Ils brillent, ils sont beaux, ils en ont sous le capot… Les nouveaux grils ne nuisent (presque) plus à la paix des ménages et permettent toutes les folies culinaires.

C’est toujours la même histoire. Les braises qui refusent de rougeoyer. Les enfants gavés de chips. Les invités mâles qui finissent par s’avachir devant la formule 1. Les femmes qui ronchonnent. Le maître de maison qui s’agite, survolté. L’averse de 16 heures, quand on passe à table. Pourtant, malgré ces dimanches calamiteux, ces salades détrempées, ces viandes carbonisées dehors/sanguinolentes dedans, on en redemande. Crise ou pas, étés pourris ou non, le marché du barbecue prospère. Est-ce parce que l’engin a fait des efforts de relooking, avec des modèles fuchsia ou aubergine, en tôle peinte et made in China, à partir de 10 euros en grande surface ? Ou de 80 euros pour le haut de gamme, en jardinerie ? Nomades, légers, les  » fashion barbeuks  » comme le Smokey Joe de Weber, tout rond, vert pomme ou bleu lagon voudraient séduire enfin les femmes. Seulement voilà, la barbecue party  » girlie « , avec assiettes en mélamine et glacières à fleurs, ça n’existe que dans les magazines de décoà

Ce qui met vraiment le feu au secteur, c’est le gaz ! On craque aujourd’hui pour le barbecue à brûleurs, facile à nettoyer, enfantin à allumer. Il est aussi beaucoup plus sain, avec sa flamme réglable, isolée de la nourriture : fini, les projections de graisse et les émanations cancérigènes. Est-ce encore du barbecue, sans le côté délicieusement subversif cher aux irréductibles amateurs de barbecue ? On s’interroge. Surtout quand les fabricants vous recommandent de cuisiner couvercle fermé (mais l’£il sur le thermostat intégré !)  » Ça évite de dessécher les aliments, explique Pascal Lessertois, chez Weber. Sous le capot, on peut aussi créer un système de chaleur tournante : on met le poulet au centre, mais on n’allume que les brûleurs latéraux.  » Certes. Sauf qu’un four à chaleur tournante, on en a déjà un. Quand on sort le barbeuk, c’est plutôt pour se la jouer Robinson, non ?

Qu’importe : l’affaire marche du feu de Dieu. Les marques américaines premium, comme Weber, OutdoorChef, Sterling ou encore Broil King, le n°1 canadien, font un tabac. Carrossés comme des 4×4, avec le même genre de noms ronflants (Sovereign, Crown Imperial…), leurs  » pianos d’extérieur  » ont presque autant d’options : plancha, tourne-broche, plan de travail amovible, wok… Ça en jette quand on invite les collègues. Même si, à ce prix-là (de 300 à… 3 000 euros et plus !), ça n’a qu’un lointain rapport avec le demi-fût de 500 litres où l’on grille les T-bones à la sauterie annuelle du club de Hell’s Angels.

Y fait-on pour autant une cuisine plus élaborée ?  » Ces barbecues à cloche sont des outils fantastiques, explique le chef lyonnais Nicolas Le Bec. On y cuisine de grosses pièces de viande pendant quatre-cinq heures, ça reste rosé et croustillant. Avec le gaz, on maîtrise la puissance. Même si je préfère ce petit goût que donne le charbon de bois.  » Ce chef étoilé est aussi un abonné du Grand Fooding d’été, rituelle fiesta qui se déploie dans les grandes villes de France et où une vingtaine de cuisiniers inventent des plats  » barbecunomiques « .

On adorerait que cette louable initiative inspire les rôtisseurs du dimanche… Hélas ! la  » cuisine outdoor  » reste à réinventer. Certes, le barbecue à gaz incite à plus de raffinement et de légèreté. Surtout si on y pose une plancha en fonte, pour  » snacker  » des calmars, des Saint-Jacques, des légumes… Certes, les courants qui agitent la planète foodie chahutent aussi l’univers barbeuk. Désormais, dans les quartiers chics, les banquiers en polo rose assaisonnent la côte de b£uf dominicale d’un très world  » mélange des Indiens Mapuche de la Terre de Feu  » (www.terreexotique.com). Tandis que les bobos s’invitent autour de poulet teryaki ou de travers à la sauce Bull-Dog. Ça progresse : depuis qu’on ne bataille plus contre des braises récalcitrantes, on peut enfin se concentrer sur la recette.

Tout de suite, le barbecue devient le truc du mari, autour duquel s’expriment des figures archaïques de la masculinité, celle du chasseur… Aujourd’hui, ce mode de cuisson est en train d’être dompté, culinarisé. Le barbecue se dérusticise, mais, avec ces modèles sophistiqués, pas sûr qu’il cesse d’être une chasse gardée masculine. Avis quand même à ceux qui auraient du mal à  » dompter  » leur nouveau joujou : le 16 juin dernier, Weber a ouvert en France, à Issy-les-Moulineaux, une Grill Academy. On peut y suivre des cours sous la houlette d’un chef, mais aussi privatiser l’endroit. Par exemple, s’enthousiasme le porte-parole maison,  » pour des enterrements de vie de jeune fille ! « . La femme, avenir du barbecue ? La sociologie n’y croit pas, mais les fabricants, si.

Marie-Odile Briet

La femme, avenir

du barbecue ?

Les fabricants

y croient

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