Si son nom ne dit pas grand-chose aux non-initiés, sa réflexion sur le bâti, notamment avec son projet pour le parc de la Villette, à Paris, a fait sans conteste évoluer le genre. Une rétrospective rend hommage à son talent discret, au Centre Pompidou.

Il est de ces personnes qui n’ont pas l’aura médiatique pour faire parler d’elles à tout va. Bien souvent, cette réserve est volontaire, ces penseurs de l’ombre préférant oeuvrer dans leur domaine plutôt que disserter tous azimuts sur leur travail. Bernard Tschumi est de ceux-là, de ces créateurs de talent qui jouent les anti-stars aux yeux du monde. Contrairement à certains de ses confrères tels que Jean Nouvel, Rem Koolhaas ou Renzo Piano, lui avance hors du champ des caméras… Mais, à 70 ans, il reste néanmoins l’un de ceux qui, par ses projets, a contribué à faire de l’architecture contemporaine ce qu’elle est aujourd’hui, libérée des dérives du postmodernisme. Voici cinq choses indispensables à savoir sur cet architecte franco-suisse pour mieux comprendre pourquoi le Centre Pompidou, à Paris, lui rend un tel hommage.

C’EST UN GRAND THÉORICIEN

Il aura fallu quinze ans à Bernard Tschumi pour passer à la pratique. Une fois diplômé de l’école polytechnique de Zurich, en 1969, il se tourne en effet vers l’enseignement et l’écriture, refusant de se faire piéger  » par le dictionnaire des idées reçues de l’architecture  » et privilégiant alors la littérature, le cinéma et la scène artistique pour tenter de redéfinir sa discipline et son rôle dans la société. S’il reste très respectueux des idées des premiers modernistes – Le Corbusier et consorts -, toute sa réflexion, et ses critiques, portent alors sur ce que leurs successeurs – postmodernistes et autres passéistes – en ont fait…  » Le radicalisme moderniste et les avant-gardes du XXe siècle étaient extraordinaires. Mais peu à peu, cela s’est transformé en une série de dogmes prévisibles lorsqu’ils se sont répétés sans être renouvelés. Pourtant, c’est l’esprit de réinvention constante qu’il faut encourager « , explique-t-il aujourd’hui. Selon lui, l’architecture est  » moins une connaissance de la forme qu’une forme de connaissance « , rappelant par cette maxime que c’est l’utilisation qu’on fait d’un bâtiment qui doit primer sur son esthétique.  » L’idée de mouvement et d’événement m’a semblé dès les débuts indissociable de celle d’architecture. Les premiers travaux étaient des expérimentations théoriques faites de textes et de dessins. Je cherchais alors à développer de nouveaux modes de notations permettant d’exprimer non seulement un espace architectural mais aussi ce qu’il s’y passait. J’utilisais des scénarios dignes de série B au cinéma : il sort de prison, ils font l’amour, elle le tue… Le tout comme une chorégraphie dans un environnement architectural et urbain « , se souvient Bernard Tschumi.

IL EST D’ABORD CONNU POUR SES  » FOLIES  »

Fort de cette période d’intense réflexion, Bernard Tschumi participe, au début des années 80, à un premier concours international pour la conception du parc de la Villette, l’un des plus grands de Paris, qui jouxte la Cité des Sciences et sa célèbre géode… Et il l’emporte face à d’autres ténors de la trempe de Zaha Hadid. Son concept fait logiquement la part belle au mouvement, à travers une  » promenade cinématique « . Des Folies, soit de petits pavillons rouges aux formes plutôt alambiquées et servant tantôt d’aire de jeux, de théâtre ou de simple mise en avant de la nature, sont disséminées sur le site selon une trame géométrique. Une  » galerie  » couverte d’une toiture ondulée traverse quant à elle l’espace vert de part en part, selon un axe nord-sud. Plus de trente ans après la mise au point de ce lieu public, ce dernier reste un exemple cité dans les écoles d’architecture comme marquant l’évolution de la discipline vers des projets moins monumentaux, moins statiques, où le déplacement de l’homme à travers son environnement est devenu une donnée désormais cruciale.

C’EST UN AMOUREUX DE LA VILLE

Lieu du mouvement par excellence, la ville a toujours passionné Bernard Tschumi. Déjà dans ses premiers travaux théoriques, il s’est penché sur l’évolution de grandes cités telles que les capitales britannique et française ou encore Los Angeles.  » La ville est un des facteurs les plus dynamiques et les plus positifs de notre culture. Elle nous construit autant que nous la construisons. Je crois beaucoup à l’avenir des grandes mégalopoles « , affirme celui qui avoue une préférence pour New York et Paris, suivies de près par Tokyo et Londres,  » des endroits où s’affrontent pacifiquement l’ancien et le nouveau « .

IL A SIGNÉ DE GRANDS PROJETS… EN TOUTE DISCRÉTION

Son dernier fait d’armes : le lifting du parc zoologique de Paris, autrefois appelé zoo de Vincennes, qui a été rouvert en avril dernier. L’équipe de Bernard Tschumi a également achevé récemment une salle philharmonique dans une école privée en Suisse et la manufacture horlogère de Vacheron-Constantin, près de Genève, ainsi qu’un hôtel à La Hague, dans le Cotentin. Tout ça au cours des douze derniers mois ! Dans sa biographie, on pointera encore le Centre national pour les arts contemporains du Fresnoy, inauguré en 1997 dans l’agglomération de Lille, et bien sûr le musée de l’Acropole à Athènes, terminé en 2009.

SON EXPO EST UNE PREMIÈRE

Trois cent cinquante croquis, dessins, collages et maquettes : c’est la première fois qu’une telle rétrospective est consacrée à ce Franco-Suisse en Europe.  » C’est, pour moi, une manière de vérifier où je vais autant que de savoir d’où je viens « , conclut-il. Le parcours a été scénographié par Bernard Tschumi lui-même et met en valeur trente de ses projets réalisés aux quatre coins de la planète. Une belle porte d’entrée pour appréhender de façon concrète l’oeuvre de ce maître de l’art de bâtir, dont le travail peut paraître assez hermétique de prime abord mais qui a su générer des bâtiments à vivre, qui parleront au plus grand nombre.

Bernard Tschumi, au Centre Pompidou, à 75 004 Paris. www.centrepompidou.fr Jusqu’au 28 juillet prochain.

PAR FANNY BOUVRY

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