Le printemps a eu sa musique avec Vivaldi et son  » Sacre  » avec Béjart. Il a désormais un style, candide mais classe. Un style  » marnifique « .

Du genre hippy chic, qui (re)démarra avec l’été 2000 au look baba néo-romantique actuel, en passant par l’inamovible inspiration ethnique, le label italien Marni a  » tout bon « . Sachant réinterpréter les tendances à son profit, la délicate Consuelo Castiglioni, âme pensante et agissante de Marni, dépasse l’imagerie folklo  » ras-des-pâquerettes « . Et cela afin de mieux distiller, dans sa collection printemps-été 2002, des sensations et des rêveries tendres, des souvenirs de voyage qui évoquent l’Ibiza des années 1970, les périples à Katmandou au Népal ou les attitudes des modèles chers aux photographes David Hamilton et Sarah Moon.

Chez Marni, le  » peace & love  » balaie toute tentative de mièvrerie pour rimer avec poésie et luxe tranquille, tandis que la liberté d’allure, qui caractérise la griffe transalpine née en 1994, s’appuie sur le geste artisanal (broderies, incrustations, effet  » macramé « , etc.), les finitions manuelles et les matières 100% nature (cotonnades, tulle, mousselines de soie, jersey, cuir de chèvre…). Adepte des mélanges, des métissages de tons et des superpositions stylées,  » Miss Marni  » glisse sa silhouette de jeune fille proustienne dans des robes en mousseline aux mini-manches ballon, des blouses hongroises aux smocks subtils, des gilets de berger branché, des jupons virevoltants au son des fronces et des volants, des pantalons tantôt larges à la turque et tantôt étroits comme ceux des protagonistes de la Révolution française. Aux pieds, elle porte volontiers des sandales plates et à l’épaule, de vastes besaces cloutées où elle garde au chaud les secrets de son charme éternellement enfantin.

Sur ce paysage vestimentaire que Monet et Renoir auraient illico adoré tombent des fleurs en bouquet, des rayures en brigades légères, des dentelles et des paillettes… Autant de touches fraîches et festives que relèvent une palette de coloris un peu fanés et quelques tons francs (blanc, rouge, chocolat).

La mode a beau être versatile, la  » méthode Marni  » porte ses fruits, pour ne pas dire ses fleurs, en particulier depuis l’été 2001 où sa collection  » flowers fifties  » fut unanimement déclarée  » la piú bella  » du moment. A 45 ans, Consuelo Castiglioni, née à Lugano en Suisse italienne, mère de deux grands enfants et mariée à Gianni Castiglioni, l’un des pontes de la fourrure milanaise, en paraît quinze de moins. Plus timide qu’une collégienne à son premier bal des déb’, Madame Marni a tout de même du fil dans les idées. En 1991, elle se met à créer une petite collection au sein de Ciwi Furs, la compagnie de son époux. Trois ans plus tard, elle s’inspire de  » Marni « , le surnom donné à sa belle-soeur Marina et lance cette griffe dont le romantisme un tantinet éthéré  » colle  » plus que jamais à l’esprit de la saison.

Plébiscitée par les Anglaises et les Japonaises – deux  » peuples  » de mode dont l’éclectisme élégant n’est plus à démontrer -, Marni a ouvert une série de boutiques éponymes aux couleurs de sucre d’orge et aux rondeurs exquises, où les vêtements semble flotter dans les airs… Et le chiffre d’affaires de Marni, qui frôlait les 14,5 millions d’euros en 2000, entend au moins tripler d’ici deux ans! Chouchoutée, voire protégée par son  » clan des Italiens  » (belles-soeurs et beaux-frères font partie de l’aventure Marni), discrète au point de fuir les ovations à l’issue de ses défilés, Consuelo Castiglione évoque, d’une voix fluette, ses amours, sans emmerdes apparentes, pour la mode.

Weekend Le Vif/L’Express: Quels sont les accents majeurs de votre collection printemps-été 2002?

Consuelo Castiglioni: J’ai voulu évoquer une époque où la sérénité, l’absence de chichis et le luxe intégral fusionnent complètement. Il n’y a aucun chic outrancier dans mes ensembles, mes robes, mes jupes… mais toute la ligne dégage énormément de féminité. Les éléments récurrents et, je dirais même, fondamentaux, en sont les imprimés et les broderies. Chez moi, la couleur vient après les motifs. Ce qui ne m’empêche pas de la solliciter également, avec une préférence pour les transitions: j’alterne les tons chauds ou vibrants avec les pastels.

L’hiver dernier, en pleine vogue du noir et de  » l’army style « , votre démarche était similaire: fleurs, fourrure (saison oblige) et féminité. Les tendances vous laissent-elles de marbre?

Je puise mon inspiration dans la manière dont les femmes de contrées différentes se vêtent, et cela en regard de leur culture, leur allure, leur climat et leur religion. En fait, je dessine ce que j’aimerais porter moi-même. Quant aux tendances de la saison, je passe outre.

Les tendances ne sont pas votre tasse de thé mais l’on vous étiquette cependant comme trendy…

Je n’ai que faire des étiquettes et ne me considère absolument pas comme une trendsetter. En revanche, je suis émue et enchantée que toujours plus de gens apprécient l’individualité dégagée par mes vêtements.

Pensez-vous, par exemple, aux Anglais, les champions de l’individualité côté look?

C’est vrai. Ils ont été les premiers à apprécier mon style et à m’appuyer. Le marché britannique est d’ailleurs le plus important pour nous. C’est à Londres, sur Sloane Street, et non pas à Milan, que j’ai ouvert mon premier  » Marni shop « . Je l’ai fait en collaboration avec le créateur Joseph Ettedgui ( NDLR: Joseph est notamment célèbre pour ses pantalons féminins superbement confortables) qui diffusait déjà notre marque.

Avez-vous d’autres projets d’ouverture de boutique Marni?

Oui, après New York, Tokyo et Milan ( NDLR: un magasin  » bulle de savon  » à voir absolument si vous arpentez la via San’t Andréa), nous allons jeter l’ancre à Paris. D’ici 2005, nous projetons d’inaugurer une quinzaine de boutiques à l’enseigne.

Certains médias cataloguent la mode italienne comme  » commerciale  » et moins créative que la française. Votre réaction?

Ils n’ont pas tout à fait tort. Vous savez, même les acheteurs italiens se sont lassés du sempiternel look de  » signora  » classico-sexy: à présent, ils s’intéressent à d’autres approches, plus subtiles, de la création vestimentaire. Il y a, par exemple, un intérêt croissant pour les stylistes débutants et les designers étrangers. Je pense que tout cela va influencer la mode italienne de façon très positive.

Avez-vous suivi une formation en école de mode?

Non, j’ai appris sur le tas, comme l’on dit. J’ai démarré comme  » fashion consultant  » et cela m’a donné le goût de poursuivre dans cette voie. Pour moi, la meilleure formation se situe à mi-chemin entre la théorie et la pratique; un équilibre qui n’est pas toujours aisé à atteindre.

Vous êtes une fervente adepte de la nature, de l’air, du soleil tant dans votre métier que dans votre vie quotidienne. Créez-vous plus aisément une collection estivale?

Non, car, à l’instar des tendances, les saisons ont très peu de prise sur moi. L’allure Marni se maintient à travers les variations de style et de météo ( sourire). De plus, ma toute première collection était une collection d’hiver et avant de lancer Marni, j’adorais déjà travailler les matériaux comme le cuir et la fourrure.

Quelle est votre définition personnelle du luxe?

Sans hésitation, les matériaux raffinés et sophistiqués ainsi que les techniques proches de l’artisanat que j’emploie dans mes collections!

Avez-vous besoin d’une atmosphère, de circonstances particulières pour créer?

Pas du tout. Je suis une femme sans complications: j’ai continuellement avec moi des carnets où je fourre des bouts de tissus ou de textes – je ne dessine pas vraiment de croquis -, et où je prends des notes. A toute heure du jour et n’importe où.

De nombreux stylistes tirent leurs idées du passé de la mode. Est-ce, selon vous, par nostalgie ou plus crûment, par pénurie d’inventivité?

Ne tombons pas dans la confusion des termes: puiser son inspiration dans une époque précise n’a absolument rien à voir avec le fait de revisiter systématiquement ce que d’autres ont déjà présenté auparavant.

Marni est une affaire de famille. Vos soeurs et belles-soeurs vous servent-elles plutôt de muses ou plutôt de consultantes?

Comme dans n’importe quel business familal, chacun occupe un rôle distinct et précis. Mes belles-soeurs sont chargées de l’image de la griffe (Valeria), des relations avec la clientèle (Ninni) et de la production (Marina). Elles ne prennent pas directement part au processus de création mais elles m’influencent forcément parce que, à l’instar de ma fille Carolina, elles sont très proches de moi.

La femme-enfant, éternellement jeune et un peu fragile comme vous, représente-elle à vos yeux la quintessence de la séduction et de la féminité?

La féminité et la séduction n’ont à voir ni avec l’âge ni avec le look que l’on adopte. Il s’agit plutôt d’un état d’esprit, de la manière dont vous vous sentez, au fond de vous-même. Si cette sensation est positive, vous imprégnerez de féminité et de séduction chacun de vos actes, chacune de vos paroles ou chacune de vos tenues.

Quelle est l’attitude que vous appréciez le plus chez une femme?

La spontanéité.

Propos recueillis par Marianne Hublet

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