conférait toute sa brillance, au profit d’un rendu plus mat, et donc moins bling.

LA BONNE ASSOCIATION

S’il n’est plus question de le décliner dans une pièce du sol au plafond, il se fond parfaitement dans un salon ou même une salle de bains, à condition de l’associer avec les bons matériaux. Il se coordonne à merveille avec le métal couleur canon de fusil, le bronze, et même le laiton. Finalement, il n’y a pas de mauvaise alliance. Toutefois, l’idée selon laquelle le marbre n’est pas chaleureux a la dent dure.  » On me dit souvent que c’est un matériau glacial, mais ce mot ne veut rien dire en architecture. Associé avec du cachemire ou de la soie, des matières très douces, il ne l’est plus du tout « , explique Isabelle Stanislas, avant de conclure :  » C’est une question de lumière.  » L’architecte a d’ailleurs conçu So Stone, un canapé pour un tiers en marbre et pour deux tiers en cachemire. Le duo Gilles & Boissier, lui, n’hésite pas à le mixer avec du bois pour un rendu  » naturel « . Une chose est sûre : le motif veiné, cher aux Romains, ne laissera personne de marbre cette saison.

Voir aussi notre carnet d’adresses.

PAR MINA SOUNDIRAM

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