Exit la fameuse ménagère de moins de 50 ans ! Dans le cour des experts en marketing, l’icône cathodique a été balayée par le  » métropolitain « . La trentaine hyperactive, il aime la nature en pot, le bio à la chaîne, les marques de luxe et les bars concept. Mode d’emploi en six chapitres de ce nouveau Monsieur Tout-le-monde.

1. Environnement

Le métropolitain habite Paris, Londres, Berlin ou Bruxelles. Accro au tumulte urbain, ou plus exactement aux nombreux avantages qu’offre la ville (hôpitaux, restaurants, musées, etc.), il rêve de nature mais ne se voit pas habiter  » loin de tout « . Sous-entendu : loin des boutiques et de l’effervescence. Du coup, à défaut de pouvoir  » mettre les villes à la campagne  » comme le suggérait l’écrivain Alphonse Allais, il s’escrime à repeindre en vert sa grisaille.  » Rester en ville, mais y vivre comme à la campagne « , résument les publicitaires Monique Wahlen et Benoît Héry dans leur instantané de ce nouveau phénomène sociologique (1). Le métropolitain redécouvre ainsi les joies de la vie de quartier et délaisse les allées embouteillées des centres commerciaux pour aller se ravitailler en victuailles chez l’épicier du coin et en nourritures spirituelles chez le libraire d’en face. Le must ? Regrouper les commandes de fruits et légumes du voisinage et se faire livrer par un agriculteur  » bien de chez nous « .

Dans la même veine chlorophylle, les citadins retrouvent le chemin des parcs, pour un footing, un brin de lecture ou un pique-nique. Les balcons et les terrasses prennent, dans la foulée, des airs de jardins tropicaux (en Allemagne, les dépenses de jardinage dépassent les 36,5 milliards d’euros !) Bref, tout est bon pour ramener la nature en ville. Même les murs se couvrent de verdure. Le spécialiste en la matière, le botaniste français Patrick Blanc, ne manque pas de travail. On lui doit le Mur Végétal du flambant neuf Musée des Arts premiers de Jean Nouvel à Paris, ainsi que la façade tapissée de 250 plantes tropicales de la nouvelle boutique Marithé + François Girbaud en plein c£ur de Manhattan. L’attrait pour le vélo, les opérations  » journée sans voitures « , les plages intra-muros ou les campagnes contre les encombrants et polluants 4×4 participent de la même volonté du métropolitain de rendre la ville plus respirable.

2. Sorties

Le métropolitain cultive avec enthousiasme le goût de la fête. La nuit s’est d’ailleurs largement démocratisée. Elle devient un mode de vie. Ici aussi, les frontières traditionnelles s’effacent. On sort autant, si pas plus, tant la semaine que le week-end. Le jeudi a remplacé le samedi comme climax dans l’agenda du clubber. Plus symptomatique encore, ces  » after work  » parties qui entraînent le métropolitain dans les tourbillons de la fiesta dès la sortie du boulot. Les bars branchés prolifèrent, les soirées thématiques pullulent ( » women only  » par exemple), les bus jouent les prolongations pour ramener les noceurs, les breuvages expérimentent de nouvelles combinaisons enivrantes… Bref, faire la fête, ça peut être une activité à plein temps ! Mais à ce régime-là, on ne fait pas de vieux os. Il faut pouvoir se préserver des moments de détente. Pour se reposer des excès, mais surtout oublier les embouteillages, les frustrations, les insomnies, l’anxiété, la promiscuité des transports en commun, bref tout le stress de la vie moderne. Entre 30 et 50 % des travailleurs des pays industrialisés se plaignent de ce fléau. Les remèdes du métropolitain ? Au choix, les  » alicaments  » (ces aliments aux vertus médicinales comme Yakult ou Actimel), les spas (que l’on retrouve dans les grands hôtels comme dans sa salle de bains avec ces baignoires et douches multisensorielles), la nourriture macrobiotique, le tout à combiner éventuellement avec une activité physique bénéfique autant pour le corps que l’esprit (body-mind, Pilates, yoga ou shiatsu japonais). Effervescence d’un côté, méditation de l’autre. Le métropolitain court tous les lièvres à la fois. Une tendance à la schizophrénie, peut-être ?

3. Mobilité

Être métropolitain, c’est être dans le mouvement. D’où l’obsession de la mobilité, dont témoigne la flopée de gadgets (GPS, GSM multifonctions, wifi, etc.), censés prendre la mesure du temps et de l’espace. Le métropolitain voue un culte au dieu Mobile.  » Cette ultramobilité désigne une obligation d’hyperréactivité permanente : collecter les bonnes infos, décider en temps réel, voire au dernier moment, être capable de changer de programme. Toute rigidité est devenue handicap « , résument Monique Wahlen et Benoît Héry. Même son chez-soi, ce cocon rassurant transformé en hub technologique, ressemble à une fenêtre ouverte sur le monde, une tour de guet dominant l’univers. Toujours plus vite. Toujours plus loin. Avec l’ADSL, New York n’est qu’à dix secondes de Bruxelles. Tout l’enjeu pour le métropolitain est donc d’arriver à gérer tous ces flux d’informations… sans s’y noyer. Or, le risque est grand quand on est bombardé de messages, pas toujours de première utilité (on estime, par exemple, qu’un citadin est exposé à environ 2 000 publicités par jour). Tout savoir, tout connaître – du moins en apparence -, c’est la condition sine qua non pour accéder au rang de trendsetter, cette  » race  » de seigneurs de la communication qui dictent les tendances et contrôlent le buzz. Multifacettes, curieux, un brin égocentrique et hypocondriaque aussi, le métropolitain est à l’image de son époque. Mieux, il en est le ciment.

4. LOISIRS

Le métropolitain rase gratis. Autant par obligation (la vie est chère, et les tentations nombreuses…) que par habitude (il a grandi avec la presse gratuite et les logiciels de peer-to-peer comme Kazaa), il recherche la gratuité  » à tout prix « . Du moins là où il trouve normal, selon une échelle de valeur qui lui est propre, de ne pas sortir le portefeuille. On se débrouille donc pour se faire inviter à une soirée  » pipeule « , on s’adonne au  » book-crossing  » (abandonner un livre dans un lieu public), on télécharge sans trop de mauvaise conscience le dernier Anthony and the Johnsons, on privilégie les concerts  » aux frais de la princesse « , mais on est prêt dans le même temps à débourser le paquet pour s’offrir le dernier portable du marché ou mettre la main sur l’accessoire de mode in-dis-pen-sa-ble. Car si la gratuité figure en tête de ses priorités, paradoxalement, la mode et le luxe ne le sont pas moins. Adepte du shopping sous toutes ses formes, il vénère les marques de prestige comme d’autres les saints. Jusqu’à plus soif.  » Pour mieux s’imprégner de la bonne parole prêchée par ces géants du luxe, on peut même y passer la journée, à l’instar de ce que propose le Flagship Chanel de 10 étages qui trône sur Chuo Dori (…) à Tokyo « , note le tandem Monique Wahlen-Benoît Héry. Tout le monde veut y goûter. Du coup, même les marques de prêt-à-porter lorgnent du côté du haut de gamme. Lagerfeld et aujourd’hui Viktor & Rolf signent une ligne pour H&M, Jean Paul Gaultier et Agnès b, eux, s’invitent dans le catalogue La Redoute. Même les toutous et les bambins y ont droit. Flairant (sic) la bonne affaire, les grandes maisons (Burberry, Armani, Dior ou Gucci) ont investi ces segments de niche. Le luxe se banaliserait-il ? Oui et non. Le mass-tige (contraction de mass market et prestige) a effectivement mis une certaine idée du faste à la portée du plus grand nombre. Mais il restera toujours des sommets inaccessibles pour le commun des mortels, l’une ou l’autre lune à décrocher. Sous la forme d’un gros diamant. Ou tout simplement d’un état d’esprit. Quand l’abondance devient la règle, le luxe pourrait bien être le dépouillement…

5. Psychologie

Le métropolitain traverse la décennie en duo mais plus souvent en solo. Par choix ou par accident. Nombrilisme, carriérisme, déification de l’indépendance, réalisation de soi, instabilité, divorce, hyperactivité, manque de temps… Toutes les raisons sont bonnes pour ne pas s’enferrer dans un couple. Les célibataires seraient deux fois plus nombreux qu’il y a vingt ans. Une ville comme New York en compte 3 millions, soit un tiers de la population… Conséquence : les marques s’adaptent. D’autant que les trentenaires solistes ont des comportements bien spécifiques. Ce sont les  » grands animateurs de la ville  » comme les appelle le sociologue Jean-Claude Kaufman. En schématisant, leurs soirées s’écoulent au rythme des sorties (bistrots, restos, concerts, discothèques…), leurs week-ends sont ponctués d’escapades sportives et culturelles (expos, voyages, cinéma…) et leur consommation est en grande partie orientée vers les produits qui valorisent leur image (hygiène, beauté, mode…). Mais célibataire ne veut pas dire ermite. La colocation, popularisée par des films (comme  » L’Auberge espagnole  » (2002) de Cédric Klapisch) et des séries (comme  » Friends « ), devient presque banale. C’est que la solitude à plusieurs est moins lourde à porter… Autres indices de la légitimation du statut de célibataire : les portions individuelles sont devenues monnaie courante, comme les voitures  » enfants non admis  » (type Smart), les soirées entre filles (au Living Room ou au Barsey à Bruxelles) ou les clubs de vacances pour adultes (Club Med et autres). Et puis, il y a tout le marché orienté vers ceux qui subissent ce statut et qui rêvent d’union : speed dating, sites de rencontre (comme Meetic, Rendez-vous.be, etc.). Le métropolitain cultive la contradiction.  » Deux identités cohabitent en soi, observe Jean-Claude Kaufman. L’identité célibataire, qui assume ce mode de vie, et l’identité  » je suis célibataire parce que je ne suis pas en couple, donc j’ai un manque « . Et on passe sans cesse de l’une à l’autre.  » Du coup, même quand il est en couple, le métropolitain, homme ou femme, conserve jalousement son indépendance. Autre dogme sacré battu en brèche : le machisme. Le métropolitain n’a pas honte de révéler sa part de féminité. Et tant pis si on le confond avec un homosexuel. La prolifération des magazines masculins ( » Gentleman « , dernier en date, verra le jour en septembre prochain) et surtout le lancement de gammes entières de produits de beauté pour hommes (Clinique, Lancôme, Biotherm, Clarins, etc.) répondent à ce nouveau besoin. Qui a donné naissance à de nouveaux modèles comme le métrosexuel ou, en version plus musclée, l’übersexuel.

6. AlimentatioN

Le pire comme le meilleur. Le métropolitain pratique allègrement l’anarchie alimentaire.  » Les impératifs de mobilité urbaine et les horaires de travail des métropolitains les poussent à déstructurer leur alimentation, observent les auteurs du panorama. Cela les conduit à décaler ou à sauter des repas et à manger hors des lieux traditionnels : dans les transports en commun, sur leur lieu de travail ou tout simplement en marchant.  » De la tasse autochauffante de café (Baritalia) aux distributeurs automatiques (de friandises, mais aussi de sandwiches ou de plats préparés), en passant par les snacks et les  » corner-shops  » ouverts 24h/24, la quête de nourriture est, comment dire, prémâchée. Manger n’importe où, n’importe quand et… n’importe quoi. De la junk-food (les fast-foods font de la résistance). Mais pas seulement. A la faveur des vagues d’immigration successives et d’une faim de nouveaux horizons culinaires (à l’origine du fooding, contraction de  » food  » et  » feeling « ), des saveurs et des mélanges inédits ont pris d’assaut les papilles. On fusionne, on amalgame, on accommode. Les goûts d’ailleurs (coriandre, gingembre, piments doux) se marient aux plats du terroir dans un joyeux feu d’artifice de goûts et de couleurs.

(1)  » Les métropolitains ou la mort de la ménagère de moins de 50 ans « , par Monique Wahlen et Benoît Héry, L’£il du mouton édition, 209 pages. Internet : www.lesmetropolitains.com

Laurent Raphaël

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