Barbara Witkowska Journaliste

La fibre verte vibre de toutes ses fragrances. Aujourd’hui, on veut des odeurs qui parlent à nos sens. En fonction de notre mémoire olfactive, on craque pour des sillages végétaux, fleuris, épicés ou boisés.

Très verts, ces parfums nous replongent dans l’enfance, subliment l’odeur de l’herbe coupée, révèlent les facettes mystérieuses des paysages champêtres, renvoient vers une nature bucolique ou la campagne anglaise. Victoire Gobin-Daudé se ressource souvent au c£ur de la nature, aime à s’imprégner de ces odeurs puissantes et mystérieuses. Cela dit, elle n’essaie jamais de copier une plante. Très attentive à tout ce qui se passe dans un jardin, elle s’attache à retraduire olfactivement ses ambiances et ses métamorphoses au gré des quatre saisons. Un jour de février, en se promenant dans l’arboretum Hemelrijk, situé en Flandre, près de la frontière hollandaise, elle a découvert les bourgeons d’un peuplier du Canada. Ils étaient collants, fuselés, gourmands, recouverts d’une sève rousse. C’est cette sève, prémices du printemps et de la vie renaissante, qui a inspiré Sève Exquise, un parfum très végétal, vert et chypré. Son architecture souple et délicate intègre l’iris, le liatrix (petit buisson de Californie) et le vétiver.

Très printanière également, l’Eau de Campagne de Sisley est un souffle vert, une bulle d’oxygène qui flatte les narines des citadins. En guest star, la feuille de tomate. Son odeur unique, fusante et incisive, flirte avec le basilic et les herbes sauvages, puis s’épanouit sur la mousse de chêne et le vétiver. On s’imprègne d’arômes et on craque sous ce fouillis végétal. Que de feuilles chez Lanvin ! Eclat d’Arpège exhale le vert et la nature. Feuilles de thé vert, feuilles de citrons de Sicile, vert de lilas s’exposent overdosés et taquinent gentiment le velouté des fleurs de pêcher ou la délicatesse de la pivoine rouge. Pour conclure, le cèdre blanc du Liban, les muscs doux et l’ambre précieux font patte de velours et féminité subtile.

Chez Iunx, à Paris, un espace entièrement dédié aux parfums d’Olivia Giacobetti, des fontaines épurées font jaillir les Eaux de Iunx ( lire aussi pages 52 à 55). Elles sont dix au total, extrêmement légères et subtiles et s’inspirent de souvenirs personnels de la créatrice, puisés à la campagne, dans un verger, dans un champ ou dans un jardin. L’Eau Senso évoque un bois au bord de l’eau, l’Eau Baptiste est souriante comme la fleur d’oranger, tandis que l’Eau Chanvre évoque l’ambiance d’un grenier à la campagne où s’entassent des herbes séchées. Beaucoup d’émotions en perspective.

Bouquets modernes

Voluptueuses mais pas éc£urantes, ni trop naïves ni trop figuratives, les compositions florales se travaillent par touches, comme des tableaux impressionnistes avec des accords floraux en guise de couleurs. Eau de Parfum II, la nouveauté de Gucci, séduit tout d’abord par son écrin sculptural et transparent dans lequel est sertie une généreuse goutte de parfum rose pâle. On ôte délicatement le bouchon limpide. Des effluves enivrants de jasmin frais et d’héliotrope s’en échappent dans une envolée joyeuse. La violette et la mûre sont titillées par les notes acidulées de mandarine, de cassis et d’orange, pour s’apaiser dans la sagesse d’un fond boisé tiédi de cèdre.

Une fragrance délicatement fleurie inspirée par Marcel Proust ? Pourquoi pas ?  » … faisant entrer, comme une fenêtre ouverte, dans ma chambre encore fermée et noire, la tiédeur, l’éblouissement, la fatigue d’un premier beau jour.  » Premier Jour, tel est le nom du nouveau parfum Nina Ricci. Une composition aérienne et évanescente, sortie tout droit de la lumière d’aube. Les pétales blancs du gardénia associés au pétillement de la mandarine nous régalent dans une ouverture vive et lumineuse. Le pois de senteur épanche avec fidélité son arôme divin, tandis que l’orchidée vanille apporte un supplément d’éclat. En final, le bois de Sainte-Lucie, les muscs et le santal de Mysore déroulent leurs chuchotements fondants. Des notes chaudes qui murmurent à l’oreille.

Le temps d’une édition limitée, Chic de Carolina Herrera s’adonne au luxe. Habillé d’une robe rouge rubis, paré d’un pompon pourpre et soyeux, le flacon irradie la splendeur et l’élégance. Si son nom claque comme un drapeau, son odeur est un vrai bonheur de délicatesse et de profondeur. Difficile de rester insensible à ce départ raffiné de pétales frais de rose bulgare et de freesia rouge. Le tempo s’accélère quand la fleur d’oranger et le mandarinier entrent en piste, pour s’alanguir, enfin, dans un accord majestueux de bois de santal de Mysore et d’absolu de vanille Bourbon réchauffés de musc blanc.

Nouvelle cuisine

Epices brûlantes et baumes veloutés donnent aux parfums orientaux leurs tempéraments ardents, leurs pouvoirs envoûtants. Etrange et piquant, Omnia de Bulgari ne contient pas une seule note fleurie. Le fait mérite d’être souligné, car il constitue vraiment une exception dans la parfumerie féminine. En revanche, cet élixir innovant ensorcelle les sens avec un cocktail capiteux d’épices en overdose. Le safran, le gingembre, la cardamome et le poivre noir allument le feu telle une étincelle. Le c£ur s’embrase avec des feuilles du thé Massala, utilisé pour la première fois en parfumerie. Quelques zestes de mandarine l’attisent davantage. Tout s’apaise avec une combustion lente sur fond bois indien et… chocolat blanc. Ce parfum nouveau se glisse dans un flacon nouveau. Deux anneaux couleur caramel s’imbriquent et ne cessent de se fondre et de se confondre.

Gingembre version light ? C’est ce que nous propose Eau de Gingembre de Roger & Gallet. Elaborée dans la plus pure tradition de la maison et de ses eaux parfumantes naturelles, elle n’a vraiment rien de diabolique. Tout commence par la fougue du gingembre du Japon. L’essence de néroli y ajoute son énergie fruitée. Mais déjà la bergamote entre en scène. Suave et délicate, elle arrondit les angles. A ce prélude gentiment pétillant succède la sensualité de l’absolu de gingembre de Jamaïque et la douceur orientale de l’ambrette, soutenus en sourdine par les voix basses du baume de benjoin et du musc.

Comme des Garçons 2 ( lire aussi pages 28 à 31) a un nom issu de la marque de prêt-à-porter, un flacon sensuel et une fragrance brûlante comme un cognac. Dans son mélange détonant : labdanum, patchouli, cèdre de Chine, cumin et, surtout, l’encens. Ce dernier provient de l’arbuste oliban qui pousse en Afrique et en Arabie. Son odeur est tiède, miellée et enveloppante, très feutrée. Ce philtre d’amour est aussi enrichi en quelques traces de magnolia et de rose turc.

Escada a eu envie de thym et de basilic, feuilles humbles, précieuses et délicieusement aromatiques. Puis, d’une salade de fruits, avec des zestes d’ananas, de melon, de prune et de cassis. Après cette entrée en matière fraîche et gourmande, le c£ur se révèle floral et magnétique. La rose flirte avec le jasmin. Les deux donnent la réplique à l’iris et au magnolia. Pour terminer dans un soupir ambré de vanille, de bois de santal, de caramel et de noix de coco. Ce cocktail haute séduction, versé dans une fiole élancé de couleur pourpre, porte le nom Magnetism.

Parfums sortilèges

Le charme voluptueux de l’ambre, la magie des bois précieux et la langueur des notes vanillées… Les mille et une facettes olfactives de l’Orient continuent à nous envelopper dans leur étrange charisme. Les parfumeurs s’adonnent à de nouveaux exercices de styles et à une réécriture de ces fascinants nectars. Envie de peau, de douceur et de féminité, on redécouvre le langage de la sensualité intimiste. Ainsi Serge Lutens qui nous enivre avec un nouveau chapitre de ses contes parfumés. Un Bois Vanille se confond à l’atmosphère et au souvenir de Texcoco. Au XVIe siècle, la capitale de l’empire aztèque est rasée et pillée par les troupes de Hernán Cortés. Tous les trésors, dont quelques cosses noires de vanilles, sont emportés par les conquistadors, puis anéantis car seul l’or retient leur attention. La vanille est la seule rescapée… Serge Lutens a conçu une image, un parfum fait pour le rêve. Une riche vanille boisée, à laquelle se frottent en souplesse la cire d’abeille, la réglisse noire, l’iris de Toscane, le lait de coco et la pâte d’amande. Un enchantement.

Ennio Capasa, créateur et styliste de Costume National aime les choses simples, les sillages intimes, sensuels et charnels. La fragrance Scent a été composée dans l’esprit d’une séduction très personnelle et un peu androgyne qui caractérise la mode Costume National. Elle ne réunit que 23 ingrédients. En vedette : l’ambre, la fleur d’hibiscus, le thé au jasmin, le patchouli, le santal et une résine originaire du Yémen proche de l’encens.

Jean-Claude Ellena, grand compositeur de parfums, s’est baladé dans l’île de la Réunion. Dans la forêt de bois de couleur, au milieu des bois rouge, bois jaune, bois de lait, bois maigre, bois chandelle, il a découvert le bois de senteur blanc. Ses fleurs exhalent une odeur surprenante de farine. Le sortilège a fonctionné tout de suite. De cette rencontre est né Bois Farine, composé pour L’Artisan Parfumeur. Sillage inédit avec une pluie de farine et un poudré de fleur inconnue dans les volutes de bois blancs, secs et laiteux. A adopter par les gourmandes, friandes de saveurs nouvelles.

Chez Céline, ça commence avec entrain par un chaud-froid de poivre rose et de pastèque. Le c£ur s’alanguit de roses expirantes, de jasmin et de freesia. Pour atterrir en douceur dans une euphorie lascive d’encens, de bois de cèdre, de bois de santal, de vanille et d’ambre. Plus fleuri qu’oriental, mais son ambré doux séduit irrésistiblement.

Barbara Witkowska

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