A voir les catwalks et les boutiques design, pas de doute : les jouets se sont fait la malle. Direction ? Le royaume de la hype. Ce monde de grands. enfants.

« Moi je dors avec nounours dans mes bras « , chantaient Karin et Rebecca en 1964. Dans l’univers fantasque et fantaisiste des frères Campana, ce sont plutôt les peluches qui vous entourent de toute leur affection. Imaginée en 2002 par le duo de créateurs brésiliens, la Banquete Chair, déclinée depuis en version alligators, dauphins, requins ou pandas, n’est pas destinée à une chambre d’enfant. Edités en série limitée, vendus chez Moss à New York – la boutique design la plus pointue du monde -, ces étranges fauteuils sont devenus les jouets arty des collectionneurs et des directeurs de musées.

 » Cette accumulation de peluches est un reflet assez fidèle de notre personnalité à tous les deux, confiait, il y a peu, Umberto Campana au site Dezeen.com. Des idées qui partent dans tous les sens, une vie chaotique où les projets se bousculent. Ça a l’air complètement aléatoire, la manière dont ces animaux sont assemblés. Mais en réalité, c’est étudié, rien n’est placé par hasard.  » Apprivoisé par ces deux stars du design, le teddy bear de notre enfance – certes, détourné de son rôle premier – est devenu une icône de style.

La carte de l’humour

Dans un monde où les experts en tous genres se bousculent pour affirmer que nos gamins grandissent trop vite, les attributs des moins de 10 ans sont devenus des champions de la hype. La brique Lego déjà recyclée en meubles design par le label Lunablock, découvre la fashion, relookée par Jean-Charles de Castelbajac qui, cet été, en a fait chapeaux, colliers et lunettes, allant même jusqu’à  » organiser  » avec le fabricant danois un défilé virtuel auquel assistait même – front row, cela va de soi – une version 100 % plastique d’Anna Wintour ( NDLR : la rédactrice du Vogue US) aux côtés d’un diablotin habillé en Prada. Et pour l’hiver prochain, ce roi de la provoc, qui invite régulièrement les héros de Disney sur ses catwalks, a remis Kermit au goût du jour en imaginant un manteauà de batraciens.  » Oui, j’ai massacré des grenouilles « , affirmait, ironique, Castelbajac à la sortie du défilé au journaliste du magazine Dazed and Confused. Histoire de se moquer des Britanniques qui qualifient d’ordinaire les Français de cette manière ou de montrer du doigt les partisans de la fourrure, c’est selon.  » L’humour est une arme plus puissante qu’on ne le croit « , précisait encore le styliste français.

La griffe antistress

Et sans doute plus que jamais en période de récession économique où tout est bon pour résister au stress ambiant.  » L’usage de ces symboles propres à l’univers de l’enfance nous aide à replonger dans une époque de notre vie où nous nous sentions en sécurité, décrypte Gordy Pleyers, docteur en psychologie du consommateur et professeur à l’UCL. L’incertitude professionnelle, la concurrence de plus en plus accrue étaient déjà bien présentes avant la crise que nous connaissons aujourd’hui. Le phénomène s’en trouve accentué. « 

Pour résister, du moins en apparence, on se raccroche à des signes extérieurs de petit bonheurà les plus exclusifs possibles. Oui donc à la chemise Mickey. Mais à condition qu’elle soit griffée Paul Smith ou Jeremy Scott.  » J’adorais déjà Mickey quand j’étais môme, assure le créateur américain dont la collection automne-hiver 09-10 est truffée de références à l’univers ludique de la souris la plus célèbre du monde. Son iconographie – les grandes oreilles, les gros pois jaunesà – me fascine. Je pense qu’en dépit de tout, l’heure est à l’optimisme. On a tendance à oublier que le personnage de Mickey est apparu pendant la crise boursière de 1929 ! « 

Les big boss du Royaume magique ont aussi bien compris que l’époque était propice à l’envie de rêverieà à tous prix. En marge de ses produits dérivés destinés au mass market, se développent aussi des gammes plus pointues destinées à des consommateurs exigeants désireux d’affirmer leur différence. Dans les parcs de loisirs parisiens, à côté du merchandising classique, on trouve désormais des corners de textiles 100 % bio, dans des tons naturels, dotés de motifs discrets. Du côté des licences, les symboles sont détournés : à 20 ans, plus question d’afficher la Fée Clochette sur sa liquette. Sur les tee-shirts de la marque espagnole Pinko, ce sont les méchantes – Cruella d’Enfer ou Ursula la Pieuvre en têteà – qui se taillent la part du lion.

Afficher sa Disneymania n’est plus un crime de branchitude depuis que des people bad boys comme Frédéric Beigbeder, Sébastien Chabal ou David Guetta passent sans complexe leurs week-ends à Disneyland et acceptent de s’affubler publiquement d’oreilles de souris – certes ensuite vendues aux enchères chez Drouot pour l’association Rêves parrainée par Vanessa Paradisà – sans que ça ne ricane dans les bars trendy parisiens.  » C’est l’effet Sarkozy, ajoute Gordy Pleyers. En choisissant Disneyland pour annoncer sa liaison avec Carla Bruni, il a décomplexé tous les fans de parcs d’attractions. « 

Transgénérationnelles, ces icônes qui nous touchent tous sont du pain bénit pour les créateurs de tous bords. En témoigne le succès (d’estime ?) rencontré par le long-métrage d’animation Panique au Village entièrement réalisé à partir de petites figurines de plastique et présenté hors compétition lors du dernier Festival de Cannes.  » Un cow-boy, un Indien, des animaux de la ferme, on a tous un jour eu cela dans nos boîtes de jeu, justifie Vincent Patar, l’un des deux réalisateurs de cet ovni cinématographique. C’est un truc qui touche tout le monde.  » Horripilant pour les uns, le film est qualifié de  » culte  » par ses fans  » fiers d’oser rester de grands enfants « .

La barbiemania pour tous

Plus besoin non plus pour les Barbie freaks de se la jouer profil bas : accusée de tous les maux hier par une armée de psy et de féministes, elle vient de fêter ses 50 ans en grande pompe aux quatre coins les plus branchouilles de la planète : défilé de mode à New York, chic party chez Colette à Paris, ouverture d’un premier flagship store à Shanghai où les fillettes de tous âges – et surtout de plus de 20 ans – peuvent trouver leur kit de blonde. Consacrée par Lagerfeld, elle rejoint la cour des grandesà top-modèles ! D’ailleurs, Karl ne se contente plus de l’habiller en Chanel : il se prend même pour Ken et shoote la poupée comme une star. A Las Vegas, une suite signée Jonathan Adler, permet de vivre, pour une nuit, dans la Malibu Dream House de Barbie qui s’intéresse – enfin ! – au design depuis le lancement, en plein Salon du meuble de Milan, d’une ligne de chaises – rose clair, cela va de soi – chez Kartell !

Echappée du coffre à jouets, celle qui, depuis sa création a déjà exercé plus de 108 carrières d’envergure, est bien plus qu’une simple poupée.  » En Asie, les jeunes femmes n’hésitent pas à s’habiller en total look Barbie, assure Christian Schultz, responsable de la communication pour la marque en Europe. C’est devenu un style de vie.  » En marge des campagnes de pub traditionnelles qui s’adressent aux enfants, un autre marketing, orchestré par Mattel, raconte, lui, des histoires de grands pour les grands. La séparation en fanfare de Ken et de Barbie, en 2004, le jour de la Saint-Valentin en est un bel exemple. De même, le marché des poupées collector habillées par de grands couturiers ne s’est jamais porté aussi bien. La clientèle ?  » Des femmes qui ont joué avec Barbie quand elles étaient petites et qui retrouvent ainsi leur meilleure amie « , ajoute Christian Schultz.

Régresser pour oublier le stress : un luxe dont rêvent les représentants de la  » génération Haribo « , à l’origine du changement de slogan – et de cibleà – de la célèbre marque de bonbons du même nom.  » Avant, rien que pour les enfants, rappelle Gordy Pleyers. Aujourd’hui, pour les petits et pour les grands.  » Qui s’ils le pouvaient, s’offriraient une maison de poupée XXL – dessinée par Jean Nouvel ? – sur les rivages enchantés de l’Ile aux Enfantsà

Isabelle Willot

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