Ses fidèles ne jurent que par lui. Après avoir été l’appareil préféré des espions du KGB, ce compact est en passe de devenir le modèle le plus branché du moment, plébiscité par toute une communauté d’accros qui s’amusent à fixer le quotidien avec des clichés pleins d’humour et de poésie.

A lire :  » Lorsque… je t’aime « , (Trédaniel), de Charlotte Poupon et Tom Hanson, un livre de photos sur l’amour et la lomographie.

Où voir les Lomo sur Internet : www.lomography.com û www.mybeautifullomo.free.fr û www.2lazy4.com et www.eccelomo.com

C’est une boîte noire toute simple, presque un gadget, qui donne des clichés flous et des sueurs froides à tous les photographes. Nom de code : Lomo. Le croiriez-vous ? Tirée de l’oubli, cette relique soviétique d’avant la perestroïka, conçue à Saint-Pétersbourg par un mystérieux Pr Radinov et utilisée, selon la légende, par les espions du KGB est en passe de devenir l’appareil photo le plus hype du IIIe millénaire. Depuis 1995, date de son exhumation, plus de 500 000 Lomo LCA se sont vendus dans le monde. Et Robert Redford, Helmut Lang, Moby et David Byrne ne se sépareraient plus de ce joujou antinumérique entouré d’un parfum de guerre froide, qui semble tout droit sortir d’un roman de John Le Carré.

En 1992, deux étudiants autrichiens, Matthias Fiegl et Wolfgang Stranzinger, dénichent aux puces de Prague un appareil compact, rudimentaire, et même pas autofocus : le Leningradskoje Optiko Mechanistscheskoje Objedinenie, ou, plus facile à prononcer, le Lomo. Enchantés par ses clichés bizarroïdes aux couleurs saturées et à l’effet tunnel û un halo de lumière au centre û ils l’écoulent, sous le manteau, dans le milieu underground viennois. Et fondent un club d’amateurs qui devient une véritable entreprise, la Lomographic Society International. Hélas ! en 1995, l’usine de Saint-Pétersbourg menace de fermer.  » Grâce à l’appui de Vladimir Poutine, personnalité influente de la ville, raconte Peter Boesch, représentant de la société viennoise à Paris, Fiegl et Stranzinger ont relancé la production et décroché l’exclusivité des droits.  »

Pour eux, c’est le jackpot. Ils lancent un site Lomo, organisent des expositions Lomo (ou Lomowall), des soirées Lomo, des concours Lomo, des voyages Lomo, créent un congrès annuel (dont le prochain aura lieu à Barcelone, en avril), et ouvrent 69 ambassades Lomo à l’étranger, dans 46 pays. De l’Argentine à la Corée du Sud et des Emirats arabes unis à la Finlande, la lomographie passionne des milliers d’amateurs. Face à cet engouement, les prix flambent : l’appareil qui valait 30 euros en 1995 en coûte aujourd’hui 180. En 2001, nouveau coup de marketing : la société autrichienne décline des produits dérivés, plus accessibles, appelés  » toy cameras  » û Cyber Sampler, Pop 9, Color Flash, ou récemment, le Holga, avatar chinois du Lomo. Et monte un véritable business autour du Lomo. Aujourd’hui, l’entreprise compte une centaine de salariés.

Comment expliquer un tel succès ? Grâce aux dix règles d’or édictées par la Lomographic Society, qui régissent la vie de tout lomographe. Par exemple :  » Ne t’en sépare jamais  » ou  » Ne réfléchis pas, appuie « , devenue leur slogan. Cet esprit de la loi non dénué d’humour û la dernière règle est de n’en respecter aucune û a dégagé les amateurs de toute contrainte technique et de la peur du jugement. Plus besoin de viser, on peut shooter n’importe où, n’importe comment.  » Avec le Lomo, une photo n’est jamais ratée, explique Peter Boesch. Tout dépend de la valeur qu’elle a pour son auteur.  »

Bref, cette liberté totale est devenue un jeu alternatif planétaire et expérimental, qui milite pour la photographie instantanée.  » La lomograhie est à la photo ce que le dadaïsme est à l’art « , constate Charlotte Poupon, journaliste de 26 ans qui publie au printemps un guide sur le sujet.

Tous ces passionnés partagent une même  » Lomo attitude « , quasi compulsive.  » Le passionné ne se sépare jamais de son appareil et mitraille à longueur de journée, explique Charlotte Poupon. Leurs lampes, leur chien, leurs amis, tout y passe. C’est comme un bloc-notes visuel.  » Les lomophiles traquent aussi les sources de lumière et de couleurs, comme les fêtes foraines, les panneaux indicateurs ou les tags.  » Je n’aime pas les photos lisses et froides des numériques, explique Benoît Debuisser, 30 ans. Avec le Lomo, quand on sait se servir de l’effet tunnel (bords assombris et centre du cliché éclairé), on aboutit à une distorsion de la réalité qui poétise la vie quotidienne . » Car le Lomo donne une véritable illusion artistique, à portée de doigt des  » bobos  » paresseux, néo-hippies frustrés qui se rêvent en Nan Goldin ou en William Eggleston.

Des milliers de clichés s’amoncellent ainsi dans les boîtes à chaussures, et beaucoup cèdent à la tentation de les montrer sur Internet. Il suffit de naviguer sur Internet pour réaliser l’importance du phénomène : sur Google, plus de 400 000 sites contiennent le mot  » Lomo « . Bref, un immense club photo électronique s’est constitué, sur lequel surfe une nouvelle espèce d’êtres humains reliés par cette petite boîte noire dans une jouissance quasi tribale. Bienvenue dans l’ère du  » Lomo sapiens « .

Dalila Kerchouche

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content