Le home sweet home, version Jean Paul Gaultier ? Des rayures, du satin et des tatouages à foison. Une première collection de meubles, éditée par le fabricant français Roche Bobois, dont il rêvait depuis longtemps. Teasing guidé.

Le crépitement des flashs n’est pas un bruit familier dans le petit monde feutré du design. Les créateurs de meubles, aussi en vue soient-ils, ont rarement à se demander, face caméra, quel est leur meilleur profilà Cet après-midi-là, pourtant, dans la boutique Roche Bobois du boulevard Saint-Germain, à Paris, alors que micros et caméras se bousculent aux pieds d’un lit capitonné de satin chair, au son des  » Par ici, Jean Paul « ,  » Vers moi, s’il vous plaît Jean Paul « ,  » Serrez bien le coussin dans vos bras, Jean Paul « , Monsieur Gaultier, sourire en coin, se prête en habitué au jeu du portrait.

Tout ici, de l’armoire tatouée au canapé Mah Jong revêtu d’une marinière, proclame haut et fort les codes de la maison de mode. L’opération de cobranding est on ne peut plus à propos pour les deux partenaires. Pour célébrer ses 50 ans d’existence, l’éditeur français s’offre la signature  » d’un visionnaire au rayonnement mondial  » et le buzz qui va avecà Quant à Jean Paul Gaultier, ce passage par la case maison démontre bien son envie de recentrer son attention sur la marque qui porte son nom. En mai dernier, il annonçait d’ailleurs qu’après sept ans passés à la direction artistique du prêt-à-porter féminin chez Hermès, il ne ferait désormais plus que du Gaultier.

 » Je vais enfin pouvoir développer plus de projets ou en tout cas, les mettre en £uvre avec plus de sérénité et de disponibilité « , assure-t-il. L’édition de meubles à sa griffe, cela fait longtemps qu’il y pense. En 1992 déjà, soutenu par le VIA – un organisme public français chargé de la valorisation de l’innovation dans l’ameublement -, Jean Paul Gaultier présentait un embryon de collection : des fauteuils chars – baptisés Ben Hur, bien sûrà – et des malles sur roulettes qui ne dépasseront pas alors le stade du prototype.  » Ces objets sont le reflet d’une époque de ma vie où je voyageais énormément entre la France et l’Italie, rappelle le créateur. Je n’avais même pas le temps de défaire ma valise. « 

En quête d’un fabricant crédible pour relancer la production de ses prototypes, Jean Paul Gaultier croise la route de Gilles Bonan. Le PDG de Roche Bobois se montre très vite enthousiaste. Et lui propose même de tailler deux costumes à son best-seller, le canapé Mah Jong, créé en 1971 par Hans Hopfer et déjà  » rhabillé  » par Kenzo, Ungaro et Missoni.  » Mon intention n’est pas du tout de me prendre pour un designer de meubles, se défend Jean Paul Gaultier. Quand on fait de la mode, c’est aussi de la construction.  » Explications.

Face à ces deux canapés en total look Gaultier, on en arrive à se demander ce qui est le plus fun : habiller des meubles ou des gens !

Ah, c’est sûr que si vous piquez un meuble avec une épingle, il ne se plaindra pas ! Il ne tombe pas non plus dans les pommes pendant les essayages s’il fait trop chaud et qu’on veut lui faire porter de la fourrure en plein été. Et il ne compte pas ses heures supplémentaires. Plus sérieusement, c’est une expérience formidable de pouvoir adapter le savoir-faire qui est le mien à un autre environnement. Tous mes coups de c£ur de base – les rayures, la corsetterie, les tatouages -, vous les retrouvez ici. J’ai tenu à ce que l’on puisse les mélanger entre eux, c’est important que la rayure marine puisse s’acoquiner avec un imprimé dentelle. Pour créer une sorte de patchwork décalé mais harmonieux.

Vous aimez tellement les miroirs que vous avez même imaginé une version trolley, façon diable de déménageur. Vous ne pouvez pas vivre sans eux ?

Miroir, mon beau miroir ! C’est un objet indispensable dans la mode et dans la vie des gens aussi, vous ne trouvez pas ? Pour détecter les imperfections et proposer des améliorations. Je travaille toujours entouré de miroirs, j’en mets plein autour de moi. Mettons que je sois en pleine séance d’essayage de vêtements, par exemple. Je place toujours le mannequin devant un miroir. Et je regarde la fille et son reflet en parallèle. Pour avoir en prime une vue décalée, une mise en perspective.

Dans le design, les collections ont, si tout va bien, une durée de vie plus longue qu’en mode. Cela vous tentait aussi, ce changement de rythme ?

Cela va peut-être vous étonner, mais cette obligation perpétuelle de changement à chaque saison, c’est plutôt un reproche que je fais à l’industrie du vêtement. Prétendre que l’on propose tous les trois mois une nouvelle mode, c’est un leurre total. Les vraies révolutions dans l’habillement sont d’ordre sociologique et ne respectent certainement pas le calendrier des défilés. J’ai toujours essayé de créer des vêtements plutôt intemporels, qui s’imprègnent de l’esprit du moment en s’appuyant sur des bases classiques. Me dire que l’on a acheté une veste Gaultier il y a quinze ans et qu’on la porte toujours aujourd’hui, c’est le plus beau compliment que l’on puisse me faire.

Dans quel type d’intérieur voyez-vous votre collection ?

J’ai imaginé un univers dans lequel tous les éléments s’harmonisent les uns avec les autres. Mais là aussi, comme avec vos vêtements, vous pouvez opter pour le total look ou mélanger avec d’autres styles, d’autres créateurs. Soit, vous juxtaposez avec des meubles en bois sombre. Soit, vous voulez un résultat plus soft, moins graphique. Vous posez quelques éléments dans un décor blanc, zen. Ou vous trouvez votre bonheur dans les éléments satin de la chambre à coucher. Se fondre dans le nude, le chair, c’est plutôt en phase avec l’idée qu’on se fait d’un lit, non ? Bien sûr vous pouvez aussi forcer sur le côté kitsch en ajoutant d’autres imprimés que les miens, en jouant sur le côté matière. Le Mah Jong Couture en est un bel exemple en soi. Tous les motifs des coussins matelassés sont différents. Et l’on peut même imaginer d’ajouter de nouveaux imprimés en 2012 ou pourquoi pas dans cinq ans ?

Clairement, pour vous, ce n’est pas un one shot mais le lancement d’une vraie ligne maisonà

Ça, l’avenir nous le dira. Vous savez, une collaboration, c’est un peu comme les cycles amoureux : trois ans, sept ans – le temps que j’ai passé chez Hermès -, treize ans… J’aimerais bien en tout cas que cela puisse se poursuivre.

En plus des imprimés qui sont votre marque de fabrique, on retrouve votre nom en toutes lettres un peu partout sur ce mobilier, c’était une demande de Roche Bobois ?

Pas du tout. C’est moi qui l’ai voulu, la conséquence de mon ego surdimensionné ( rires) ! Sur les coussins par exemple, le Gaultier est brodé, il y a aussi du bord-côte tout autour, en référence à un blouson inspiré des teddys des années 50 que j’avais déjà revisités il y a quelques années. J’aimais bien l’idée d’utiliser le bord-côte en ameublement. Un peu comme si j’habillais les coussins. L’inscription a un but graphique et esthétique, c’est tout. Quitte à écrire quelque chose, autant que ce soit mon nom. La prochaine fois, je choisirai un autre message.

Un hôtel 100 % Jean Paul Gaultier, vous en rêvez ?

Pourquoi pas ? Mais pas tout de suite. Je veux prendre le temps d’apprécier goulument ce que je fais avant de me lancer dans de nouveaux projets. Mon rêve dans l’immédiat c’est que les gens aient envie de se lover dans mes fauteuils.

Par Isabelle Willot

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