Cap au sud-ouest du Caire vers des dunes inviolées, une mer de sable et de rochers : le désert libyque. Avec ses superbes palmeraies, Kharga, Dakhla, Farafra, Baharia et Siwa préservées du tourisme de masse.

Carnet de voyage en page 62.

L e désert libyque s’ancre en Egypte pour déborder sur la Libye, le Soudan et le Tchad. C’est en 4 x 4, sur une route asphaltée, que commence le voyage dans des étendues de solitude. Trois millions de kilomètres carrés de sables et de dépressions à l’ouest de la vallée du Nil. Avec ses cinq millimètres de pluie par an (le Sahara en reçoit 100), c’est le désert le plus aride du monde. Dakhla, l’oasis la plus éloignée du Caire, s’enfonce dans une dépression entourée de falaises roses. Pas de bivouac mais un hébergement rustique à Mout, sa capitale, et un repas de tameyas, une purée de fèves cuisinées en ragoût.

Cap sur la vieille cité pour visiter la mosquée Ayyubid et la madrassa (l’école) du xe siècle. L’oasis, constituée de 14 villages, s’étend sur 60 km. Elle a conservé l’habitat traditionnel : maisons de briques crues recouvertes d’un mélange de terre, de sable et d’eau. Avec des champs et jardins riches de mûriers, de dattiers, de figuiers, d’abricotiers. Tous les jours, les paysans luttent contre les dunes qui menacent leurs vergers pour préserver riz, blé, oignons, cacahuètes et oliviers. Les  » saqiyas « , des roues à aubes en bois de palme avec des réceptacles en argile actionnées par des b£ufs, tournent encore à plein régime, symboles d’une autre époque.

La route passe par Bir al Gabel, un lac salé bordé de palmiers, pour conduire ensuite à une ancienne cité fortifiée, El-Qasr, élevée sur les fondations d’un village romain. Le pisé, mélange de boue et de paille, a résisté au temps grâce à l’absence totale de pluie. Tout en haut domine la colline de Mouzawaka,  » la colline aux dessins « , avec les tombes peintes de Pétosiris et de Pétubastis datant du ier siècle après Jésus-Christ. Avec ses belles surprises : les styles égyptien et grec s’y mélangent étrangement. Cinq mastabas en briques, dont celle du gouverneur de l’oasis à la fin de l’Ancien Empire, Medounefer, s’alignent en rangées près du village de Balat. Elles ont été découvertes grâce à un violent vent de sable, par l’archéologue égyptien Ahmed Fakhry en 1971. La preuve que Dakhla jouait un rôle administratif important dans l’ancienne Egypte.

Kharga, la moderne

Deux cents kilomètres séparent Dakhla de Kharga qui s’étire sur un ancien lac. Héritière d’un passé tumultueux, Kharga a vu défiler les caravanes qui venaient du Soudan pour gagner Assouan et commercer avec les tribus nubiennes. La ville moderne, capitale de la Nouvelle Vallée créée par Nasser en 1959, s’étale le long d’avenues bordées de HLM. Mille Nubiens vinrent s’y réfugier après la création du lac Nasser. A 10 km du centre, pas moins de 260 chapelles nestoriennes en briques crues de la nécropole copte d’Al Bagawat forment une cité des morts chrétienne. Tandis qu’au pied des collines de Bagawat, à la limite d’une palmeraie, se dresse le grand temple d’Hibis élevé par le roi perse Darius Ier. D’immenses bas-reliefs sur les murs extérieurs représentent le roi en train de vénérer les dieux égyptiens. Aujourd’hui, le temple trône au milieu d’un jardin de palmiers, de dattiers et d’acacias. L’oasis tire son eau, depuis l’époque perse, d’une nappe phréatique à 70 mètres de profondeur. Les antennes de télévision, les poteaux électriques et le passage du  » rallye des Pharaons  » relient désormais l’oasis au monde.

A l’extrémité méridionale de l’oasis, limite de la pénétration romaine dans le désert libyque, le temple de Douch abrita, jusqu’au ive siècle, des soldats montés sur dromadaires. Ils assuraient la sécurité des agriculteurs qui vivaient dans cette petite métropole régionale et encaissaient les taxes sur les produits venus d’Afrique. Le temple, désensablé, porte les cartouches de Domitien, d’Hadrien et d’Antonin le Pieux. Il s’appuie sur une forteresse en briques crues qui culmine à 120 mètres au-dessus de la plaine vide jonchée de milliers de morceaux de jarres.

Farafra et le désert blanc

Le premier récit historique relatif au désert libyque, cette ancienne mer asséchée parsemée de coquillages et de fossiles divers, nous vient d’Hérodote. C’est dans la grande mer de sable, quelque part à l’ouest-nord-ouest de Farafra qu’en 525 av. J.-C. l’armée de Cambyse, roi des Perses, disparut tout entière dans les dunes. 50 000 soldats, partis à la conquête de Siwa, des milliers de montures, des armes d’or et d’argent furent engloutis dans la tourmente. Un fabuleux trésor dort sous les dunes ! Cette disparition a nourri bien des légendes comme celle de Zerzura, une oasis qui hanta les rêves des voyageurs. Dans les années 1920, des missions motorisées partirent du Caire avec à leur tête le prince égyptien Kemal el Din et le comte hongrois, Laszlo Almasy. Dix ans plus tard, Almasy situa l’oasis quelque part à l’est de Koufra et à l’ouest de Dakhla. Le film  » Le Patient anglais « , de Anthony Minghella (1997), s’inspira d’ailleurs de la vie de ce  » père du désert  » (ainsi surnommé par les bédouins), soupçonné plus tard d’espionnage en Egypte au service de Rommel et de l’Allemagne nazie. Zerzura aiguisa aussi la curiosité du scientifique Théodore Monod qui y consacra les dernières années de sa vie. Dans cette même région, sur le plateau du Gilf Kébir, le savant partit à la recherche d’un autre mystère : des morceaux de quartzite qui jonchent le sol de couloirs interdunaires. Un verre d’origine mystérieuse, de couleur jaune à vert clair, qu’il baptisa  » verre libyque « .

Farafra, appelée la Blanche en raison du désert crayeux qui l’isole, s’offre ensuite au regard : avec des maisons de briques séchées, souvent peintes en bleu, pour éloigner le mauvais £il. Six heures du matin. Le désert blanc de Farafra s’éveille dans un décor sculpté par le fantasque dieu Eole. Les rochers de craie en forme de grosses meringues jouent avec le soleil levant. Sommes-nous toujours sur la Terre, perdu dans cet océan de sables venus du fond des âges ? Le temps ne compte plus au royaume du vent, du silence et du soleil.

Siwa

Reflet bleu dans une clairière, au c£ur du désert, la profusion de l’eau surprend. Siwa, le jardin aux mille sources, se situe dans une dépression de dix-huit mètres au-dessous du niveau de la mer. Une ceinture de lacs salés autour de la palmeraie accentue son aspect lunaire. L’eau jaillit des profondeurs, fraîche en plein midi, tiède dans la fraîcheur du soir, chaude dans la nuit froide. Les sources peuvent-elles expliquer le mystère de l’oracle ? L’eau se dit  » Aman  » en siwi. Les Egyptiens ont peut-être rapproché cette eau mystérieuse de leur dieu  » Amon « ,  » le caché  » qui favorisait les inondations du Nil. Surgissant d’une mer de palmiers, la citadelle d’Aghourmi, château fantastique, continue de s’effondrer sous la caresse d’Amon qui fut aussi le dieu des vents. Les ruines du temple de l’oracle, l’un des grands sites du monde antique, dominent l’immense palmeraie et les lacs salés de l’oasis formés par l’accumulation des eaux des sources. Le plus célèbre pèlerin de l’oracle fut Alexandre le Grand, le fondateur d’Alexandrie. Avec quatre jours d’eau pour traverser le désert, il n’avait aucune chance d’arriver jusqu’ici. Mais les dieux étaient de son côté :  » des nuages voilèrent le ciel, un orage qui éclata provoqua une pluie abondante… « . Il arriva enfin pour s’entendre dire par le dieu de l’oracle :  » Je te salue mon fils ! « , le consacrant ainsi pharaon.

Michèle Lasseur

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