Absinthe, rhum, champagne, whisky. Les ingrédients-phares des barmans jouent les guest stars dans de nombreuses fragrances pour homme. Happy hours ?

Sur la liste de ce que l’on appelle dans le jargon des parfumeurs, le  » premier accord « , c’est la limette – un petit fruit citronné à l’amertume cinglante – qui arrive en tête, talonnée par les feuilles de menthe poivrée, un trait de rhum jamaïquain distillé en essence et une pointe de rhubarbe vivifiante. Toute ressemblance avec un mojito frappé n’est ni fortuite, ni involontaire. Guerlain Homme (5.), le dernier-né des jus masculins du parfumeur parisien, scellé dans un flacon en verre massif profilé comme une flasque d’alcool, assume totalement ses origines de comptoir. Et son nez est loin d’être le seul à s’être laissé inspirer par les alcools forts d’une carte d’happy hours premium.

Thierry Mugler lancera à la rentrée une nouvelle fragrance en édition limitée : A* Men Pure Malt s’appuie sur un accord de Laphroaig, une variété de whisky sélectionnée au terme d’une très sérieuse séance de dégustation au fin fond de l’Ecosse. Comme le malt dont il est tiré, le précieux liquide aura macéré dans une barrique de chêne avant d’être mis en bouteille. Avec ce nectar, Mugler n’en est d’ailleurs pas à son coup d’essai : Mirror of Vanities, un autre de ses jus exclusifs, mêle le citrus et la quinine qui composent aussià le gin tonic ! Chez Sean John, c’est le champagne pétillant – sans doute un clin d’£il aux bulles de Cristal tellement prisées du rappeur – qui fait vibrer les notes d’Unforgivable Eau Fraîche (3.). Chez Givenchy, la version Summer Sorbet de Very Irrésistible (4.) s’adjoint les services du duo Myrtille-Cranberry qui fait tout de suite penser au Cosmopolitan.

Elevé dans les vapeurs envoûtantes qui s’échappent comme par magie des fûts de cognac – la fameuse part des anges – Kilian Hennessy a gardé de cette  » madeleine de Proust  » de son enfance, le souvenir persistant du sucre de l’alcool et de l’odeur puissante et vanillée des bois de chais. Des notes que l’on retrouve toujours en toile de fond de la gamme de parfums qu’il a lancée il y a un peu moins de deux ans ( lire encadré ci-contre). Pour le vestiaire masculin, ses créations évoquent l’univers sulfureux des paradis artificiels de l’homme moderne : A Taste of Heaven s’appuie sur une base d’absinthe, douce et amère à la fois, mêlée à la lavande de Barème et à la vanille Bourbon. Le deuxième jus, Straight to Heaven, allie rhum et patchouli aux bois de cèdre et de palissandre. Pour remplir les flacons, tous rechargeables, une  » fontaine ressource  » aux allures de tonneau miniature (6.).

Alors que le marché des fragrances pour homme connaît depuis quelques années une croissance sans précédent, que les parfums pour femme s’emparent aussi de plus en plus d’ingrédients historiquement associés à l’univers masculin, il est donc essentiel de parvenir à intriguer son public cible. En faisant planer autour des flacons comme un soupçon de prohibitionà Ainsi, les créateurs du jus Absolument Absinthe (1.) – qui peuvent déjà compter sur le pouvoir d’attraction maléfique de l’alcool des poètes maudits – n’ont-ils pas hésité à ajouter en plus une note deà cannabis pour renforcer le mystère. Un cocktail que l’on imagine – à tort – lourd et capiteux et qui dégage pourtant un parfumà d’herbe fraîchement coupée plutôt que fumée. De même lorsqu’on est face au Guerlain Homme, c’est l’effet mentholé qui prime.  » La fragrance a été d’abord et avant tout conçue pour générer une sensation de fraîcheur, assure Thierry Wasser, créateur du parfum (*). Personne n’a réellement envie de sentir le mojito ! Je voulais avant tout exprimer des accords verts, des arômes frais d’herbes, de plantes et de forêt.  » Un effet coup de splash sur lequel mise aussi le Roadster (2.) de Cartier qui renforce son accord fougère minéral en ajoutant aussi dans le mélange l’ingrédient signature du célèbre cocktail cubain.

 » Ces ingrédients en tant que tels ne sont pas nouveaux, poursuit Killian Hennessy qui, avant de lancer sa propre marque a fait ses classes chezà Thierry Wasser. Le challenge, c’est d’arriver à assembler ces senteurs pour en faire un accord séduisant que l’on aimera porter. Car il ne suffit pas de surprendre. Le parfumeur travaille comme un grand chef : sur papier, on peut mélanger de la sole et du chocolat. Mais dans l’assiette c’est immangeable.  » Version boudoir, le parfum d’interdit pourra donc tout se permettre. A condition de ne pas sentir l’arrière-salle de bar enfuméeà

(*) In How to Spend It, 15 novembre 2008.

Isabelle Willot

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