ME, MY SELFIE OLFACTIF AND I

ISABELLE WILLOT, JOURNALISTE © FRÉDÉRIC RAEVENS

C’est ce qui s’appelle en remettre une couche. Sauf que jusqu’ici, la technique qui consiste à superposer plusieurs cosmétiques restait cantonnée au rayon des soins visage. Opportunément baptisé  » layering olfactif « , le nouveau rituel signé Maison Margiela propose de personnaliser son sillage à l’aide de deux  » bases  » conçues pour modifier le rendu final de la fragrance que l’on vaporisera par-dessus. Le procédé permettrait donc d’esthétiser le souvenir odorant que l’on laisse de soi. Les accords de néroli, de fleur de pamplemoussier, la bergamote et l’absolu de rose que l’on retrouve dans le  » filtre  » Glow accentueraient la luminosité et les contrastes des dix eaux de toilette de la marque. A l’inverse, avec son cocktail d’aldéhyde sentant le propre, de jasmin et de muscs, Blur estomperait les notes les plus fusantes pour les rendre caressantes. La référence à la multitude de clichés, souvent trop beaux pour être vrais, qui pullulent sur Instagram est assumée, histoire de cibler frontalement ces Millennials devenus l’enjeu de prédilection des services de marketing. Une génération dont les membres, biberonnés aux réseaux sociaux, n’en sont pas à un paradoxe près, eux qui cultivent sans complexe le besoin narcissique de faire connaître leur singularité supposée au monde entier. Quitte à parler de quadrature du cercle, celle qui revient à conserver son caractère exclusif tout en cherchant à plaire au plus grand nombre tenaille aussi l’industrie du luxe, et celle des flacons en particulier. Longtemps confidentiels, les jus Maison Margiela sont maintenant disponibles dans les grandes chaînes de parfumerie dite sélective. En dédoublant l’acte d’achat, la griffe retrouve un petit côté niche – financière en tout cas, puisqu’il s’agit ici de séduire les clients ayant les moyens d’acheter deux produits à utiliser conjointement… – sans restreindre pour autant ses canaux de distribution. Une recette déjà mise à l’épreuve l’an dernier par un des géants du secteur. Avec Touche de Parfum, François Demachy, nez chez Dior, suggérait lui aussi aux femmes d’appliquer un voile préliminaire sur la peau avant la déclinaison J’Adore de leur choix. Le résultat final dépendrait même de l’endroit où le cocktail aurait été déposé et de la manière dont il réagirait avec l’épiderme de l’intéressée. Une étrange alchimie capable de transformer en selfie olfactif l’un des parfums les plus vendus au monde.

ISABELLE WILLOT, JOURNALISTE

EN DÉDOUBLANT L’ACTE D’ACHAT, LA MARQUE RETROUVE SON CÔTÉ NICHE.

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