Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Bertrand Burgalat, Fatboy Slim, Vanessa Daou, Daan sont les chefs de 2001. Personnels et impertinents. Leur cuisine électronique prépare les recettes du futur. Et de drôles de tubes sous micro-onde.

Bertrand Burgalat: initiales B.B.

Il écrit pour Valérie Lemercier ou l’écrivain Michel Houellebecq: le patronyme de son label – Tricatel – est tiré d’une comédie de De Funès et il rêve de grande pop music. Et, pourtant, Bertrand Burgalat (1) ne ressemble qu’à lui-même.  » Je suis un anti-dandy, lâche-t-il. Je ne cherche pas à être à la mode mais je ne veux pas non plus m’y opposer (sourire). Disons que j’aime exprimer les choses de manière oblique, user de réminiscences, de chemins de traverse.  »

A 37 ans, ce Parisien fils de préfet ( » comme Jean-Louis Aubert « ), est devenu l’un des noms les plus événementiels de la pop française. Dans le bric-à-brac parisien de son studio/bureau Tricatel, il suffit d’arpenter du regard murs et instruments en place pour appréhender la nature burgalatienne. Affiches séries B, portraits de Gainsbourg, photos de Houellebecq, icônes Made in Japan (Tricatel y est populaire), téléviseur seventies et une multitude de claviers et de machines évoquent un musée contemporain.

Ce n’est pas un hasard si le patronyme Tricatel est décliné d’un film plutôt moyen de Louis De Funès ( » L’Aile ou la cuisse « ): B.B. adore les choses un peu kitsch qui révèlent néanmoins le talent. Son CV fourni d’arrangeur- compositeur-producteur-chanteur navigue entre le prestige et les petits travaux de bazar, entre le faux et le vrai, le factice et l’émotion: il a collaboré avec des artistes aussi divers que Nick Cave, Mick Harvey ou Einsturzende Neubauten (pour le côté  » sérieux « ) et des décalés aussi majeurs que l’écrivain des  » Particules élémentaires « , Michel Houellebecq ou son ex-fiancée, Valérie Lemercier.

Grâce à Françoise Hardy, admirative, Burgalat est passé à la télé: chez Drucker. Ce qui n’est nullement incompatible avec des concerts plutôt sauvages et un catalogue éclectique qui va de la  » soul électronique  » de Count Indigo au dernier opus d’Ingrid Caven. Le premier disque solo de Burgalat –  » The Sssound of Mmmusic  » – est une petite merveille de pop music sentimentale, décalage adorable entre muzak et soul music rincée de clins d’oeil brésiliens et de textes cartoon. Le fantôme de Brian Wilson est passé par là…

Mais, sur ce premier galop solitaire, les illusions de la douceur de vivre se doublent d’une seconde lecture, plus tragique.  » Pour moi, ces chansons, malgré leur allure souvent ensoleillée, racontent des choses plutôt graves « , confie B.B. Un peu comme si une innocente virée sur la Côte d’Azur (de l’autre B.B.) s’assombrissait de nuages mortels: en filigrane, on apprend ainsi que Bertrand Burgalat vient d’échapper à trois années de cécité quasi complète. Trois opérations plus tard, le diabète et ses terribles effets secondaires semblent en recul. D’où la voracité de Burgalat de produire, écrire, remixer. Il y a chez lui une volonté de rester indépendant et de ne pas vendre son talent contre le gros chèque tendu par une multinationale:  » Tricatel fonctionne de manière très artisanale, un peu comme le label Saravah de Pierre Barouh. On est toujours à court de fric: comme les banques ne nous font pas crédit, on ne peut pas dépasser un découvert de 40 000 FF. Mais au fond, c’est plutôt sain comme situation. « 

Fatboy Slim: dilettante millionnaire

Ex-bassiste d’un groupe provincial anglais, spectaculairement reconverti dans le « Big Beat », Fatboy Slim (2) revient dans l’actualité avec un vieux poème de Jim Morrison transformé en dance music méditative. Le mot  » fatras  » n’est pas nécessairement une insulte: la preuve, il convient parfaitement bien au nouvel album de Fatboy Slim, alias Norman Cook.  » Halfway Between the Gutter and the Stars  » signifie en français  » A mi-chemin entre le caniveau et les étoiles », explique-t-il. Une curieuse éprouvette pour les nouvelles expérimentations musicales du DJ-star de 37 ans: vers récités par le défunt chanteur des Doors (sur  » Sunset « ), cargaisons de bidouillages électroniques, fausses musiques de films, dub, samplings invisibles, grosses roucoulades techno ( » Retox « ) et invités « vivants » comme la vocaliste à l’organe cassé, la révélation 2000, Macy Gray. Entre autres choses puisque la musique de Fatboy tient autant du mille-feuille que du bricolage chic sur 48 pistes et qu’elle s’éloigne un peu du genre « Big Beat » – techno criarde – qui a fait sa fortune avec l’album précédent vendu à plus de deux millions d’exemplaires. Du coup, on lui propose un million de francs belges pour un remix et trois fois plus pour sonoriser un défilé de mode !

Vous trouvez cela un brin obscur ? Reprenons par les débuts, au coeur des années 80: soit un groupe de Hull (côte Nord-Est de l’Angleterre) appelé The Housemartins. Norman Cook, fluet bassiste, y assure un rôle discret mais les hits se mettent à pleuvoir sur ces jeunes gens en polos. C’en est trop pour Cook qui s’échappe dans Beats International, formation éclair qui décroche – c’est pas de chance – un nouveau no 1 en Grande-Bretagne via un remix de Clash. La révélation vient alors de tout le courant « acid-house » qui, à grands coups d’ecstacy, met à l’envers la tête de la jeunesse british. Le pavillon de Brighton de Norman Cook se transforme en  » maison de l’amour  » et les fêtes sauvages qui s’y tiennent comptent suffisamment de substances illicites pour envoyer Norman & Co en tôle. C’est à cette époque que Cook se rebaptise Fatboy Slim, – « mon double, une parodie de moi-même » ( sic) – et publie son premier disque solo:  » Une vie meilleure grâce à la chimie « .

La formule n’est pas encore tout à fait au point mais Fatboy a compris que, pour séduire au-delà du public spécialisé, il doit offrir quelques références: partant de l’échantillonnage d’un morceau connu (une bribe de Marley, un riff des Stones), il le maquille et le traficote jusqu’à le rendre totalement méconnaissable. Et irrésistiblement dansant. Sur le nouvel album, ce travestissement électronique est porté au pinacle. Et, sans doute, amené dans une zone limite que Fatboy Slim ne dépassera pas !

Des délices de Daou aux esquisses de Daho

Il y a cinq ans, on découvrait les New-Yorkais Vanessa et Peter Daou sur des écrits coquins de la poétesse Erica Jong. Aujourd’hui, Vanessa (3) revient en solo et avec la tournée de son ami Etienne Daho. On se souvient parfaitement bien de la belle alors accompagnée de son Peter de son mari: en interview, le couple semble aussi chaud que ses poèmes électroniques et la lascivité ambiante fait monter d’un cran la température du bar à cocktail servant de point de rencontre.

C’est peut-être ce qui a séduit cet éternel jouisseur d’Etienne Daho en plus de la musique feutrée du couple Daou, encerclant à coups de claviers caressants des titres suggestifs. Sur des ambiances nocturnes, la solitude, la dépendance sexuelle, le sadomasochisme des rapports amoureux forment un drôle de carnet rose.

En fait, la prose hormonale des Daou s’est doucement immiscée dans l’univers de Daho: sur le  » Corps et armes  » du Breton branché, on trouve même un duo avec Vanessa. Logiquement, une amitié (et plus, si affinités) est née et Etienne a emmené la chanteuse américaine en première partie de son périple hexagonal de la fin 2000: la date bruxelloise, initialement prévue le 16 décembre à l’Ancienne Belgique a bien eu lieu, mais sans Miss Daou. C’est d’autant plus dommage que dans sa dernière livraison, la New-Yorkaise s’est mise seule en vitrine, laissant à Peter le rôle de producteur de l’ombre:  » Make You Love  » regorge donc de désirs et de douceurs.

Le style de Vanessa, qu’on a pu qualifier de  » deep house « , s’avère terriblement intimiste et dans le creux des chansons se croisent l’électronique, le jazz et les sonorités  » ambient « . Il y est fortement question de la présence et du pouvoir de l’amour: les envoûtements mélodiques semblent charger d’humidité tant ils ondoient sur les récits de Vanessa. Celle-ci n’a oublié ni son adolescence dorée dans les îles Vierges (où papa était haut fonctionnaire), ni l’internat chic du Massachusetts où elle découvre la musique, la danse et les arts plastiques. Dans un morceau tel qu' » Aphrodite « , on ne peut s’empêcher de constater à quel point les Daou ont influencé les derniers mouvements musicaux d’une chanteuse comme Madonna. Sans jamais sombrer dans la vulgarité de mots usés ou de phrases musicales éculées, M. et Mme Daou dessinent l’amour d’aujourd’hui. Leur musique se contente d’en suivre les plus belles courbes. D’ores et déjà l’un des disques les plus chauds, les plus symbiotiques de 2001.

Daan: à la mode d’Anvers

Membre du collectif anversois Dead Man Ray, Daan (4) poursuit également une carrière solo qui pourrait en faire la prochaine étoile du rock Made in Belgium. Il habite une maison de Berchem qui ressemble à un magasin de jouets pour grands enfants: au mur, des lettres imposantes aux rondeurs orangées – très pop-art – rappellent son parcours de graphiste et son goût immodéré pour les constructions artisanales.  » Quand j’étais gosse, nous habitions à Holsbeek, dans les environs boisés de Leuven, se rappelle-t-il. Je passais des journées, seul dans la forêt, à bâtir de véritables immeubles en argile. A l’âge de 7-8 ans, j’écumais les décharges publiques en rêvant aux villes… Aujourd’hui, je ferais plutôt une overdose de lettrages. « 

A 31 ans, Daan Stuyven n’a pas suivi l’itinéraire de son peintre de père – malgré de prometteuses esquisses – mais son nom apparaît de plus en plus comme le pari du rock belge 2001. Après deux albums inventifs avec Dead Man Ray (où apparaît également l’ex-dEUS Rudy Trouvé), Daan s’apprête à sortir son second album solo au printemps. En guise de zakouski, Virgin édite  » Verboden te zuchten – Le Pressentiment », BO du premier film d’un jeune metteur en scène flamand, Alex Stockman, qui devrait sortir en ce mois de janvier. Finaude et trafiquée, la bande-son bricolée par Daan sent bon le détournement:  » J’ai par exemple mixé entre elles les deux versions des voix, celle de la télévision (25 images/seconde) et celle du cinéma (24 images/seconde): l’effet est plutôt intéressant ( rires). En faisant des musiques de pubs – pour Ikea, Axa ou Opel – j’ai appris pas mal de choses sur la structure sonore: avec cette BO qui raconte une rupture amoureuse et trois nuits glauques dans un hôtel en face de la gare du Midi, à Bruxelles, j’ai voulu donner ma propre version de la narration. J’adore les accidents de parcours.  »

Ce qui étonne chez Daan, c’est que sa recette réussit parfaitement le mariage d’éléments contradictoires:  » La combinaison entre la froideur électronique des machines et la voix.  » Sa référence ultime en matière de pop music reste d’ailleurs le classique signé par Marianne Faithfull à l’époque de  » Broken English  » (1979).  » Je voudrais être léger, ne pas être intimidé par la vie, ni par la morale chrétienne qui imprègne le travail, l’école, commente-t-il. J’essaie de conclure un deal avec la vie qui me convienne. Je crois à 100% dans les disques commerciaux ET créatifs.  » Toujours un peu méfiant de ce qu’il nomme le  » stylisme sonore « , ce grand type aux cheveux orangés mène la vie en nouveau père constamment surpris par sa paternité. Fan éternel de Roxy Music, Daan arpente les ruelles anversoises en turbinant une Volvo vaguement déglinguée mais ses poses existentialistes se limitent à une large consommation de tabac brun.  » J’aime être obsédé par une idée, j’aime les extrêmes, conclut-il. D’ailleurs, je n’aime pas beaucoup dormir. Cinq ou six heures de sommeil par nuit me suffisent ! « .

(1) En concert le 25 janvier aux Halles de Schaerbeek, à Bruxelles (tél.: 02-218 21 07). CD  » The Sssound of Mmmusic « , chez Virgin, qui distribue également une partie du label Tricatel.

(2) CD  » Halfway Between the Gutter and the Stars « , chez Sony.

(3) CD  » Make You Love « , chez EMI.

(4) CD de Daan et de Dead Man Ray, chez Virgin.

Philippe Cornet

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