Près du Canal à Bruxelles, Alice van den Abeele, fondatrice avec Raphaël Cruyt d’Alice Gallery, a investi le dernier étage d’une ancienne papeterie. Un lieu ouvert et transversal qui fait la part belle à la création contemporaine… et à la vie de famille.

Quand on passe tout son temps avec des artistes, des commissaires d’exposition et des collectionneurs, forcément cela finit par avoir une incidence sur votre quotidien, même le plus intime. Prenez l’intérieur d’Alice van den Abeele.  » C’est un peu une extension de notre galerie « , reconnaît la marchande d’art.

En 2005, elle a fondé à Bruxelles Alice Gallery avec son compagnon, Raphaël Cruyt. Un espace d’expositions à la réputation bien assise qui fait la part belle à la subculture.  » Les oeuvres qui se trouvent dans la galerie pourraient être ici et vice-versa. Il n’y a pas vraiment de frontière. C’est pareil pour les meubles et les livres qui nous entourent. D’ailleurs, j’ai envie que la galerie soit un lieu chaleureux où les gens se sentent bien, un peu comme si nous les accueillions chez nous.  »

L’appartement que le couple occupe quai des Charbonnages avec leurs deux enfants est situé à quelques centaines de mètres à peine de leur lieu de travail.  » Je ne pourrais pas vivre ailleurs que dans le centre-ville « , explique la propriétaire, grande amoureuse du bitume. Après des études d’histoire de l’art au Simmons College de Boston, celle qui représente aujourd’hui le photographe Nicolas Karakatsanis ou le collectif Hell’O a vécu à New York, Londres et Paris avant de revenir, il y a dix ans, dans la capitale belge.  » J’aime le mélange culturel et la diversité. Ce quartier correspond exactement à ce que je recherchais. On se déplace à vélo et le dimanche, on fait nos courses au marché de la place communale de Molenbeek. Le Canal n’est plus une ligne de démarcation comme autrefois.  »

L’OMBRE DE LA MANUFACTURE

Avec la rénovation des abords du chenal, la rive gauche a connu une métamorphose qui fait le bonheur des cyclistes, des promoteurs et des amateurs de défuntes fabriques. Le dernier étage qu’occupe Alice est logé dans un ancien entrepôt de stockage de papier. L’endroit a été remodelé par l’architecte Sébastien Cruyt, frère de Raphaël et précurseur de l’habitat vert en Belgique.

De l’ex-bâtisse, le trio a gardé plusieurs éléments d’origine comme les briques apparentes ou les poteaux de soutien, habillés d’un simple coup de peinture. Les ajouts se fondent parfois dans le décor, à l’image des plaques isolantes en fibre naturelle posées sous le faîte. Dans une chambre, ce sont des panneaux en bois contreplaqués conçus avec François Dieltiens, membre à part entière de Hell’O, qui font office de papier peint. Bref, l’ombre de la manufacture plane encore. Mais pas question pour autant de céder au loft pur et dur.  » Avant d’avoir des enfants, nous vivions dans un espace complètement ouvert mais cela nous semblait inapproprié avec une famille. On a décidé qu’il y aurait des chambres cloisonnées mais avec la volonté de conserver une pièce commune qui soit la plus vaste possible. C’est notre lieu de vie à tous les quatre, celui où l’on cuisine, on mange, on bouquine et on travaille. Les petits se sont aménagé un coin avec une table et des chaises. C’est ici qu’ils jouent la plupart du temps.  »

Ce vaste plateau où convergent les activités de la famille s’ouvre sur une terrasse qui domine un paysage ultra-urbain composé de tours, de toits plats et de cheminées. Le genre de décor qui inspire Alice.  » En ville, c’est très agréable d’habiter en hauteur et de bénéficier d’un maximum de lumière. La triple exposition est idéale. On a le soleil qui se lève par une fenêtre et qui se couche par une autre.  »

EX-VOTO

Avec le cabinet d’architectures Synergy International, le couple a imaginé au centre de la pièce principale une étrange bibliothèque atypique, intégralement suspendue. En se  » pluggant  » sur les poutres existantes, la construction qui tient du mikado, a permis de libérer les murs et d’accueillir les (nombreuses) oeuvres d’art.

Dans le coin salon, au-dessus d’un mobilier  » mid-century  » d’origine scandinave, trône une toile de l’Atelier Pica Pica, un collectif belge défendu et représenté par Alice Gallery. D’autres artistes  » maison  » figurent en bonne place comme le New-Yorkais Paul Wackers, Boris Tellegen aka Delta, vidéaste et plasticien néerlandais inspiré par le street art et le morphing.  » Il a commencé comme graffeur avant de s’imposer sur la scène internationale pour ses lettrages en trois dimensions.  »

Entre le salon et la cuisine, une sculpture hyper réaliste en céramique, figurant un sac Marc Jacobs garni de bâtons de dynamite, est signée Antoine Bouillot. Cet ancien directeur artistique, qui a travaillé chez Issey Miyake et Lanvin, livre un regard grinçant sur le monde du luxe. Et un hommage inconscient au final de Pierrot le fou, l’explosif film de Jean-Luc Godard ?

Les deux galeristes ne cachent pas leur passion pour l’art contemporain, présent dans les moindres recoins. Dans leur chambre, une série de peintures, photographies et collages de petite dimension sont disposés à la manière d’ex-voto.  » Ce sont les originaux des affiches que les artistes ont réalisées pour nos expositions « , précise Alice. Parmi les  » offrandes « , le dessin d’un petit fantôme de Todd James. Cette figure reconnue de la scène street, associée à l’âge d’or du graffiti new-yorkais des années 80, est un fidèle de la galerie bruxelloise. L’Américain officie dans des domaines connexes à l’art comme la réalisation de clips, la création de costumes pour la scène musicale ou la conception de pochettes de disques pour Iggy Pop. Un goût de la transversalité qui séduit Alice van den Abeele et Raphaël Cruyt, apôtres du croisement des genres.  » Il y a une dizaine d’artistes avec lesquels nous travaillons depuis nos débuts. Chaque année, nous essayons de présenter un nouveau nom. La collaboration ne dure pas toujours. Cela dépend de la relation. Rien n’est figé.  »

Retour au domicile. Et le mobilier dans tout cela ?  » Ce sont des articles chinés à gauche et à droite qui proviennent de la place du Jeu de Balle ou de petites brocantes. Je ne me sens pas le besoin de posséder du mobilier de collection.  » Le tapis du salon est un souvenir du Maroc et les vases sur la table basse ont été ramenés d’un voyage au Rwanda. Pas de quoi pavoiser dans les dîners en ville. Quant à la balançoire fleurie en polypropylène du designer Marcel Wanders qui fait l’angle de la cuisine, Alice l’a achetée il y a quelques années au concept store Droog d’Amsterdam. Cofondé en 1993 par Gijs Bakker, le label Droog Design s’est fait connaître par son goût de l’oblique, puisant son inspiration dans le dadaïsme, le quotidien et le recyclage avant que le  » green  » ne devienne à la mode. Bref, le design vécu comme une aventure libre, hybride et collective. De quoi séduire Alice ? Si peu…

PAR ANTOINE MORENO / PHOTOS : RENAUD CALLEBAUT

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