Avec érudition et drôlerie, Juliette Nothomb nous livre chaque semaine ses recettes, tours de main et réflexions culinaires. Tout un art, brodé à petits points avec un humour bien de famille.

A vous qui rêvez de pays lointains où croulent, sous des feuillages généreux et protecteurs, des grappes de dattes suintantes de sucre, des figues perlant un suc lacté ; ou alors, à des contrées encore plus reculées où le rose tyrien des fruits du dragon (ou pitahayas) flashe pour les pimpantes étoiles des caramboles, je dis : halte-là ! Pourquoi donc vous languir de saveurs exotiques qui ne sont guère exaltées que par la distance qui vous sépare d’elles, alors que notre douce patrie recèle jalousement un trésor qui n’apparaît qu’à l’intérieur de nos frontières – pas si étendues que cela, faut-il le préciser… – et nulle part ailleurs sur Terre. Je pense au rubis, au grenat, au corail de nos vergers : la cerise de Schaerbeek ou, plus familièrement, la  » courte-queue « .

Cousine bâtarde et ignorée des cerises acides comme la cerise du Nord, la griotte ou la montmorency, cette minicerise fait penser aux merises sauvageonnes que l’on trouve dans les petits bois de nos régions. Comme beaucoup de variétés précitées, elle a la particularité d’avoir une chair molle, peu sucrée, et un noyau qui reste attaché à la queue après dégustation, même si vos lèvres ont tiré aussi goulûment qu’un veau le pis de sa mère.

Tout comme les cueilleurs de champignons qui crèveraient plutôt que de divulguer leurs places, je vous dirai juste qu’il y a une dizaine d’années, j’avais découvert, au c£ur de Bruxelles, un bosquet de cerisiers de Schaerbeek. Habillée d’une robe rouge (pour les taches !), munie d’un panier et perchée sur le toit de ma vieille bagnole, je faisais mon abondante récolte citadine sous le chaud soleil de juillet et l’£il mauvais d’une concurrente qui connaissait l’endroit, elle aussi. Je feignais d’ignorer sa présence car ces fruits ne sont disponibles que de manière confidentielle sur certains marchés et pendant une ou deux semaines maximum.

Faites attention à de légers troubles intestinaux (sans commentaire…) si, comme votre servante, vous vous en mettez plein la lampe. En fait, la  » courte-queue  » n’est pas destinée à la dégustation telle quelle mais tout simplement à notre kriek nationale ; du moins, celle brassée par le bien connu et dernier artisan de Bruxelles. Je ne peux jurer de rien pour les versions industrielles, hélas… l

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