» Justice, Mat, Lune, Chariot, Impératrice, Etoile… « , Magdalena explique à son client que son tirage est très positif. La combinaison des cartes lui prédit un nouveau départ dans sa vie. L’Impératrice lui assure qu’il doit garder confiance en lui car l’Étoile qui clôt la série lui annonce la réalisation de ses ambitions. Armée de son tarot de Marseille et de son look de gitane, Magdalena officie trois jours par semaine au No stress café, dans le IXe arrondissement de Paris. Tarif : 20 euros pour une séance de 15 minutes.  » Je consulte aussi chez moi, confie-t-elle. Mais dans les bars, comme celui-ci, la voyance est plus légère, moins dramatique . Les gens viennent vous voir naturellement et pas seulement quand ils ont un problème. Ils n’y croient pas toujours au début, mais sont vite troublés par mes prédictions.  »

Le tarot est un ensemble de 78 cartes, dont 22 arcanes majeurs, qui sont en analogie avec les grands événements de la vie, et 56 arcanes mineurs, qui donnent des compléments d’information sur le tirage. Le Bateleur, la Papesse, la Roue de la fortune, la Mort, le Pendu… aucune des cartes n’est complètement positive ni négative. C’est l’association des arcanes et l’ordre du tirage qui détermine la prédiction.

Art divinatoire millénaire, l’histoire du tarot, de Marseille ou d’ailleurs, se perd dans la nuit des temps. Egypte antique ou époque médiévale ? L’origine du célèbre jeu de cartes reste obscure. Sa terminologie n’en est pas moins mystérieuse. Pour les uns, le nom de tarot proviendrait du nom d’un peintre, qui, en 1390, sous Charles VI, a illustré les premières cartes, conservées de nos jours à la Bibliothèque nationale de Paris. Pour d’autres, il proviendrait de la Torah, loi de Moïse en hébreu, ou encore de tor – la voie, et de ro – royal, en Egyptien ancien, c’est-à-dire la Voie royale.

De nouveaux confesseurs

Une chose est sûre, le tarot n’a jamais été autant à la mode. Habituellement confinés chez eux ou dans des cabinets spécialisés, voyants et médiums sortent aujourd’hui de l’ombre. Soirées people ou événements organisés par de grandes entreprises (L’Oréal, Nokia…), animations dans des grands magasins ou des salons de coiffure… On les retrouve aussi dans les bars, restaurants et boîtes de nuit branchées.

Introspection, problèmes sentimentaux, instabilité professionnelle, les sujets d’interrogation ne manquent pas.  » Les gens ont besoin d’être rassurés en permanence et le voyant peut apporter des réponses ou au moins en donner l’illusion, explique un des organisateurs du salon  » Parapsy « , à Paris. Nous sommes dans une ère de plus en plus psy. Je ne pense pas qu’il y ait de danger à mieux vouloir se connaître et à s’auto-analyser. Le tarot des bars permet une approche ludique et décomplexée. Même si le tarot est désacralisé, les voyants, y compris ceux des bars, sont en quelque sorte de nouveaux confesseurs.  »

Vivant de son art depuis 1994, Marina voit avec plaisir les initiatives qui visent à sortir le tarot de sa sphère traditionnelle. Elle considère même qu’une soirée à thème dans un bar ou dans un contexte convivial et moins formel peut constituer une première approche idéale.  » Certaines personnes sont, en effet, encore méfiantes ou rebutées par tout ce qui n’est pas cartésien, poursuit-elle. Elles ont encore en tête l’image véhiculée autrefois par Madame Irma et sa boule de cristal.  » Pour Marina, la tarologie dans les bars n’est d’ailleurs qu’un retour à une époque plus ancienne : celle où les voyants consultaient dans les foires .

Réglementer une profession, basée sur l’irrationnel, semble bien difficile… Mais les  » sages  » s’accordent à dire qu’un bon voyant doit d’emblée révéler des choses sur le présent et le passé et éviter de créer une relation de dépendance.  » Pour tirer les cartes, le voyant doit lui-même être bien dans sa tête et dans sa vie, estime Paul Clé, tarologue et numérologue bruxellois. Il a une responsabilité face à des gens qui lui confient leur vie, leur intimité. Il faut avoir une certaine éthique. Il faut aussi être psychologue, parce qu’on ne peut pas tout dire à tout le monde.  »

Agnès, tarologue installée dans la région namuroise, voit dès lors d’un bon £il la multiplication des cours de tarot. Elle est, en revanche, plus sceptique pour les consultations dans les bars et les restaurants.  » Il m’est déjà arrivé de sortir mon tarot dans un bar, mais je n’aime pas trop ce contexte, dit-elle. Avec l’alcool, au niveau des énergies et de l’écoute ce n’est pas top.  » Pour Olivier Noblet, qui se revendique comme l’héritier du seul tarot médiéval original, cette mode  » est à mourir de rire « . Pour lui, tarot et voyance n’ont rien à voir. Il estime qu’à la base le tarot n’était qu’un jeu de cartes pour s’amuser dans les tavernes.

Dans les bars, les restaurants ou les soirées événementielles, là, le tarot n’est pas une affaire d’initiés. Chacun tente le coup : petit, grand, jeune, moins jeune, homme, femme, artisan, chef d’entreprise, incrédule, assidu…  » Les gens sont surpris, les sceptiques déconcertés ou décontenancés après une animation de voyance et c’est extraordinairement jubilatoire « , s’enthousiasme Marie-Laure Staudt voyante itinérante.

Nicolina, elle, préfère le  » café tarot « , qui se déroule sur le mode des réunions Tupperware. Elle se déplace chez des particuliers, à Bruxelles, qui possèdent suffisamment d’espace pour inviter une quinzaine de personnes. Elle refuse les consultations dans les bars traditionnels trop bruyants dans lesquels les mélanges d’énergies seraient peu propices à la concentration.

Du bar au cabinet

Selon Sandra, les mauvais voyants ne restent jamais très longtemps dans les bars… et on aurait même plus de chances d’avoir affaire à un voyant compétent dans un bar, parce qu’il exerce dans un lieu où il est privé de ses repères et où l’ambiance diffère de chez lui. Dans le décor zen du Music-Hall, un restaurant branché du VIIIe arrondissement de Paris, où 16 millions de couleurs programmées par ordinateur jouent un rôle très apaisant sur l’humeur des gens, la tarologue reçoit les clients, le lundi, après leur repas. Pour 15 euros, ils peuvent la consulter 10 minutes.  » Mais ça déborde toujours « , affirme-t-elle. Loin d’être insensible à son charme, la gent masculine se presse à sa table :  » Ici, je reçois plus d’hommes que de femmes, alors qu’habituellement ils sont plus réfractaires à la voyance.  » Le Music-Hall, avec son ambiance très feutrée, offre un cadre propice aux arts divinatoires. Il suffit qu’un client quitte sa table, pour entraîner les autres et lancer le mouvement.  » Ils ont parfois un peu peur du jugement de leurs amis, mais les gens osent plus franchir le pas aujourd’hui qu’il y a six mois.  »

Le mot d’ordre de Sandra est la confidentialité… surtout pour les couples. Elle découvre fréquemment des comportements infidèles entre conjoints qui viennent la consulter successivement. Même si elle a la réputation de dire la vérité, elle se refuse d’aborder tout ce qui concerne la mort ou la maladie. Pour les cas trop compliqués, elle donne sa carte pour un rendez-vous dans son cabinet. Le prix des consultations privées est beaucoup plus élevé : entre 80 et 130 euros. Ce premier contact au restaurant constitue donc un excellent moyen, pour la tarologue, de promouvoir ses talents.  » Cela peut m’amener une nouvelle clientèle, reconnaît-elle. Mais je viens surtout ici pour mon équilibre personnel. On se sent très seule, quand on fait ce métier. Au Music-Hall, on voit du monde et du beau monde. On s’évade un peu de ces tête-à-tête épuisants, qui vous pompent énormément d’énergie.  »

La réputation de Sandra se fait avant tout par le bouche-à-oreille.  » Elle m’a révélé des choses tout à fait exactes, affirme Pierre, visiblement bluffé. Notamment un déplacement professionnel aux Etats-Unis.  »

Sandra travaille aussi avec des sociétés d’événements. Ces dernières multiplient les animations dans les soirées people. Sortie d’un nouveau GSM, anniversaire d’une émission de télé… les demandes concernant les prestations de voyance sont en constante augmentation. Dans ce cas, les consultations sont gratuites et les tarologues sont rémunérés directement par l’organisateur. Sandra, elle, préfère pourtant que les gens la paient directement.  » Il faut qu’ils s’investissent, qu’ils me donnent quelque chose, justifie-t-elle. Sinon, je me choppe des énergies négatives…  »

Les tarologues du Bar sans Nom, dans le XIe arrondissement de Paris, proposent, eux, tous les mardis, des consultations gratuites. Trois disciples d’Alexandre Jodorowsky ( NDLR : célèbre tarologue, également cinéaste et écrivain) accueillent gracieusement des clients prêts à patienter et… à consommer avant de consulter. Psy ou encore prof de karaté dans la vie, ils revendiquent leur démarche – appelée tarot psychologique – totalement désintéressée.

Gare aux gourous

 » Je ne suis pas voyant, je ne prédis pas l’avenir, je parle du présent et du passé, rassure Moreno, bras droit d’Alexandro Jodorowsky. Il faut éviter de prendre le pouvoir sur l’autre, de le manipuler. Nous voulons simplement être utiles.  »  » Le tarot psy, c’est une communication à deux « , enchaîne Frédéric, le psy. Selon lui, prédire l’avenir ne sert, que si l’on peut éviter un problème à la personne.  » Dialoguer est plus intéressant que de se mettre entre les mains de quelqu’un, qui du coup va prendre un ascendant sur vous, et risque de vous manipuler en se prétendant voyant. Nous voulons rendre les gens responsables de leurs actes.  »

Les trois tarologues estiment que si l’on prédit un événement à une personne, celle-ci va s’arranger pour provoquer la prédiction. Or le tarot n’est pas la Bible et ils peuvent se tromper en le lisant. Les disciples de Jodorowsky louent unanimement l’enseignement de leur gouurou, généreusement prodigué dans des conférences gratuites. Un procédé troublant, qu’on ne peut s’empêcher de comparer à ceux utilisés par certaines sectes…  » Justement non, puisqu’à aucun moment, on ne fait payer « , rétorquent les trois disciples.

Plus qu’un simple effet de mode, la voyance infiltre toutes les sphères de la société. La religion n’apporte plus toutes les réponses, les arts divinatoires s’y substituent en partie. Mais ce boom de l’ésotérisme profite aussi aux charlatans prêts à exploiter la faille. Par leur côté convivial, les bars permettent une approche informelle de plus en plus prisée. Souvent associée à des massages ou à des animations zen, la voyance apparaît moins solennelle et plus ludique que dans un cabinet traditionnel. Consulter un voyant ou un médium dans un bar, un restaurant ou autres soirées événementielles n’est pourtant pas un acte complètement anodin. Même si les risques de dépendance dans un tel contexte sont faibles, les dérives sont toujours possibles. Mieux vaut donc être prévenu pour rester maître du jeu et garder les cartes en main.

Carnet d’adresses en page 80.

Laurent Van Roey

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