Depuis que l’homme est homme, l’image qu’il a de lui-même est liée à l’idée qu’il se fait de sa virilité. Laquelle, depuis trente ans, fluctue au gré des modes et des changements sociaux. Une histoire de peau et de poils analysée par le philosophe Bernard Andrieu.

De Cro-Magnon au métrosexuel, l’homme a changé. Le regard qu’il porte sur lui-même et sa pro-pre beauté en a-t-il été modifié ? Les chercheurs de l’Observatoire Nivea (comité scientifique constitué à l’initiative de la marque à la célèbre boîte bleue) passent la question au crible dans leur Cahier n° 9 (1) intitulé De nouveaux hommes ? Bernard Andrieu, philosophe qui a travaillé à cette étude et auteur de précieux ouvrages sur le rapport au corps, explique pourquoi il ne suffit plus aux garçons d’être forts, mais aussi agréables à regarder sans s’en sentir coupable. Si le mâle occidental ne s’est pas encore défait de tous les repères classiques de la virilité, il développe néanmoins un goût grandissant pour l’autobronzant et les produits dépilatoires…

Les hommes font de plus en plus attention à leur peau, pourquoi ?

Parce qu’ils y ont découvert du plaisir. La cosmétique, aujourd’hui, pousse les hommes à établir avec eux-mêmes une relation apaisée. Se toucher et prendre soin de soi n’est plus un tabou qui menacerait la virilité mais va au contraire dans le sens d’un souci du bien-être et d’une apparence adoucie.

La cosmétique a donc changé le rapport des hommes à leur corps ?

Incontestablement. Dans les années 1980, les pionniers de la cosmétique masculine ont introduit l’idée qu’il existait une  » peau mâle  » et donc des produits spécifiques destinés à l’entretenir, voire à l’améliorer ou à réparer les dégâts causés par les excès d’une vie trépidante. L’époque était à la renarcissisation et le soin s’inscrivait dans ce culte de la performance. A partir des années 1990 apparaît le modèle de la génération  » sensation  » et  » sports extrêmes « , dont les icônes se nomment Eric Cantona, Zinédine Zidane ou Bixente Lizarazu. La cosmétique varie son offre pour coller à la diversité des communautés et des tribus sociologiques, et les consommateurs commencent à utiliser le soin comme le moment d’une découverte physique inédite, d’un nouvel hédonisme.

Aujourd’hui, quels sont les modèles de la beauté masculine ?

Il y en existe deux : le métrosexuel, grandconsommateur de cosmétiques, d’autobronzants, voire de médecine ou de chirurgie esthétique, et l’übersexuel, assez macho mais tendre. Le premier est incarné par David Beckham, dont l’image se construit sur le métissage de caractères gays et d’une virilité sûre d’elle-même, le second entretient soigneusement sa  » mâle attitude « , type barbe de trois jours, cheveux plus ou moins broussailleux, mais avec moins de narcissismeque le précédent. Exemple type : George Clooney.

On dit que les hommes s’épilent de plus en plus ?

Plus vous contrôlez votre pilosité, plus vous montrez que vous prenez soin de votre corps. Mais, de fait, la traque au poil concerne surtout ceux que l’on voit ou ceux qui sont trop blancs… Outre le rejet du côté  » préhistorique  » d’un système pileux abondant, on cherche à gommer les signes de vieillissement, synonymes de perte de vigueur. Le problème n° 1 de l’homme demeure l’impuissance. Sur ce point, rien n’a vraiment changé…

La réappropriation du corps passe aussi par le massage ?

On constate, c’est vrai, que les hommes y ont de plus en plus recours. Bien sûr, parce que le massage est une manière simple et naturelle de se soigner, mais surtout parce qu’il permet de découvrir son corps d’un point de vue tactile. C’est vraiment nouveau, puisqu’en Occident les hommes n’ont pas d’éducation sensorielle, contrairement à l’Orient, où les bains et l’usage des huiles corporelles perpétuent une tradition de plaisir.

En matière de beauté, quelles sont les différences majeures entre les sexes ?

Depuis les années 1970, les hommes s’entretiennent pour produire de la forme, donc de l’apparence, de la force visible. Les femmes le font dans un but plus global, considérant qu’il s’agit aussi de se faire du bien psychiquement, et surtout en prenant leur temps. Chose difficile à comprendre pour leurs compagnons, qui recherchent l’efficacité immédiate. Du coup, ils restent peu sensibles aux cures ou aux soins antiâge. Mais cela tient aussi à ce qu’aujourd’hui encore l’homme est enfermé dans son image de mâle au corps performant.

Quel homme pour demain ?

Pour moi, les trois mots-clés sont : hybridité, auto-santé et holistique. Hybridité, parce que les hommes vont de plus en plus mixer les produits pour une beauté à la carte. Auto-santé, parce que chacun va se soigner en picorant dans la diététique, la cosmétique, voire les implants corporels (les hommes forment déjà 40 % des clients de thalasso et 30 % de ceux de la chirurgie esthétique). Holistique, parce qu’ils vont progressivement prendre en compte l’ensemble de leur être dans leurs pratiques. La cosmétique devenant un moyen majeur pour chacun d’affirmer ses valeurs et sa place dans la société.

(1) www.observatoirenivea.com/cahier_all.aspx

Carnet d’adresses en page 48.

Propos recueillis par Charlotte Brunel

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