Le Belge Frank Cornelissen a choisi pour terre d’adoption le versant nord de l’Etna. Cap sur la Sicile pour découvrir son petit monde en altitude où, avec conviction, il élabore le magma rosso un vin à nul autre pareil.

Carnet d’adresses en page 114.

Frank Cornelissen…  » Ce Belge-là fait le meilleur vin de toute l’Italie « , assure Andrea Franchetti, l’un des grands noms de la viticulture italienne, propriétaire du domaine toscan Trinoro (Val d’Orcia), qui produit lui-même un des vins les plus exclusifs de la Péninsule. Né dans une famille limbourgeoise d’amateurs de vins, Frank a commencé sa cave personnelle dès l’âge de 14 ans, le jour où il a consacré ses premières économies à l’achat d’une caisse de Romanée Conti 1972. Jusqu’au milieu des années 1990, le vin n’est toutefois pas sa première priorité. Féru de sports de l’extrême, alpiniste chevronné, il compte à son palmarès nombre de solitaires hivernales, réalisées sur les différents versants des Alpes. Mais, petit à petit, son virus d’adolescence le reprend. Il s’intéresse aux vins italiens et parcourt la Péninsule, des hauteurs du Piémont aux profondeurs des Pouilles. C’est ainsi qu’il arrive un soir à Modica, un des trésors de l’architecture baroque sicilienne. La Fattoria delle Torri est un restaurant installé dans les splendeurs d’un petit palais du xviie siècle. En été, on y mange dehors dans un joli jardin de citronniers. Massimo Ruffino, le sommelier, fait découvrir au jeune homme un Etna Rosso, un vin rouge cultivé sur le versant nord du volcan. L’amoureux de la montagne est séduit par ce terroir si particulier.

Pour retrouver Frank aujourd’hui, il suffit de prendre pour repère la côte orientale de la Sicile, de pointer Taormina et d’aller vers l’ouest. La superstradale 120 longe les contreforts de l’Etna, et relie Linguaglossa à Randazzo. C’est le long de cette route, dans le petit village-rue de Solicchiata qu’il vit avec son amie Yoko Sano, une sommelière japonaise rencontrée au salon du vin de Vérone. Son domaine viticole couvre 4,5 ha. Les vignes sont situées au sud de son village, entre 750 et 930 m d’altitude.  » Je voulais élaborer un vin qui soit le plus naturel possible, presque le plus primitif, explique-t-il. Il existe peu de terroirs au monde qui permettent de ne pas traiter la vigne.  »

Frank est intarissable sur la vigne Barbabecchi :  » Dès que le soleil pointe son nez à l’est, les conditions de ventilation sont exceptionnelles. Comme autrefois, il y a ici et là un pied de blanc pour le vin de table. Mais tout le reste c’est du nerello mascalese, reconnaissable par ses longues grappes aux raisins compacts. Les pieds ont environ 70 ans, ils ne sont pas greffés, ce qui veut dire que ce sont des vignes européennes, comme avant le phylloxera.  »

Moitié barolo, moitié pinot noir, c’est ainsi que Frank présente son nerello mascalese, ce cépage encore méconnu. Du pinot noir, le nerello mascalese possède la finesse, la dentelle, la fluidité aromatique et, du barolo piémontais, le caractère tannique. Mais avant d’en arriver aux premières bouteilles qui sont actuellement commercialisées, celles du millésime 2001, il en a fallu du temps, de la patience et, plus encore, de la détermination. Favoriser l’action de la nature dans la vigne et celle du terroir dans la cave, en intervenant le moins possible sur la plante comme sur le vin… Tel est le credo du Belge :  » Comme autrefois, vous trouverez des arbres fruitiers dans mes vignes : des pommes de l’Etna, des prunes, des abricots, de la pêche de montagne. Vous trouvez aussi des ruches. Dès qu’un insecte non désiré s’annonce, il trouve rapidement un de ses prédateurs sur place.  »

Pour des raisons similaires, le travail du sol est limité, voire inexistant ; la vigne trouvant ici un équilibre avec la couche herbacée. Les rendements sont limités, pas plus de 350 grammes de raisin par pied de vigne. Et, petit secret, la vendange ne se déroule jamais avant les premiers jours de novembre, de manière à récolter un raisin le plus mûr possible et, en conséquence, éviter l’acidité souvent reprochée au nerello mascalese. De telles décisions peuvent pourtant s’avérer bien périlleuses. Ce fut le cas de cette première partie d’automne 2003, lorsqu’il s’est mis à pleuvoir en octobre sur le versant nord de l’Etna. Grain après grain, Frank et son équipe de vendangeuses ont dû nettoyer les grappes et jeter une bonne partie de la récolte. Fort heureusement, ce n’est pas le cas pour l’année 2004 qui s’annonce extrêmement équilibrée.

A la cave s’effectue un autre travail méticuleux. Une fois égrappés, les raisins mûrs sont foulés aux pieds, par Frank lui-même. A ceux qui s’en étonnent, il a une réponse sans appel, qui ne convaincra pas les sceptiques :  » Pour moi, c’est une question d’énergie, je pense qu’ainsi il se forme une sorte de contact plus fort avec le vin.  » Une fois pressés, le jus et les peaux sont transvasés dans des jarres en terre cuite.  » Puisque j’ai pris la décision de faire des vins authentiques, avec une expression maximale du terroir, ce serait contradictoire d’utiliser des barriques dont le bois neuf va couvrir les arômes du vin, poursuit Frank. Et le bois, même de grands fûts de cinquante ans, laisse des notes balsamiques dans le vin. C’est vrai que j’aurais pu choisir l’inox ou le ciment vitrifié, mais cela ne respire pas. La terre, oui « .

La terre cuite, Frank l’a découverte en Géorgie, anciennement soviétique.  » La vigne et le vin nous viennent de la région du Caucase, souligne-t-il. Il m’a donc semblé qu’il fallait me rendre compte sur place. En Géorgie, on fait encore le vin dans de grandes jarres en terre cuite. Mais les vignerons utilisent de la terre relativement poreuse, et ils la colmatent avec de la cire d’abeilles ; ce qui me pose problème.  » Frank part alors à la recherche de jarres en terre cuite qui peuvent le satisfaire, de celles dont la terre possède la bonne porosité : elle respire et laisse donc passer la vapeur mais elle ne suinte pas. Il les déniche en Espagne, dans un recoin de la Mancha espagnole, ou un seul potier les fabrique encore pour les besoins des vignerons de sa région. Frank, lui, passe aussitôt commande, de belles amphores de 350 litres mais aussi de 250, 200 et 150 litres. Il peut ainsi répartir les volumes produits par parcelle et remplir les récipients à ras bord, de manière à éviter l’excès d’oxydation.

Ces jarres, on les retrouve enfouies jusqu’à la gueule dans sa cave entourées de poussier de lave du volcan, ce qui garantit à la fois une isolation thermique et une résistance aux chocs lors des secousses telluriques que porte ici et là le volcan toujours actif. C’est là, dans ces amphores enterrées, en limitant les interventions humaines au strict minimum que Frank élabore son Magma rosso,  » le  » vin rouge de référence du domaine,  » une sélection extrêmement rigoureuse de mes terroirs « . Le nec plus ultra des grappes des meilleurs vignobles. Début décembre prochain, la vendange 2002, soit environ 825 litres, sera mise en bouteilles

Le Magma a déjà séduit les grands connaisseurs qui l’ont goûté. En bouche, on pense d’abord à la cendre du volcan, à ce fameux terroir que Frank souhaite exprimer. De suite, cette minéralité intense s’accompagne de la dentelle du pinot noir. Le reste est laissé à la méditation personnelle. Car ce vin invite à fermer les yeux.  » J’élabore aussi un autre vin, plus simple, le Rosso del Mongibello, signale aussi Frank. Il s’agit d’un assemblage de deux vignobles. Mon objectif est d’arriver dans les prochaines années à produire 6 000 à 8000 bouteilles, réparties en trois ou quatre vins de qualité et de niveau de prix différents.  »

Texte et photos : Jean-Pierre Gabriel

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