Le créateur fête les 10 ans de sa maison de couture. En exclusivité, il a reçu Weekend dans son atelier new-yorkais pour nous parler de son parcours, de sa vision de la mode… et de For Him, son tout nouveau parfum.

Less is More. La devise du grand architecte minimaliste Mies van der Rohe (1886-1969) est aussi celle de Narciso Rodriguez, le  » designer des designers « , comme l’a baptisé la presse mode américaine. Dans son large atelier niché près de Union Square à New York, sa bibliothèque comprend des ouvrages d’architecture sur Franck Lloyd Wright, Oscar Niemeyer, Anish Kapoor… Des centaines de petits croquis ornent les murs. Cet observateur insatiable ne sort jamais sans un carnet de dessin sur lui.  » Je fais des photos, mais aussi des croquis en permanence. Comme un écrivain qui prend des notes, j’ai des dizaines de carnets remplis de dessins de gens, de paysages, d’immeubles, autant que de robes ou de chaussures. A New York, Chelsea et le Village m’inspirent beaucoup « , confie ce quadra décontracté et passionné. Jeans noir et chemise rayée, baskets blanches, il nous reçoit le sourire franc et l’£il vif. Un brin fébrile aussi, il nous présente sa toute première fragrance masculine, simplement baptisée For Him.

 » Dans mes collections, féminines ou masculines, il y a une vision. Comme créateur, je voulais l’interpréter dans un flacon. Tout ce que j’adore faire en couture, je voulais le reproduire dans un parfum. Je suis inspiré par les choses qui sont vraiment humaines, sensuelles, belles et accessibles, dans un sens familières, qui vous font vous sentir à l’aise, et jamais exagérées « , glisse-t-il dans un souffle. Son style, résulte de la somme de ses expériences, à la croisée des cultures et des chemins. En 20 ans, son parcours l’a déjà mené des deux côtés de l’Atlantique. Il s’est formé auprès des plus grands. Cette année, sa ligne en nom propre souffle ses dix bougies.

Né près de New York dans une famille cubaine, Narciso Rodriguez se passionne dès son plus jeune âge pour l’esthétique. Il fait des études de stylisme à la Parson School of Design de New York. Diplômé en 1982, il est d’abord free-lance, puis entre en 1985 comme assistant chez Anne Klein où il collabore avec Donna Karan. Il seconde ensuite Calvin Klein, entre 1991 et 1994, dans le prêt-à-porter féminin du grand créateur américain.

Narcisso Rodriguez fait aussi partie de cette génération de jeunes stylistes américains venus apporter un renouveau aux vieilles maisons européennes. Appelé à Paris comme directeur du style de Cerruti, il donne une dynamique aux collections féminines. De 1997 à 2001, directeur artistique mode de Loewe, il s’emploie à donner une renommée internationale au maroquinier espagnol. Ses lignes épurées, taillées dans les plus somptueuses peausseries (python, croco ou vison rasé), prouvent que le vrai luxe n’est pas dénué de simplicité.

Parallèlement, il travaille à ses propres créations à partir de 1997. Une robe le rend célèbre : le fourreau blanc qu’il dessine pour le mariage de sa grande amie la belle Carolyn Bessette-Kennedy, qui décédera dans un accident d’avion avec son époux John Jr en 1999. Sa maison de couture est acclamée par la critique aux Etats-Unis. Deux années de suite, en 2002 et 2003, il se voit attribuer le prix du meilleur designer par le Council of Fashion Designer of America (CFDA), un inédit dans la profession. Son style est tranché et pur, en équilibre parfait entre le pragmatisme à l’Américaine, l’élégance européenne et la sensualité latine.  » Mes vêtements sont pratiques. J’aime le glamour, mais je fais un glamour réaliste « , s’enthousiaste-t-il. Ni working-girl, ni baby-doll, la femme Narciso Rodriguez peut être sensuelle ou délibérément sexy, mais ses silhouettes sont toujours de bon ton, évoquant l’érotisme distant des héroïnes d’Alfred Hitchcock. Sous une certaine réserve, le feu. Pour cet hiver 07-08,  » faire léger  » est son mot d’ordre.  » La vie est assez pesante sans devoir en rajouter « , lançait-t-il, en février dernier, dans les coulisses de son défilé new-yorkais. A épingler : les modèles bicolores, les longues robes à taille Empire ou des tailleurs très années 1940, mais dont les tombés, les jeux de graphisme, et les finitions sont toutefois résolument modernes.

Son hommage à la femme, en 2003, Narcisso Rodriguez le pousse un peu plus loin. Il entame ainsi l’expérience en parfumerie avec la création de For her, un parfum soyeux à base d’huile de musc, d’une composition florale, d’ambre et de notes boisées. Il lance ensuite sa première collection de prêt-à-porter Homme en 2005, dont l’eau For Him est le prolongement naturel.  » Le parfum est une composante importante de l’expression de l’homme. For Him souligne ma vision du prêt-à-porter masculin « , précise le créateur, passé cette année dans le giron de la grande marque de textile américain Liz Claiborne qui s’occupera désormais de sa distribution. Même s’il se défend d’avoir créé For Him à son image, le résultat est complexe mais précis, riche sans être envahissant,  » un classique de modernité « , comme le souligne Francis Kurkdjian, le  » nez  » du parfum.

Pour ce nouveau jus, Narciso Rodriguez reste fidèle à ses constantes : modernité, intemporalité et équilibre.  » J’aime faire des choses modernes d’une façon classique « , dit-il. Noir, blanc, gris pâle ou beige poudré… sa palette chromatique opte pour les non-couleurs, tant pour ses vêtements que pour les flacons de ses fragrances. Si les références sont les mêmes que dans la version féminine, le processus d’élaboration de For Him n’a pas été simple pour autant. Un parcours initiatique doublé d’un parcours du combattant pour le styliste et la société conceptrice du parfum, Beauty Prestige International (BPI).  » Ce qui était un peu troublant pour nous, c’est que quand nous lui demandions de parler de sa vision masculine de la mode, Narciso utilisait exactement les mêmes mots que ceux qu’il utilise pour la mode féminine : structurée, précise, mais aussi l’importance donnée aux détails et au sens de la matière « , se souvient Nathalie Helloin-Kamel, vice-présidente de BPI. Pour autant, le créateur voulait éviter une redite de son parfum féminin  » tout comme mes collections masculines se distinguent de mes collections féminines « , martèle Narciso Rodriguez.

C’est à Francis Kurkdjian, qui avait déjà collaboré à la création de For Her qu’est revenu l’honneur, et la difficulté aussi, de  » fabriquer  » sa contrepartie.  » Nous avons eu de vrais  » non  » et pas de  » oui  » avant la fin du processus ; jamais de  » peut-être « . C’était très clair dans sa tête « , note Francis Kurkdjian, qui a signé entre autres les parfums Le Mâle et Fleurs du Mâle de Jean Paul Gaultier et Miracle Homme de Lancôme.

Le créateur souhaitait un accord olfactif unique, où aucune note ne soit prépondérante sur une autre.  » J’ai demandé à BPI, d’apporter de l’huile de musc, de la violette, de l’ambre. Nous allons juste les mélanger, sans processus chimique, ce qui les a complètement effrayés, car c’était tout à fait nouveau « , se souvient-il. Au final, l’essence parfumée capture l’esprit de Narciso Rodriguez et sa passion pour l’huile de musc égyptien, qu’il porte depuis l’adolescence et qui le définit olfactivement, intimement.  » Ce parfum est naturel pour moi, il sent comme moi et je le porte.  » Unique en son genre, l’huile parfumée peut s’appliquer partout sur le corps, glisse subtilement sur la peau, satine, tout en laissant un sillage frais. Avec son superbe flacon, hommage discret à Mies Van der Rohe, un bloc noir enchâssé dans du verre, peint de l’intérieur pour un effet translucide,  » For Him est devenu une partie de ma vie « , conclut Narciso Rodriguez.

Elodie Perrodil

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content