Coup de tonnerre chez les people ! La célèbre brasserie de Saint-Tropez change de look… pour ses 120 ans. Une renaissance en beauté,

tout en mosaïque, menée avec maestria par un designer star.

Entre Paris et la Côte d’Azur, la nouvelle a fait du bruit, cet hiver, alors que les marteaux piqueurs s’en donnaient à c£ur joie sur le petit port tropézien. Sénéquier avait décidé de faire peau neuve. Attentat au patrimoine VIP pour les uns, remix réjouissant pour les autres. Pas de quoi noyer son chagrin au Martini Dry Vesper, l’établissement, inchangé depuis l’après-guerre, avait sérieusement besoin d’être rafraîchi.

Le décorateur Noé Duchaufour Lawrance a conçu un espace lumineux, glamour et ouvertement contemporain.  » J’ai voulu faire appel à quelqu’un qui puisse renouveler le mythe tout en conservant l’esprit d’origine, explique le propriétaire, Jean-Denis Sarraquigne. J’avais également le désir de créer une vraie continuité entre la terrasse et l’intérieur, ce qui n’existait pas. Mon choix s’est porté sur Duchaufour Lawrance après avoir repéré son travail pour Senderens chez Lucas Carton, le célèbre restaurant parisien. En voyant sa manière de respecter un endroit historique tout en le réactualisant, j’ai compris qu’il pouvait conjuguer l’ancien et le moderne. Je lui ai écrit et il est venu passer trois jours ici à Saint-Tropez pour comprendre ce que je souhaitais.  »

Le rouge et le blanc

En se référant aux deux couleurs phares de la brasserie – le rouge des chaises toilées de la terrasse et le blanc du logo maison -, le décorateur a relevé le défi haut la main. La majeure partie des murs intérieurs sont maintenant recouverts d’une splendide mosaïque carmin où se détachent de manière quasi imperceptible les neuf lettres géantes qui composent le nom de Sénéquier. Chaque carreau de céramique joue en quelque sorte le rôle d’un pixel, dont seul le recul permet d’appréhender l’ensemble. Pour sa fresque, Duchaufour Lawrance a choisi la célèbre marque italienne de mosaïque Bisazza, fondée en 1956. Les luminaires reprennent la forme quadrangulaire des tessères et se parent, eux aussi, d’un revêtement en céramique. Le goût de la figure géométrique s’impose, du motif emprunté à l’alphabet qui recouvre les tables à la forme du bar, stricte découpe au cordeau dans le mur du fond, jusqu’aux plafonniers rectangulaires accolés aux poutres apparentes. Les plus nostalgiques ne seront pas complètement désemparés puisque le propriétaire a pris soin de conserver les arcs en plein cintre de la salle et les gros piliers en teck, décapés et remis à neuf.

Et la pâtisserie Sénéquier, qu’est-elle devenue ? Qu’on se rassure, elle est toujours bien là, rajeunie elle aussi par le talentueux décorateur dans le même esprit que le tea-room. La nouveauté c’est cet étroit couloir laqué, légèrement surélevé, qui y mène directement les clients depuis l’intérieur. Clin d’£il aux célèbres confiseries de la maison, ce passage ripoliné est percé de niches ou sont exposés, telles des £uvres d’art, les célèbres nougats de la maison. Plus qu’une tradition, une institution. Le packaging, tout en volutes, est resté le même depuis 1887, date de l’inauguration de la pâtisserie, bien avant le tea-room qui ne sera créé qu’en 1930. Une tradition gourmande qui n’est pas prête de s’éteindre, selon Jean-Denis Sarraquigne.  » Notre nougat, confectionné dans l’atelier voisin, est à l’image de la petite place du marché sur laquelle s’ouvre notre pâtisserie, s’enthousiasme-t-il. C’est une atmosphère très différente du port. Ici, il n’y a pas la vue sur ces yachts, ces gros frigos blancs comme je les appelle. C’est un autre Saint- Tropez plus authentique. Si vous regardez les photos du début du xxe siècle, rien n’a changé. Les étals de légumes et le poissonnier étaient déjà là.  » Les autres spécialités sucrées, tarte tropézienne et pâtes de fruits, sont elles aussi toujours au rendez-vous des gourmands.

Si Jean-Denis Sarraquigne est soucieux de conserver l’esprit des origines, c’est peut-être parce que sa famille préside depuis quatre générations à la perpétuation du mythe. Au début du xxe siècle, son aïeul, Casimir Sarraquigne épousa Lisette Sénéquier, fille des fondateurs de la maison. Depuis, l’affaire se transmet de génération en génération. Avec son père, Camille, 85 ans, et son fils, Romain, 30 ans,

Jean-Denis a racheté, il y a quelques années, les dernières parts de l’affaire à la famille Sénéquier L’homme a évidemment connu l’Age d’Or de Saint-Tropez, celui des années 1950, des robes en vichy et des clients nommés Boris Vian, Roger Vadim ou Brigitte Bardot. BB, qui, traquée par ses fans, se réfugiait sous le comptoir de Sénéquier avant de prendre la fuite par la porte arrière.  » Mais mon premier souvenir avec le cinéma remonte bien avant, précise Jean-Denis Sarraquigne. L’acteur Charles Vanel, qui était notre voisin, descendait chaque matin jusqu’au port… sur son âne !  »

Les années ont passé mais les people se retrouvent encore, dès les beaux jours, sur la terrasse rouge…  » Les gens célèbres viennent chez Sénéquier en espérant rester incognito, confie Jean-Denis Saraquigne. Ils ont envie qu’on leur fiche la paix. C’est pour cela que nous n’avons jamais eu de livre d’or.  » Certaines personnalités, elles, ont trouvé la parade pour échapper quelques instants aux curieux, comme Jack Nicholson, un habitué des lieux.  » Chaque fois que quelqu’un s’approche de lui pour lui demander un autographe, il s’exclame, hilare, je ne suis pas Jack Nicholson, je suis Anthony Hopkins !  »

Glam’ designer

Avec son prénom de sauveur, son nom de rock star et son look de top mâtiné d’une énorme dose de talent, on ne peut que se dire qu’il y avait de nombreuses fées, penchées sur son berceau, il y a trente-trois ans. Mais s’il admet qu’il y a dans toute réussite, la sienne y compris, une bonne part de chance, Noé Duchaufour Lawrance préfère parler d’audace et d’énergie. De l’usage opportun des rencontres aussi. Comme celle qui le met sur la route de Mourad Mazouz, célèbre businessman londonien, alors à la recherche d’un architecte d’intérieur pour concevoir l’identité du Sketch, sorte de brasserie, resto, salon de thé et galerie d’art, fréquenté par les beautiful people du monde entier.  » J’avais tout juste 25 ans, se rappelle le jeune diplômé de l’Ecole supérieure des Arts décoratifs, à Paris, qui se destinait à l’origine à la… sculpture. Je n’ai pas hésité une seule seconde. Je n’avais rien à perdre. Mourad a dû ressentir la passion qui m’habitait. Je pense ne jamais avoir fait preuve de prétention, même si j’admets avoir de l’ambition, le besoin d’être reconnu, l’envie qu’il y ait un retour quand je crée quelque chose pour les autres. Ce projet m’a appris énormément.  » Il lui sert, surtout, de carte de visite exclusive dans le monde entier. En 2005, Noé Duchaufour Lawrance relooke le Senderens (ex-Lucas Carton), à Paris, pacsant les boiseries Art nouveau de Louis Majorelle avec des lustres en Dacryl qu’il a conçus lui-même et des tables en Corian iridescent. Le lieu se voit décerner le prix Fooding du  » meilleur restaurant avant l’amour « . Le Tout-Paris s’y précipite.  » Depuis, le nombre de nos commandes n’a cessé d’exploser, rappelle le designer qui avoue vivre plus souvent entre les murs de son agence que dans son appartement  » un peu bohème « . Il trouve pourtant le temps de dessiner une ligne de meubles pour Zanotta (ses tables et consoles  » Dessous Chics  » ont été présentées à Milan en 2005) et planche en ce moment sur un projet de lustre pour Baccarat. Après s’être attaqué au restaurant panoramique Le Deli-cieux, au sommet du Printemps Haussmann, il vient donc de mettre un point final à la rénovation très attendue de la mythique brasserie Sénéquier, à Saint-Tropez. Et rêve de décorer un hôtel pour, nous assure-t-il,  » prendre possession de tout un espace, raconter une histoire et faire vibrer les émotions « .

Antoine Moreno et Isabelle Willot

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