Dans un monde vécu comme de plus en plus anxiogène, la famille reste la valeur refuge numéro un. Conséquence : loin des vacances all inclusive à Zoubida et buffet pizzas, le voyage  » enfants admis  » commence à séduire une clientèle de parents en quête de lien.

Pablo avait deux printemps, Julie huit, quand elle les a emportés dans sa valise. Direction la Californie, en mode camping. Martine, la quarantaine, look  » créateurs « , n’a rien d’une baba cool vintage. Juste une mère qui  » [s’] ennuie au bout de deux secondes à la plage  » et veut  » bâtir des souvenirs, ouvrir ses enfants au monde, à la différence « . L’été dernier, Pablo avait 12 ans, il a vu le Vietnam, option circuit découverte, street-food et dodo chez l’habitant. Première expérience extra-européenne depuis l’aventure américaine. Question d’argent, mais pas que.  » D’envie, aussi. Entre-temps, on a visité l’Italie, l’Espagne, la Grèce avec la même philosophie : se plonger dans une culture, goûter, sentir, marcher, vivre des moments authentiques.  » Comme celui-ci, que Martine raconte avec les yeux d’une môme – forcément :  » Un soir, nous avons partagé le logis d’une famille vietnamienne, dans la montagne, on dormait dans un pavillon en bois. Pablo jouait avec le gamin, je préparais la cuisine avec la mère et les hommes se sont réveillés à trois heures du matin pour assister à la finale du Mundial. On ne se comprenait que peu, mais on a vécu un moment génial !  » Comme tout cela a l’air tout beau, tout simple n’est-ce pas ?  » Faut pas croire, tempère Martine. Quand les enfants étaient petits, on respectait leur petit côté casanier, un jour sur deux, on bullait en pyjama. « 

Virginie August-Dormeuil, maman parisienne de trois marmots qui a conçu en 2009 le site Internet avec-mes-enfants.fr pour combler selon elle  » le manque d’infos quand on souhaite préparer un voyage en famille « , ne dit pas autre chose :  » Voyager avec ses enfants suppose d’adopter un rythme tranquille. L’idéal est d’alterner les visites avec des vrais instants de détente pendant lesquels les petits pourront bouger et courir sans contrainte : pique-nique, moments cool à jouer dans la chambre d’hôtel, la plage ou la piscine. « 

Signe des temps, à l’attention de ces pères et mères qui boudent les clubs de vacances, les éditions Lonely Planet viennent de sortir leur premier guide en français exclusivement consacré au sujet (*). Cet opus, se revendiquant  » Bible du parent voyageur « , analyse le potentiel ludique de 80 destinations, détaille la qualité des structures d’accueil, présente les spécialités culinaires adaptées aux mini-gourmets. Doublé d’un carnet de vingt pages de conseils et astuces pour éviter les mauvaises surprises (sanitaires, administratives…), l’ouvrage est le fruit d’auteurs Lonely Planet chevronnés. Tel Jean-Bernard Carillet, spécialiste du Pacifique Sud et de l’Afrique sub-saharienne :  » Le public semble mûr, constate-t-il. Jusque dans les années 70, on partait tous en voiture à la Côte d’Azur. Depuis les années 80, on sent une évolution, à ce moment-là un processus s’est engagé, il s’est confirmé dans les années 90 chez les Anglo-Saxons et depuis les années 2000 il devient à la mode un peu partout en Europe.  » Selon lui, la tendance à mieux partir ensemble ne peut que se développer, société de consolation oblige :  » On aspire de plus en plus à se retrouver en famille, à renouer avec des valeurs de base que le quotidien écorne.  » Le rythme un peu schématique de nos vies occidentales domptées par le travail – et la peur de le perdre – laisserait trop peu de place aux émotions. Ces voyages  » de retrouvailles  » dans un cadre enchanteur et inédit seraient un des meilleurs terreaux pour les faire éclore à nouveau.

C’est en tout cas dans ce créneau que le tour-opérateur Terres d’Aventure s’est engouffré il y a quinze ans. Spécialisée dans les randonnées pédestres à travers le monde, la société revoit chaque année ses offres famille à la hausse – 172 disponibles contre une quinzaine au départ.  » On existe depuis trente-cinq ans, explique Gérard Noyer, directeur de l’antenne bruxelloise de la société. Les marcheurs qui partaient avec nous au début ont vieilli, ils veulent transmettre leur passion à leurs enfants. Aujourd’hui, plus ou moins 30 % de notre chiffre d’affaires découle de là. C’est une réelle progression, un bouleversement dans le comportement d’achat. Je récupère pas mal de déçus des clubs qui recherchent quelque chose de moins formaté : le club tient encore la première place sur le marché mais l’aventure prend clairement du galon.  » Bivouaquer dans le Sahara marocain, se plonger dans les forêts du Costa Rica, découvrir les parcs animaliers de l’Afrique noire, les gosses ne se refusent plus rien.

Chez Connections, on confirme le phénomène au niveau urbain :  » On ciblait les adultes, au début. Mais depuis les années 90, les citytrips de deux à cinq jours en famille dans une ville sont de plus en plus demandés, constate Patrick Depauw, directeur marketing du TO belge. Connections est d’ailleurs occupé à négocier des formules familles pour nos destinations à succès, comme New York pour laquelle on dispose déjà d’une offre kids. « 

Un enthousiasme presque unanime que tempère Marc Lambert, représentant des prestataires de niche à l’Association belge des tour-opérateurs et animateur d’Antipodes, TO expert des destinations lointaines comme l’Australie ou la Nouvelle-Zélande. Selon lui, si le tourisme en famille existe, il concerne encore une portion congrue de la clientèle belge dès lors qu’il s’agit de s’envoler au bout du monde :  » Pour les Belges, les congés riment avec vacances, pas avec voyage, regrette-t-il. Ils ne prennent pas de long-courriers avec leurs enfants. Ils sont à cet égard différents des Anglo-Saxons. Notre offre famille, qui contient entre autres la visite des lieux de tournage du Seigneur des anneaux en Nouvelle-Zélande intéresse à 90 % nos clients britanniques ou scandinaves.  » Jean-Bernard Carillet nuance :  » Bien sûr que les destinations lointaines ne concernent qu’une petite partie des demandes en France et, je dirais, dans les pays latins. Question de mentalité : longtemps, il a été tabou d’exposer l’enfant au danger, même si ce danger est souvent fantasmé. Les Anglo-Saxons, pionniers dans cette démarche sont eux plus ouverts, il est vrai, ils ont moins de réticence à exposer leur progéniture à la vie  » normale « . Mais comme je le disais, les choses évoluent : le Maroc, par exemple, qui est abordable financièrement et offre un attrait exotique aux portes de l’Europe est devenu le royaume de la famille. Cela constitue un changement pour une destination qui, il y a vingt ans, n’était que balnéaire et destinée aux treks sportifs. Je dirais que c’est la parfaite initiation pour un premier voyage.  » Pas si loin mais déjà à mille lieues de l’initiation à La Zoubida et des buffets pizzas.

(*) Voyager avec ses enfants. La bible des parents voyageurs, Lonely Planet, 224 pages.

Carnet d’adresses en page 64.

PAR BAUDOUIN GALLER

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content