Au diable les nounours ! Les nouveaux doudous ne sont plus des enfants de choeur. Cabossés, écorchés, voire difformes, ils bousculent les codes. Pour le plus grand bonheur des… parents.

La planète doudou est en émoi ! Depuis quelque temps, de drôles de créatures ont envahi landaus, couffins et poussettes. Yeux asymétriques, regards hébétés et physique de gant de toilette, ces drôles de zigues n’inspirent pas franchement confiance au premier abord… Avec leurs bras trop courts ou trop longs, leurs bouches de travers, on les dirait échappés du laboratoire d’un savant fou. Rien à voir en tout cas avec les pacifiques ours en peluche et lapins en tissu éponge qui peuplent nos souvenirs d’enfance. Autant ces derniers faisaient tout pour passer inaperçus, autant les croque-mitaines colorés prennent un malin plaisir à se faire remarquer. Et pourtant, malgré ces imperfections et ces anomalies – ou à cause d’elles… -, les étranges bébêtes ont fait leur nid dans les chambres d’enfant.

Tout a commencé avec les Ugly Dolls. Comprenez : les affreuses poupées. Soit une galerie de joyeux frappadingues à la langue souvent en goguette, aux dents protubérantes et aux yeux pas toujours en face des trous. Des êtres charmants venus non pas d’une planète lointaine mais des Etats-Unis. Contre toute attente, leur minois de monstres inoffensifs, ou juste un peu à l’ouest, a vite fait de conquérir le c£ur des parents branchés, tout contents qu’on bouscule enfin le monde feutré de la petite enfance. Cerise sur le gâteau au chocolat, les Ugly ont même trouvé refuge dans le temple de la mode parisienne, Colette.

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Depuis, la famille des éclopés de l’île aux enfants n’a cessé de s’agrandir. Notamment sous la baguette de jeunes créatrices bien décidées à  » casser du nounours « … Citons, pêle-mêle, les sacrés loustics de 100drine, connue pour ses boîtes en métal décorées de motifs gentiment corrosifs. Il y a là Gaston la baston, Rémi l’endormi ou Goliath le pirate. Que du beau monde ! Dans un registre plus poétique, les Pookies ne sont pas mal non plus. Avec leurs grandes oreilles, leurs nez riquiqui ou leurs silhouettes disgracieuses – mention spéciale pour le chien-rhinocéros à six pattes -, les Kiko, Mina et autres Pablo ne ressemblent à rien, sauf à eux-mêmes. Ce qui fait leur originalité.

Les  » fripouilles  » de deux jeunes Lilloises, Lise et Sidonie, ne sont pas moins croquignolesques. Graphisme sommaire évoquant vaguement un fantôme et couleurs pétantes, ces doudous-là tapent dans l’£il ! Tout comme les hilarants Tonkipu, cette joyeuse colonie de créatures indéfinissables qu’on dirait tout droit sorties d’une grotte malfamée. On les imagine plus volontiers dans les cauchemars des petiots que dans leur lit… Mais voilà, elles sont tellement affreuses qu’elles en deviennent craquantes. Elles voudraient d’ailleurs faire peur qu’elles n’y arriveraient même pas…

Bref, les peluches s’encanaillent, elles sortent de l’enclos des traditions. Un brin de folie est désormais de bon ton, sinon dans le choix des personnages, du moins dans les matières et les couleurs. A l’image du chat bleu de Liboo, de l’ourson pointilliste de Happy Horse ou du coq de basse-cour déguisé en Elvis de Manhattan Toy. Autant de clins d’£il plus ou moins appuyés aux personnages de films déjantés comme  » Monstres et compagnie  » (2001) ou  » Wallace et Grommit  » (2005).

Qui a mis le feu aux poudres ? Ida Philips, psychologue et directrice de l’agence spécialisée dans la communication pour les enfants Kids 2, répond sans hésiter : les parents.  » Ce sont surtout les adultes qui apprécient les peluches bizarres, fait-elle observer. Ils affectionnent le côté design et humoristique de ces petits monstres. On peut y voir avant tout un phénomène de mode.  » Les enfants n’ont-ils pas leur mot à dire ?  » Ils n’ont en tout cas pas choisi spontanément ces personnages, embraie-t-elle. Il y a d’ailleurs fort à parier que si on leur laissait le choix entre une peluche neutre et une plus loufoque, ils opteraient pour la première.  » Pourquoi ?  » Parce qu’un doudou est bien plus qu’un simple jouet pour un enfant, c’est une partie de son corps. Et ce qui l’intéresse, c’est d’abord la matière, qui doit être agréable au toucher. L’aspect extérieur lui importe finalement assez peu.  » Difficile d’en douter quand on voit l’état fibreux de certains compagnons de route…

Ce déferlement d’avortons serait donc le fait des parents. Ils projettent sur leur bambin les aspirations qu’ils nourrissent pour lui et, par ricochet, pour eux. Comme avoir l’air cool, être un poil rebelle, etc.  » Le succès des vêtements pour enfants, un phénomène récent, participe du même élan, ponctue Ida Philips. Les parents s’appuient sur leur progéniture, via les accessoires, pour communiquer leur personnalité.  »

Bigre. Et ça fait mal, ça ?  » Non, rassure la spécialiste. Les enfants ne risquent pas d’être traumatisés par ces « mauvaises » fréquentations. D’autant que ces monstres sont des caricatures grossières et ludiques des « originaux ».  » Ouf ! Il ne s’agit donc que d’une lubie sans conséquence de trentenaires nostalgiques de cette relation fusionnelle. Tant qu’ils ne chipent pas le doudou de leurs mômes pour dormir avec, il n’y a pas lieu de s’inquiéter…

Carnet d’adresses en page 169.

Laurent Raphaël

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