Longtemps restée dans l’ombre de sa créatrice de mère, Nathalie Rykiel prend doucement son envol et se positionne désormais comme la dauphine probable de la mythique Sonia. Portrait d’une femme déterminée qui gère déjà l’image de la marque.

Carnet d’adresses en page 147.

Les vibrations sont douces, toutes douces, au c£ur de Saint-Germain-des-Prés. Dans ce joli quartier parisien, célèbre pour avoir fait trembler jadis les premiers amateurs de jazz, un espace singulier draine désormais une clientèle en quête de sensations câlines. Au n°4 de la rue de Grenelle, dans le VIe arrondissement, la minuscule boutique Sonia Rykiel Woman a, en effet, récemment défrayé la chronique en raison d’un sous-sol plutôt sulfureux. Là, à quelques mètres des pulls en cachemire et des fameux joggings en velours éponge si chers à la créatrice de mode, une panoplie d’accessoires érotiques s’offrent aux clientes raffinées. Rien à voir avec l’atmosphère glauque des sex-shops de Pigalle ; ici, tout n’est que luxe, calme et volupté. L’atmosphère est feutrée et les vibromasseurs se lovent dans des écrins de satin. Opération suicidaire en plein quartier chic de la Rive Gauche ? Que du contraire ! Depuis son ouverture, le 1er octobre dernier, la boutique-boudoir ne désemplit pas et les godemichés sont en rupture de stock…

Derrière cette idée de génie, qui mélange les plaisirs charnels et vestimentaires, se cache un prénom délicieusement commun : Nathalie, fille de Sonia Rykiel et directrice artistique de cette marque déjà mythique. Son charme quadragénaire est intact ; sa détermination, inébranlable. Dans son bureau parisien qui mélange dossiers urgents, objets insolites et photos de famille, la femme d’affaires savoure modestement sa victoire.  » Je dois avouer que j’ai douté du succès de Woman, reconnaît d’emblée Nathalie Rykiel. Il s’agissait d’un vrai risque ! Imaginez un peu : une marque qui existe depuis trente-cinq ans et qui s’est institutionnalisée dans l’univers de la mode, du luxe et de la beauté, et qui, tout à coup, se met à vendre des sex-toys… C’était du jamais-vu en France et dans le monde entier ! Cela dit, j’y croyais tout de même parce que c’était tellement juste par rapport à l’esprit Rykiel, à cette idée de fun, d’humour, de scandale et de tendresse. L’idée collait complètement aux vraies valeurs de la maison : ce mélange fou d’audace et de pérennité, de classicisme et de branchitude… Bref, il s’agissait, avec Woman, de perpétuer avant tout l’esprit de la marque dans ce qu’elle a de plus frondeur, de plus libérateur, de plus scandaleux.  »

Petit flash-back. En mai 1968, Sonia Rykiel ouvre sa première boutique à Paris. A contre-courant des tendances de l’époque, cette créatrice révolutionnaire exhorte ses clientes à porter ses petits pulls rayés à même la peau, sans soutien-gorge. La rébellion est dans l’air du temps et la jeune femme entend bien jeter son pavé dans la mare textile. Elle destitue l’ourlet, instaure les coutures à l’envers et imagine des fentes dans les blouses féminines pour mieux accueillir les mains masculines. Provocatrice, sa  » démode  » (pour reprendre une expression qui lui est chère) séduit peu à peu les foules et les rédactrices de mode. La marque s’installe lentement mais sûrement.

C’est en 1975 que sa fille Nathalie entre dans la danse vestimentaire. A cette époque, l’adolescente est plutôt mal dans sa peau. Elle vient de perdre son père et se cherche désespérément. Sa mère lui offre alors ce que Nathalie nomme aujourd’hui  » son plus beau cadeau de femme  » : une première expérience de mannequin au c£ur d’un défilé Sonia Rykiel sans aucun favoritisme à son égard. Nathalie prend doucement confiance en elle et goûte petit à petit au monde de la couture.  » A cette époque, se souvient-elle, la mode ne m’intéressait pas du tout. J’avais plutôt envie de faire des études de médecine et, entre mes rares expériences de mannequin, j’ai même cumulé quelques petits boulots. Après quatre défilés pour ma mère, j’ai eu envie d’aller plus loin et je me suis donc investie dans la mise en scène des défilés où je gérais entre autres les jeux de lumière et la musique. D’une certaine façon, on peut dire que cette expérience de mannequin m’a mis le pied à l’étrier.  »

Au fil du temps, Nathalie Rykiel prend de l’assurance et des galons. Successivement directrice commerciale de la marque, styliste de la première ligne Sonia Rykiel Enfant en 1983 et responsable de la nouvelle collection Inscription Rykiel à l’esprit plus sporstwear en 1989, la jeune femme se fait lentement un prénom dans l’ombre imposante de sa créatrice de mère. En 1993, sa crédibilité augmente d’un cran dans le microcosme de la mode : le réalisateur Robert Altman prépare activement son film  » Prêt-à-Porter  » dans l’univers des défilés parisiens et il choisit Nathalie comme conseillère artistique du film.  » C’était une expérience magique qui a duré un an, affirme-t-elle. J’ai organisé des rendez-vous entre Robert et Karl Lagerfeld, Jean Paul Gaultier, Pierre Bergé… C’était magnifique. Bien sûr, je savais que le film serait une caricature et, d’ailleurs, « Prêt-à-Porter » a suscité une émotion incroyable dans le milieu, mais c’était surtout une proposition unique que je ne pouvais pas refuser. A ce propos, je dis toujours : si vous aviez eu l’opportunité de croiser Picasso et que ce dernier aurait insisté pour faire votre portrait, auriez-vous refusé son invitation sous prétexte que vous auriez été « défiguré » par son coup de pinceau ? »

Nathalie a bien man£uvré. Même si le film est un échec commercial et est plutôt mal accueilli dans le monde de la mode, la fille de Sonia est de moins en moins perçue comme  » la fille de « . En 1996, elle se consacre à la filiale Sonia Rykiel Parfums et participe activement à la naissance des fragrances Sonia Rykiel en 1997, L’Eau de Sonia Rykiel un an plus tard et Rykiel Homme en 1999. L’an 2000 est la véritable date charnière dans la carrière déjà bien remplie de Nathalie. Non seulement elle crée la collection Modern Vintage Sonia Rykiel (reposant sur le principe de la réédition limitée de modèles anciens), mais elle devient surtout l’image médiatique du nouveau parfum  » Rykiel Rose  » qu’elle a elle-même imaginé. Son visage fleurit dans les publicités diffusées en France et dans le monde entier, Nathalie devient enfin  » publique « , mais, paradoxalement, elle n’en garde pas un excellent souvenir.  » A l’époque, précise-t-elle, je voulais faire passer le message selon lequel je me positionnais aux côtés de ma mère et non pas à sa place. Autrement dit, je voulais insister sur le côté familial et donc sur le fait qu’il y avait suffisamment de place pour deux femmes au sein de la même marque, mais malheureusement le message a été très mal interprété. Avec le raccourci visuel, tout le monde a cru que j’incarnais la relève et que je voulais prendre la place de Sonia Rykiel. Cela m’a vraiment agacée.  »

La relève… Le mot est lâché, même s’il est de notoriété publique que la mère et la fille s’entendent à merveille. Depuis cette accélération médiatique, Nathalie n’a pas cessé, en effet, de multiplier les projets (dont la fameuse boutique Sonia Rykiel Woman) et chacun peut donc légitimement s’interroger sur une éventuelle succession au sein de la prestigieuse maison. D’ailleurs, Nathalie est aujourd’hui directrice artistique de la marque et son mari, Simon Burstein, en est l’actuel vice-président.  » La relève n’est absolument pas d’actualité, s’indigne Nathalie. Ma mère signe chaque collection et il n’est pas question que ça cesse. On s’entend extrêmement bien, on est très complémentaires et le jour où elle aura envie d’arrêter, je prendrai les décisions qui s’imposeront. Mais ce qui est certain, c’est que cette affaire continuera avec moi à sa tête. Je ne pense pas qu’un styliste étranger puisse prendre cette relève. Donc, très vraisemblablement, c’est moi qui reprendrai les rênes de la création, ne fût-ce que pour garder cet esprit familial.  »

En 2003, la marque est en effet unique dans le paysage du luxe français. Comme Chanel (à la seule différence que les propriétaires ne sont pas investis dans le processus créatif), Sonia Rykiel est une entreprise familiale, 100 % indépendante et autofinancée, qui inspire aussi bien le respect que la convoitise. Nathalie veut croire, pour le moment, en sa pérennité sans aucune aide venue de l’extérieur. Pour ce faire, elle développe des projets atypiques et modernes, comme le fit sa mère trente-cinq ans plus tôt, pour mieux perpétuer l’identité de la marque. En harmonie totale avec l’esprit de la maison mère, la boutique Woman participe justement à cette volonté de construire encore et encore le mythe Sonia Rykiel.

Animée par le désir de surprendre, Nathalie se défend toutefois d’avoir uniquement £uvré dans un souci de provocation gratuite ou de coup médiatique. Au-delà de l’image coquine qu’un tel concept peut suggérer, la responsable des lieux insiste, une fois de plus, sur la réelle mission libératrice de ses vibromasseurs commercialisés dans une boutique de mode.  » J’ai vraiment voulu sortir les sex-toys de leur univers sordide pour les installer dans un univers beaucoup plus glamour, reconnaît Nathalie. En fait, c’est toute la déculpabilisation des femmes par rapport au plaisir que je veux mettre en évidence. Le sex-toy est un jeu. Ce n’est pas un objet de déviance sexuelle, ni le synonyme d’une tristesse profonde. C’est tout le contraire de la solitude ! C’est même un jeu qui peut se jouer à deux. Et puis, ce qui m’a fait très plaisir, c’est le témoignage de certains sexologues qui m’ont avoué que cet espace les avait aidés à mener à bien certaines thérapies. Par le simple fait de pouvoir envoyer leurs patientes dans un magasin de mode, de luxe et de plaisir, qui n’est pas situé dans un quartier dégoûtant et où les clients n’ont pas de regards dégueulasses, ils ont pu les pousser à acheter plus facilement un objet qui allait enfin contribuer à leur épanouissement sexuel. Et ça, j’en suis ravie !  » Trente-cinq ans après sa mère, Nathalie Rykiel vient, à son tour, de signer son premier acte révolutionnaire.

Frédéric Brébant n

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