Ce designer gentiment frappadingue marie ses deux passions, bricolage et tambouille, au cour d’une discipline hybride baptisée design culinaire. Où s’invitent à la même table ergonomie, art contemporain et plans com’.

Le gamin est né avec les crocs, VIIIe arrondissement parisien, il y a une quarantaine d’années. La famille est  » aisée « , une  » dame  » fait la cuisine, le père aime la chasse, les légumes viennent d’un potager de province. Marc Brétillot est éduqué, dit-il,  » à la bonne chère et aux rituels qui y sont attachés « . Du reste, il mange son  » premier yaourt industriel à l’âge de 18 ans « . La légende raconte qu’il parcourt, culotte courte, les boulangeries de son quartier à la recherche du meilleur croissant. Lui se rappelle les noubas des petits copains, il y préférait la tenue de cuistot à celle de Zorro. Ce n’était déjà pas du carnaval : Marc Brétillot ne déguise pas sa bedaine, il porte encore crânement sa gourmandise, derrière deux bretelles tendues comme un arc. Voilà pour les prolégomènes.

Pour tout comprendre, ensuite, retour sur l’ado  » très mauvais élève, facétieux « , ce sont ses mots, qui va trouver  » son salut « , à l’école Boulle (= Lycée des métiers d’arts, de l’architecture d’intérieur et du design). Fasciné par les matériaux, le verre qu’il apprend à souffler, le métal qu’il travaille à la forge, le designer file déjà la métaphore avec la cuisine. Comme le pointe Thierry de Beaumont avec qui il signe ces jours-ci une bio aux éditions Alternatives (*) :  » Les termes employés, « on trempe son outil rouge cerise et on le ressort jaune paille comme le vin du même nom » lui apparaissent comme autant de références à l’univers de la cuisson des aliments. « 

Du coup : début des années 90, engagé professeur à l’École supérieure d’art et de design de Reims (ESAD), pour y enseigner le travail des matériaux, ce lecteur invétéré de Francis Ponge s’empare des aliments comme vecteur de son enseignement. Comprendre :  » La transformation des aliments en plat cuisiné peut aider, par exemple, à appréhender la transformation du bois en objet, éclaire-t-il. C’est plus rapide. Et vachement plus convivial pour saisir les mécanismes des constructions.  » Sa démarche séduit le directeur de l’école, le design culinaire est né. Encouragée par cette espèce d’extension du domaine du design, qui, de l’ouïe à l’odorat en passant par le goût, ne connaît plus de limite, la discipline devient une branche en soi. Et se porte bien : dès la rentrée d’octobre à l’ESAD, un post diplôme d’un an en Food Design inclura, outre les bases de l’ergonomie du parfait éclair au chocolat ou du parfait tout court, des notions d’histoire de la gastronomie ou d’anthropologie du mangeur.

Car si le design culinaire a amené son inventeur à trouver des solutions techniques pour marier idéalement forme et fonction (on pense à son mille-feuille vertical, qui évite d’écrabouiller la crème), il déborde de son acceptation et de son utilité purement matérielles pour aller mordre du côté de l’expérimentation à vertu philosophique et/ou artistique.

Au-delà de l’objet comestible et bien conçu ou de l’ustensile malin (on pense à son  » plateau-canne « , créé pour le sketch de Pierre Gagnaire à Londres qui permet au serveur d’éviter  » les mangeurs affamés à la sortie de l’office  » et donc une distribution équitable des petits fours dans les cocktails), tout ce qui touche à l’acte de manger entre dans le vaste champ d’étude du sieur Brétillot. Pêle-mêle, on l’a vu poser la question de la répulsion à la faveur d’un menu-performance avec véritable tête de bovidé dans l’assiette, interroger la perception au cours d’une dégustation face aux £uvres d’un musée ou creuser le concept de disparition en exposant des plats cramés, seule manière d’éjecter définitivement la nourriture du cycle alimentaire.

À côté, puisqu’il faut bien manger, Marc Brétillot est aussi consultant dans l’agro-alimentaire, sans gêne du paradoxe (Vous bosseriez pour Coca ? Peut-être. Tout en les conchiant ? Oui.) Il joue parfois les dramaturges dans l’événementiel. Pour des grandes marques souhaitant communiquer leur valeur à travers la nourriture, ce puissant vecteur narratif. Le conte est toujours bon.

(*) Culinaire Design, par Marc Brétillot et Thierry de Beaumont, éditions Alternatives, 184 pages.

Baudouin Galler

On trempe son outil rouge cerise et on le ressort jaune paille comme le vin du même nom.

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