Marine Serre

© MICHEL FIGUET

Elle aurait voulu ranger mais elle n’en a guère eu le temps, alors dès l’entame, elle s’excuse du désordre. Pourtant, ce n’est en rien le chaos, cela ressemble plutôt à un amoncellement d’inspirations qui mène au foisonnement d’idées. Au 134 de la rue d’Aubervilliers, à Paris, se concentrent 1 000 m2 et quatre étages placés sous le sceau Marine Serre, sa lune a trouvé où se déployer. Dans son petit espace à elle, 18 m2 dans un coin comme retiré, la sérénité est à peine troublée par les jeux des enfants de la cour d’école voisine. Elle a voulu ce bureau comme un lieu de «l’intimité partagée», il lui fait penser à la cuisine de l’Oracle dans Matrix, ceux qui connaissent apprécieront. Derrière un grand rideau «silk scarf», un patchwork de foulards en soie upcyclés, qui constitue l’un des piliers de sa maison, la créatrice s’est inventé un cocon au mobilier seconde main: bureau, chaises, canapé, vaisselle et plantes comme une petite jungle. Sous la fenêtre, le panier de Soma, son staffie un peu foufou, à 8 mois, le chiot doit encore apprendre que ce n’est pas lui le mâle dominant. Pour le reste, et ce n’est pas de la déco, des objets grigris, un bougie ostentatoirement kitsch, une collection de timbres, des porte-clés, une BD rapportée du Japon, le Manifeste des espèces compagnes de Donna Haraway, la pionnière, qu’elle aime, parce qu’elle l’a inspirée, et qu’«elle continue à nous interroger»… Dans la bibliothèque s’alignent les catalogues de La Cambre mode(s) où elle fit ses études et ses carnets où elle jetait naguère croquis et notes. Désormais, elle s’exprime par «moodboard», la forme convient mieux à la structure de Marine Serre, qui en cinq ans a tant grandi. «On est 80 aujourd’hui, il faut que je partage les inspirations et les ressentis, du coup, le format carnet n’est pas extrêmement adapté.» La paire de ciseaux japonais Shozaburo prouve qu’il est question ici de garder la main. Son meuble de bureau, elle l’a donc pensé comme une «table de coupe» − «C’est important pour moi de garder le travail manuel.» Et quand il s’agit de faire les essayages, elle ouvre la tenture de soie, s’empare du territoire adjacent, s’assied par terre, étale ses matières premières et les réinvente avec l’intention de changer l’industrie de la mode – Marine Serre est une maison qui travaille sur la transformation. Elle en est la directrice générale, histoire de tenter de montrer que l’on peut être créative et diriger une maison, elle s’y attèle, à 30 ans à peine. Sur une table basse, elle a posé son appareil argentique qui ne la quitte pas, de même son smartphone qui lui sert à filmer ce qui l’enchante. La dernière fois, c’était la nuit avant le show de juin, toute l’équipe travaillait à finaliser la collection printemps-été 23. Elle l’a fait défiler dans un stade, mettant ainsi en images et en mouvement une communauté sans carcan, joyeuse et ouverte à tous, à toutes – c’est aussi là son tour de force.

© MICHEL FIGUET
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