Véritable oasis au bord du désert, le rivage libyen recèle deux des plus belles cités gréco-romaines. Des trésors que le pays dévoile depuis peu aux voyageurs.

Plus réputée pour son colonel et son pétrole que véritablement connue, la Libye et ses 1 700 kilomètres de côtes recèlent des trésors biens gardés. Sauvages et très peu habités, à l’exception des grands centres urbains de Tripoli et de Benghazi, les rivages libyens constituent une terre touristique presque vierge, dévoilant ses mystères à mesure que le pays se défait de sa sulfureuse renommée, depuis la suspension de l’embargo, en 1999. Enserrées entre désert saharien et Méditerranée, les côtes sont de véritables oasis dans un pays occupé à 93 % par le désert. Sur cette bande large d’une centaine de kilomètres, les montagnes verdoyantes du djebel Nafusa, à l’ouest, et du djebel Akhdar, sur la côte orientale, viennent se fondre dans le bleu de la mer, quand la terre vient finir sa course en un doux manteau de sable fin entrecoupé de criques difficilement accessibles. Enchâssées entre plaine et mer, plusieurs dizaines de ruines oubliées, cités antiques dans un état de conservation rare, permettent de lire, comme dans un manuscrit, l’histoire de  » Mare nostrum « , de l’Antiquité gréco-romaine à la conquête arabe, au viie siècle de notre ère. De la grecque Cyrène à la romaine Leptis Magna, ces merveilles archéologiques sont un palimpseste de pierre, à la croisée des chemins et des siècles, que l’on savoure d’autant mieux que les visiteurs s’y font rares, bien loin des foules massées autour du Parthénon ou du Colisée.

A Cyrène, d’ailleurs, on croise plus de dieux que d’hommes. Située à 1 200 kilomètres à l’est de Tripoli, la ville qui donnera son nom à la région, la Cyrénaïque, a été fondée en 631 avant Jésus-Christ par des colons grecs ayant fui la sécheresse qui régnait sur leur île de Thira, l’actuelle Santorin. Elisant domicile au sommet des fertiles éminences du djebel Akhdar, la  » Montagne verte « , ceux-ci importèrent en terre africaine l’univers religieux et les traditions urbanistiques de la cité grecque. La ville présente aujourd’hui deux grands centres monumentaux qui s’étendent sur deux vastes terrasses dominant, au loin, une mer d’un bleu sombre. Ici, on va d’étonnement en étonnement. A peine l’£il s’est-il posé sur la pinède, au travers de laquelle on distingue furtivement quelques chapiteaux corinthiens, que l’on découvre, un peu à l’écart, l’imposant temple de Zeus, dont les proportions rivalisent aisément avec celles de son homologue d’Olympie. Le sanctuaire de 70 mètres de longueur sur 32 de largeur surplombe la ville du haut de ses colonnes monumentales. Même si les 46 colonnes de calcaire cannelées disposées autour de l’édifice n’ont pas toutes résisté aux affronts du temps, les miraculées illustrent cependant la maîtrise des artisans de l’époque, qui, soucieux des perspectives, ont donné à chacune un diamètre différent. Avançant dans un décor de garrigue fleurie, on poursuit le voyage dans le temps : en se rapprochant de l’agora, centre névralgique de la cité entouré de temples, on se glisse dans la maison du prêtre d’Apollon Jason Magnus, qui abrite l’un des plus beaux exemples de mosaïque domestique, tapis de tesselles colorées sur le thème des quatre saisons, datant du iie siècle.

On dévale ensuite un chemin qui paraît remonter les siècles, longeant les anciens bains grecs : à son extrémité, on tombe en admiration devant les temples d’Apollon et d’Artémis, précédés d’un spectaculaire autel de 22 mètres de longueur recouvert de marbre, où avaient lieu les rituels sacrificiels. De cette terrasse on aperçoit, en contrebas, les côtes cachant en leur sein les ruines du port d’Apollonia, dont une grande partie gît désormais à plusieurs mètres de fond, ensevelie par les flots. Pour y parvenir, on suit la route jadis empruntée par les colons. Et, comme les périodes semblent jouer à s’imbriquer, on découvre que le splendide théâtre grec, creusé dans la roche face à la mer, servit de carrière aux Byzantins pour l’édification de plusieurs églises et basiliques. Comme si Apollonia résumait à elle seule toutes les religions dont la Méditerranée fut le berceau.

Nous reprenons la route pour parcourir l’immense étendue sableuse longeant le golfe de Syrte, traversée du désert obligatoire pour qui veut rejoindre les remarquables vestiges de la Tripolitaine.

A une centaine de kilomètres à l’est de Tripoli, la ville de Leptis Magna est aujourd’hui l’une des cités les mieux conservées de tout ce qui constituait jadis les pourtours du  » lac romain  » qu’était la Méditerranée. De sa gloire passée, dont l’empereur Septime Sévère, qui y naquit, fut le principal artisan, la cité a gardé des traces très importantes. Réalisant des projets urbanistiques colossaux, l' » empereur africain  » modela le visage de sa ville pour en faire une  » petite Rome « . C’est d’ailleurs sous la fastueuse arche monumentale de ce souverain que l’on pénètre dans le site. Montée sur quatre piliers massifs, la structure de calcaire et de marbre est ornée de magnifiques moulages et de frises à la gloire de l’Empire. Bâtisseur de l’impressionnant forum de 600 m2 paré d’étonnantes têtes de Gorgone et flanqué d’une majestueuse basilique, Septime Sévère fit aussi réaménager la zone portuaire. On l’arpente entre sable et eau, grimpant sur les quais où reposent les fondations d’un ancien phare que certains historiens comparent à celui d’Alexandrie.

Juste derrière, l’amphithéâtre et l’hippodrome rappellent combien les Romains aimaient à se divertir, certains pouvant consacrer près de deux cents jours par an aux seuls loisirs. C’est d’ailleurs avec le théâtre que l’on finira la visite. Assis sur les gradins, face à une eau bleue que découpe une forêt de colonnes, on se souviendra des propos d’Hérodote, qui, citant une prédiction de l’oracle de Delphes, écrit, au ve siècle avant Jésus-Christ :  » Qui viendra trop tard en la Libye charmante, je dis qu’un jour il s’en repentira.  » Une sentence qui n’a pas pris une ride.

Catherine Robin

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