Barbara Witkowska Journaliste

Ivana Omazic, Sophia Kokosalaki, Ece Ege (alias Dice Kayek)… étoiles montantes au firmament de la mode, ces trois Méditerranéennes séduisent par leur style à la fois ensoleillé et d’un raffinement exquis. Zoom sur leurs créations sensuellement chic.

Depuis des millénaires,  » Mare Nostrum  » multiplie les séductions. La Beauté, Aphrodite pour les Grecs, Vénus pour les Romains, est née en Méditerranée. Mer des vacances et du farniente, fleurant bon le mimosa, la lavande et l’huile d’olive, elle a inspiré les poètes, les musiciens et les peintres. Aujourd’hui, elle triomphe encore, en proposant une qualité de vie, des paysages, des parfums et des couleurs vantés par le monde entier. Hellènes, Provençaux, Turcs, Italiens ou Croates sont de vrais alchimistes, uniques au monde dans leur art de transformer la culture quotidienne en or. Rien n’est froidement technologique.

Tout est frappé du sceau de l’Histoire, d’une incroyable fécondité spirituelle, du mythe de la mer et du travail des hommes. Les populations méditerranéennes ont réussi à faire de leurs accessoires – pots d’argile, céramiques, objets en olivier – un style de décoration dont on raffole à New York comme à Tokyo ou à Bruxelles. Méditerranée… sa cuisine, faite de rien d’onéreux, passe pour un sommet de raffinement et de bien-être. Sa mode dessine des lignes souples comme ses rivages qui font de chaque femme une déesse sensuelle et désirable. Ses créateurs savent comme personne faire vibrer la corde de l’affectivité, de la familiarité chaleureuse et de la générosité de la nature. Elégance intemporelle et nonchalance éblouissante s’y disputent dans chaque pli.

L’art du contraste selon Ivana Omazic pour Celine

 » La femme d’aujourd’hui est très active, elle a de plus en plus de responsabilités et de pouvoir, mais la féminité et la douceur ne lui font plus peur, explique Ivana Omazic, la jolie Croate, directrice artistique de la maison parisienne depuis juillet 2005. C’est cette complicité entre la légèreté et la gravité que j’ai souhaité refléter dans ma collection printemps-été 2007. Si le livre  » L’Insoutenable Légèreté de l’être  » de Milan Kundera m’a beaucoup inspirée, j’ai veillé avant tout à respecter les codes de Celine.  »

Fragile en apparence, mais forte et déterminée, la femme Celine dégage une allure calme. Sûre d’elle-même, elle assume la transparence d’un trench ou d’une chemise en organza blanc cristal. Ludique, elle se prête au jeu optique entre l’opacité de paillettes en Plexi et la translucidité d’un voile d’organdi. A la pointe de la tendance, elle ose le contraste d’un pull  » oversized  » en angora et d’un pantalon slim à revers  » poignets de chemise « . L’alternance est constante entre la légèreté et la gravité, entre le tombé léger et fluide et les volumes superbement construits et structurés. La palette décline des couleurs cristallines, champagne, brume, poudre, nude ou craie, relevées, çà et là, de quelques accents noirs, rouges ou violets.

Pour accompagner cette silhouette presque immatérielle, Ivana Omazic a admirablement rafraîchi les accessoires emblématiques de la maison. Le mocassin Byblos, créé dans les années 1960 par Madame Celine, est juché sur une semelle à plateau et hissé sur un talon de 12 cm. Il est ravissant en version bicolore, blanc et chocolat. Le Double Tote, le  » must-have  » de la saison, est un sac deux-en-un, composé d’une pochette amovible et d’un  » contenant  » aux volumes généreux, idéal pour la journée. On peut le choisir en veau, en python ou en crocodile, dans des tons classiques de caramel ou d’opale. Si on aime se faire remarquer, on optera pour le modèle en rouge vif ou en violet. Le violet est la couleur préférée d’Ivana Omazic : il est synonyme de l’amour.  » En croate,  » ljubav  » signifie l’amour et  » ljubica  » signifie violet « , souligne-t-elle avec son sourire chaleureux. Ainsi se révèle la vraie Méditerranéenne, qui marche à l’affectif.

Enfant, Ivana Omazic découvre avec bonheur la mode à Londres, à l’âge de 5 ans, auprès de sa tante qui habillait l’aristocratie anglaise. Depuis lors, la passion de la mode ne l’a jamais quittée. Après le lycée artistique à Zagreb, elle part à Milan pour suivre une formation pointue à l’Instituto Europeo de Design à Milan. Mais le travail ne fait pas peur à cette bosseuse.  » Il faut fournir beaucoup d’efforts pour réaliser un rêve « , dit-elle. Romeo Gigli repère son talent et l’engage, puis elle entre dans le Prada Group et travaille pour Prada, Miu Miu et Jil Sander. Stimulée par les responsabilités, Ivana Omazic progresse rapidement. Au sein du groupe, elle apprend surtout comment concilier la créativité et les exigences de l’industrie, l’un des aspects les plus importants dans la mode. Au bout de sept années constructives et bien remplies, elle envisage une année sabbatique pour prendre du recul. Mais l’univers de la mode n’a pas envie de lâcher cette surdouée dans la nature. Le président de Celine lui propose un poste de consultante à Paris. Les affinités se créent rapidement et au bout de deux mois, Ivana Omazic accepte le poste de directrice artistique de la marque. Pas à pas, la créatrice glisse son lexique méditerranéen, à la fois  » doux et violent « , dans le vocabulaire de la prestigieuse maison. L’osmose est parfaite.

L’Orient contemporain de Ece Ege pour Dice Kayek

Ce printemps, le  » kaftan  » est à l’honneur chez la créatrice d’origine turque. Revisité et réinterprété, il se transforme en une ravissante petite robe : moderne, simple et agréable à mettre qu’on va aimer porter pendant tout l’été. Irrésistibles aussi, ces robes bulles en organdi perlé ou celles taillées dans une épaisse guipure, les tuniques façon djellaba, les manteaux en nidd’abeilles à taille évasée ou encore les sarouels en satin noir. Le taffetas s’affiche en robe safran ou en tunique fuchsia, courte et surdimensionnée, à encolure djellaba. Dans certaines pièces, on remarque un très joli travail de drapés et de plis. L’opulence de la culture ottomane se reflète à travers les riches broderies en cristaux et les perles vieil or.

Pas de doute. La culture méditerranéenne se faufile toujours dans les collections de Ece Ege.  » Cela ne veut pas dire que mes vêtements sont ethniques, souligne la jeune créatrice. Je ne crois pas à une mode folklorique. Il faut s’inscrire dans l’air du temps. Je transforme les formes et les détails du style vestimentaire ottoman dans l’esprit du design postmoderne.  »

Née à Boursa, première capitale de l’Empire ottoman, Ece Ege passe son enfance à  » jouer  » avec les pierres précieuses. Son père est joaillier et, dans un premier temps, la jeune fille se destine à suivre ses traces. Après les études de gemmologie à Los Angeles, elle se lance dans la création de bijoux et ouvre une boutique à Bodrum. Mais la passion pour la mode prend vite le dessus. Elle s’envole pour Paris et entre à l’école Esmod. Le succès remporté par sa première ligne de chemises l’incite à lancer sa propre griffe, baptisée Dice Kayek. Au fil des collections, les formes s’épurent mais les détails gagnent en raffinement. Jeux de coutures, plis insoupçonnés, profusion de broderies faites main… Ece Ege cultive l’art du travail bien fait. Les silhouettes s’animent de contrastes : les blousons ou tops bien ajustés près du corps flirtent avec des jupes virevoltantes ou des pantalons amples. Des touches chromatiques vives, empruntées aux précieuses soies d’Orient, ponctuent régulièrement les collections. Mais la couleur préférée d’Ece Ege est le noir. Elégant et glamour, il a aussi cette profondeur de l’Orient mystérieux et lointain qui ne cesse de hanter la mémoire de la créatrice.

La pureté grecque de Sophia Kokosalaki

Sa réputation a été bâtie sur des silhouettes simples et pures, enveloppées de voiles drapés-plissés-smockés, admirablement architecturés. On les retrouve une fois de plus dans la collection printemps-été 2007, interprétés dans des coloris vifs et électriques, principalement l’orange et le vert acide. En version plus soft, les nuances taupe, gris fumé, carmin ou beurre frais se posent délicatement sur des organdis. Les shorts et les bloomers n’échappent pas au diktat du plissé et se portent très courts, selon la tendance de cet été. La sinuosité des drapés déferle sur les minirobes à bustier, tandis que des jupes s’ornent de plis ondulants comme les vagues de la mer. Une allure résolument féminine qui exploite à fond les tendances et les technologies actuelles, mais fait irrémédiablement penser à la pureté et à l’élégance un brin altière des silhouettes de l’antiquité grecque.

Sophia Kokosalaki a grandi dans une famille où les pré- occupations vestimentaires n’étaient pas vraiment à l’ordre du jour. Elle  » remarque  » le vêtement à l’école et prend conscience de son importance dans la vie sociale. Très tôt, elle s’amuse à faire ses premiers croquis et dessine quelques silhouettes. Pour faire plaisir à ses parents et les rassurer, elle étudie la littérature. Mais la première passion refait surface très vite et Sophia ne résistera pas à l’envie de s’inscrire à la prestigieuse école de mode à Saint Martins à Londres. Sa première collection déjà rencontre un beau succès. Les femmes plébiscitent ses tenues plissées, drapées et nervurées qui sculptent des silhouettes de sirènes. Sa notoriété dépasse les frontières et arrive aux oreilles des Athéniens. Pour les Jeux olympiques d’Athènes, en août 2004, on lui demande de dessiner et réaliser près de 7 000 costumes de la cérémonie d’ouverture ! Depuis lors, Sophia Kokosalaki tente de prendre quelques distances avec l’étiquette de la  » grecquitude  » en affirmant  » qu’aucun de ses vêtements n’aurait pu être porté par ses ancêtres « .

Barbara Witkowska

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