Maisons cubiques, terres caillouteuses battues par Eole et brûlées de soleil qui plongent dans une Egée bleu encre : les îles font partie du mythe grec. Aussi belles que méconnues, Andros et Tinos constituent des petits coins de paradis insolites.

Deux heures de mer. Il n’en faut pas plus pour changer de monde. Entre le port de Rafina et Gavrio, on passe de la trépidante Attique à Andros la sauvage, une île qui ne ressemble à aucune autre des Cyclades. Premier choc entre Gavrio et Chora, où la route grimpe la chaîne de montagnes centrale : les prairies battues par les vents et délimitées par des hautes dalles de schiste – les xérolithia – forment un balcon au-dessus de l’eau. Le paysage prend des airs d’Irlande. En réalité, ce sont trois impressionnants massifs qui traversent Andros de part en part. Un relief qui, jusqu’il y a peu, limitait les contacts entre les vallées, induisant des particularismes et parfois même des méfiances entre villages. Les anciens se souviennent qu’à Sténiès, tout étranger qui avait la mauvaise idée de traverser était chassé à coups de pierres. Village de marins oblige, les habitants redoutaient l’infidélité des épouses durant l’absence des hommes !

FIEF D’ARMATEURS

Andros est verdoyante, très différente des Cyclades pelées et desséchées que sont Mykonos ou Kythnos. Car même s’il n’y pleut pas durant la moitié de l’année, les rivières coulent 365 jours par an grâce aux fortes précipitations hivernales et au sous-sol schisteux. C’est unique dans l’archipel. L’hiver dernier, les cols ont même été coupés à plusieurs reprises en raison d’une accumulation de près de 2 mètres de neige. Légumes et fruits, tout pousse sur Andros. Ses vergers d’agrumes sont renommés. Jusqu’au XIXe siècle, l’île produisait même de la soie grâce à la culture du mûrier, dont les vers à soie se nourrissent. Au cours du temps, les agriculteurs ont développé un ingénieux système de partage de l’eau, consigné dans d’anciens contrats très précis qui stipulent les modalités en fonction des heures mais surtout… de la position des étoiles. Lorsque le débit de la rivière est puissant, le temps d’irrigation n’est parfois que de quelques minutes.

 » Ici, c’est le paradis « , lance Ioanna, qui loue quelques chambres à la lisière de Chora, sur la façade orientale de l’île. De chez elle, la vue sur la plage et la petite ville est imprenable. Posée sur un éperon rocheux, Chora joue le rôle de chef-lieu. Néanmoins, les pâtisseries au charme désuet, les  » pantopoleia « , ces échoppes où l’on trouve de tout, et les petits cafés font flotter un parfum de vieille Grèce jusque dans la rue principale. Et l’on ne compte plus les magnifiques façades néoclassiques, héritage de son passé maritime, lorsque Andros était le quartier général d’une fantastique flotte commerciale. Les armateurs ont émigré en grand nombre à Athènes ou à l’étranger, tout en restant très attachés à leur terre, où ils se sont fait construire de somptueuses demeures. Certains, passionnés d’art, ont même créé des musées prestigieux. La vie culturelle est du coup particulièrement intense au regard de la faible densité de population de l’île. Ainsi, pendant longtemps, devenir marin était une évidence. Le père de Ioanna, Antonios, l’est devenu à 16 ans.  » A l’époque, raconte-t-il, trois mois avant la fin de l’école, nous savions déjà tous sur quel bateau on embarquerait pour débuter notre carrière.  »

SENTIERS DU PASSÉ

Arrivée d’Athènes il y a plusieurs années, Olga Karayiannis se plaisait à parcourir les chemins d’Andros. En 2009, elle décide de recenser et restaurer les nombreux sentiers oubliés ou mal entretenus. Depuis, elle a fait des émules et, chaque printemps, des volontaires viennent, même de l’étranger, l’aider à nettoyer et débroussailler, réparer les murets, remplacer les plaquettes d’orientation et vérifier les signes peints sur la roche. Résultat : un beau réseau qui quadrille l’île, traversant des villages perdus, serpentant entre les jardins et les potagers. Au départ d’Apikia, le sentier 8 est peut-être l’un des plus enchanteurs : bordé de sources et de fontaines pour s’abreuver, longeant un temps la rivière Gialia, une tour, une ancienne magnanerie, un immense moulin hydraulique en ruine, avant d’offrir une incroyable vue plongeante sur la mer Egée. Arrêtée ici et là par la pointe de hauts cyprès qui s’élèvent comme des cierges au-dessus du maquis. Olga explique que, quand une fille naît, la famille plante un cyprès. Seul arbre à pousser droit malgré les vents qui soufflent régulièrement sur l’île, il est destiné à servir de dot, en plus de protéger les cultures.

Comme partout en Grèce, Andros abrite de très beaux sites religieux. Il ne faut pas manquer le monastère de Panachrantos. La route qui y mène est déjà un régal en soi. On titille les 1 000 mètres d’altitude avant de redescendre un peu vers la vallée de Messaria. L’édifice, plus que millénaire, apparaît soudain, accroché au rocher comme une forteresse byzantine. Accueil plein d’humour. Frère Philaretos nous propose d’échanger notre appareil photo contre un lopin d’oliviers et quelques volailles. Puis les trois moines nous invitent à partager quelques gâteaux et du café dans la loggia. Le panorama porte sur toute la vallée jusqu’à la mer. Le plus âgé des moines, Evdokimos, 82 ans, est une vraie personnalité nationale. Fin cuisinier, il se fait un plaisir d’assurer l’intendance après une fête ou un office, et il vient même de publier un livre de recettes…

TINOS, L’ÎLE AUX PIGEONNIERS

Dans le prolongement d’Andros, Tinos se révèle une île tout aussi attachante, notamment pour ses villages hors du temps, parfois haut perchés ou cachés dans le recoin d’un vallon. Un lieu connu de tous les orthodoxes, qui y viennent en pèlerinage. Lors des fêtes du 25 mars (Annonciation) et du 15 août, c’est la grande foule à Tinos-ville : les fidèles, parfois des malades en quête de guérison, remontent l’avenue pavée qui mène à l’église Panagia Evangelistria. Le tapis rouge longeant le trottoir n’est pas destiné à une célébrité en visite, mais bien à soulager ceux qui font le parcours… à genoux ! De la petite ville, les routes qui grimpent en pente raide vers l’intérieur de l’île sont la promesse d’excursions palpitantes, dans des paysages ciselés par l’homme. A commencer par le couvent de Kechrovouni. Un village en soi, aux murs couverts de chaux qui abritent encore une trentaine de soeurs. C’est ici que la nonne Pélagie aurait vu la Vierge lui annonçant l’endroit où trouver une icône peinte par Saint-Luc, prélude au célèbre pèlerinage.

Si de nos jours, le blanc qui habille les villages cycladiques est presque une marque de fabrique, ceux-ci étaient jadis construits dans les matériaux les plus discrets qui soient, souvent de la même pierre que le sol, pour ne pas être visibles depuis la mer, infestée de pirates. Les maisons immaculées de Kardiani semblent à présent posées comme un capuchon de neige sur la falaise. De la roche, suintent de nombreuses sources qui sourdent même dans certaines maisons. Trois églises pour un seul petit village, voilà qui est inhabituel. C’est que Kardiani, comme d’autres entités de l’île, compte aussi une forte communauté catholique. Héritage de la présence vénitienne, de deux siècles plus longue que dans les autres Cyclades. Beaucoup de Tiniotes descendent d’ailleurs de familles patriciennes issues de Venise, et la Sérénissime a laissé une autre empreinte : des centaines de pigeonniers. Certains constituent de véritables oeuvres d’art aux façades dentelées ou ornées de figures (soleils, triangles, cyprès…). On en trouve partout, mais particulièrement dans le centre et à l’est de l’île. Agapi est l’un de ces villages perdus au bout d’une minuscule route, entouré de nombreux pigeonniers. Une seule ruelle le traverse de part en part, comme un chemin de ronde. Au milieu, près de l’église, un improbable petit café, comme surgi d’une autre époque. A l’intérieur, deux tables seulement, autour desquelles les anciens devisent en triturant nerveusement leurs komboloi (chapelets). Et un balcon perché au-dessus du ravin, pour siroter un café frappé. On ne quitte pas Tinos sans visiter Tarambados et ses passages voûtés, Volax enfoncé dans un paysage de gros rochers et réputé pour ses vanniers, ou encore Pyrgos, capitale du marbre. Autant d’apaisantes et délicieuses parenthèses intemporelles.

PAR ÉRIC VANCLEYNENBREUGEL

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