Dans cet  » éden hors du temps « , empruntez les chemins de traverse… Les îles de la Société recèlent des splendeurs encore méconnues et un héritage culturel admirablement préservé.

Dans son enthousiasme à vouloir décrire la Polynésie comme  » un éden hors du temps « , Bougainville, explorateur du XVIIIe siècle, a surtout contribué à limiter le mythe à la trilogie  » plages-cocotiers-vahinés  » : une image reconnue mondialement, mais forcément réductrice. Si Tahiti, Moorea, Bora Bora et Raiatea, en particulier, évoquent d’emblée les lagons paradisiaques, ces îles possèdent bien d’autres atouts : écotourisme, sites archéologiques, sentiers de randonnée pédestre et équestre et une identité culturelle très forte.

Tahiti est l’exemple le plus frappant de cette méconnaissance : de loin l’île la plus célèbre du Pacifique, ses quelque 1 000 kilomètres carrés ont longtemps symbolisé à eux seuls l’exotisme polynésien. A tort, bien sûr, puisque l’île n’est qu’une étoile dans une constellation qui en compte cent dix-huit. Pourtant, si elle représente le premier contact avec la Polynésie, rares sont ceux qui prennent le temps de la découvrir. Loin du bruit et de la pollution de Papeete, la capitale, Tahiti est un bel exemple d’harmonie entre un somptueux littoral et un intérieur des terres souvent vierge d’où surgissent d’imposants massifs volcaniques, dépassant parfois 2 000 mètres d’altitude.

Pour découvrir cette facette méconnue, il suffit de se balader de Papenoo à Mahaiatea, en passant par le relais de la Maroto et le lac Vaihiria. Le vert intense des paysages de montagne surplombant la mer impressionne le voyageur. Les pics acérés qui se découpent dans l’azur témoignent de la jeunesse géologique des antipodes. Cascades et torrents n’en finissent pas de creuser les vallées qui servirent, un temps, de refuge aux mutinés de la Bounty et continuent d’abreuver une nature luxuriante exhalant les parfums sucrés de la fleur de tiaré, l’emblème de Tahiti.

C’est là, au centre de ce cirque dessinant les contours d’un immense cratère, que se trouve le relais de la Maroto, une auberge de montagne au beau milieu de la Polynésie. Tout près, on découvre le marae Fare Hape, l’un des nombreux sites archéologiques de l’île. Vestige d’une vallée qui a compté jusqu’à 15 000 habitants au XVIe siècle, le lieu, réhabilité, met en lumière la formidable organisation sociale et religieuse qui régissait la vie des Polynésiens. Une sensation de sérénité comparable est perceptible sur la presqu’île de Tahiti. Rurale, cadre idéal pour les randonnées, cette langue de terre illustre la vie paisible des Tahitiens, avant l’essor touristique. Ici, tout est différent : accueil plus chaleureux des habitants, lagon bordé de sable noir, sites de plongée encore vierges.

Cette différence est également palpable à Moorea. Située à 20 kilomètres à peine de Tahiti, l’île offre une palette de couleurs où se découpent montagnes verdoyantes, écrins de sable blanc et lagons turquoise. L’endroit a une âme, une intimité qui séduisent de nombreux Tahitiens en quête de calme et Occidentaux en quête d’authenticité.

A Moorea, la randonnée en montagne s’impose. Au fond des deux grandes baies de l’île (Cook et Opunohu), les vallées de Paopao et d’Opunohu s’enfoncent vers l’intérieur pour rejoindre le mont Rotui. Marae Titiroa, Ahu-o-Mahine, Afareaitu, plate-forme de tir à l’arc, les sites archéologies admirablement préservés se succèdent. Ces excursions aident à remonter le temps, à s’immerger dans une culture que les colonisations et les missions n’ont jamais réussi à anéantir, et dont le témoignage le plus contemporain demeure le fascinant art du tatouage.

La plupart des tatoueurs polynésiens vivent et exercent à Moorea. D’origine ou d’influence marquisiennes, ces artistes participent au renouveau culturel et à un mouvement identitaire sans précédent. Les ateliers, qui utilisent des outils traditionnels et appliquent une hygiène irréprochable, se sont multipliés sur l’île. Les motifs ancestraux et, surtout, les motifs stylisés sont en vogue et font de plus en plus d’adeptes.

Cette authenticité caractérise aussi  » Raiatea la sacrée « . Cette île, oubliée des dépliants touristiques parce qu’elle est dépourvue de plages, reste, en effet, un lieu sacré de la Polynésie, grâce au marae de Taputapuatea. Etabli sur le front de mer, ce site traditionnel qui hébergea, en avril 2000, le premier Festival international de tatouage, est dédié à Oro, le dieu de la guerre, vénéré jusqu’au XVIIIe siècle. Ces immenses estrades de pierre et de corail, qui constituent un lieu de pèlerinage fréquenté par l’ensemble des Polynésiens, y compris les Maoris de Nouvelle-Zélande, inspirent le recueillement.

On sillonne les collines pentues de Raiatea à cheval ou à pied en traversant les bosquets de vanille sauvage. Il est aussi possible d’explorer l’île en barque, sur la Faaroa, la seule rivière navigable de tous les archipels français. La tradition orale assure que seraient parties de ce cours d’eau les populations habitant aujourd’hui Hawaii et la Nouvelle-Zélande. En outre, l’île sert de base au principal centre nautique des îles Sous-le-Vent. Et son lagon, piqueté d’îlots paradisiaques, n’a rien à envier à ceux des autres îles. Hormis, peut-être, celui de l’inévitable Bora Bora, île dont le nom est associé au paradis sur terre, éden aux dégradés turquoise des eaux de son atoll. Celui-ci trop fréquenté, menacé par la pollution et le manque d’eau potable, renferme cependant une faune majestueuse, variée et colorée. On peut l’admirer au Lagoonarium, une sorte de sanctuaire où se côtoient tortues, raies mantas, carangues, poissons-papillons, requins citron et… tout être humain possédant un masque, un tuba et un peu de courage.

De retour à Papeete, attablé face à la rade, on repense à Bougainville. Trois siècles plus tard, l’archipel des îles de la Société à certes bien changé. Mais il demeure, en certains lieux, cet  » éden hors du temps  » que décrivit le navigateur. A condition, toutefois, d’emprunter les chemins de traverse.

Jean-Claude Gerez Photos: Sylvain Grandadam Isopress-Sénépart

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