À 50 ans, dont trente-cinq passés sous le casque, cet ingénieur du son bruxellois surdoué compte parmi ses fans Benjamin Biolay ou Renan Luce. Sa règle ? Privilégier l’émotion à la technique.

S’il devait ressembler à un dessin de Topor, Erwin Autrique prendrait l’apparence d’un énorme pavillon. Ni yeux, ni jambes, ni tronc : juste une oreille comme unique membre et seul organe. On force à peine le trait : la musique est la grande histoire de sa vie. La playlist des artistes qui ont transité par ses consoles pourrait remplir cinq iPod. Biolay, Indochine, Mickey 3D, La Mano Negra, Renan Luce, Stephan Eicher, Izïa, fille d’Higelin et s£ur d’Arthur H., récompensée aux dernières Victoires de la Musiqueà On en oublie.

Capteur de sons mais aussi arrangeur, réalisateur, parfois producteur (d’Arno), Erwin se révèle enthousiaste comme aux premiers jours, modeste et intarissable sur les backstages de ce métier qu’il pratique en (grand) professionnel. Le style Autrique ? Un son  » rough « , sans fioritures, ennemi, comme il dit,  » des arrangements qui baignent dans leur jus « .

Né d’un père anversois, graphiste et amateur de hi-fi, dès l’adolescence, Erwin commence à tâter du curseur dans les surboums. Il porte alors les cheveux longs, arbore un sac kaki du stock américain et fréquente plus volontiers les entrailles du Métrophone, le mythique disquaire bruxellois que les couloirs de l’internat de la Roche-en-Ardenne. Sans diplôme mais maîtrisant allègrement le flamand et l’anglais, il se retrouve, à 18 ans, assistant au fameux studio Morgan.  » Mon boulot consistait à placer les micros, à appuyer sur play, record et rembobiner. Simple mais formateur. « 

Là, Erwin voit passer la jeune Lio, 14 ans, venue enregistrer Banana Split ou Lou Deprijck bouclant, en une heure de temps, Ça plane pour moi avant que ce dernier ne cherche, à la hâte, une doublure image en la personne de Plastic Bertrand,  » barman dans une boîte en face du GB d’Auderghem « . Poser le doigt sur la touche rewind de la machine Autrique, c’est faire revivre la sublime Deborah Harry de Blondie, qui, en 1977, immortalisa Denis, à Bruxelles, sous les auspices de son stupéfiant producteur ou, un peu plus tard, en 1984, les Stranglers préparant leur album Aural Sculpture.  » L’ambiance était parfois tendue. Peu de gens osaient contredire Jean-Jacques Burnel, le batteur du groupe, sixième dan de karaté. Furieux, il pouvait balancer les bandes d’un côté à l’autre du studio en criant « It’s a piece of shit ! ». « 

Parler avec Erwin Autrique, c’est forcément s’inviter dans les studios bruxellois ICP où l’  » ingé son  » a passé une bonne partie de sa carrière, lieu unique où les artistes ont à leur disposition les meilleurs instruments au monde dans un environnement friendly.  » La générosité de John Hastry, le fondateur d’ICP, est pour beaucoup dans le succès de son entreprise. Les artistes se sentaient mieux là qu’ailleurs, peut-être parce que John est musicien lui-même. « 

Se sentir bien… La condition sine qua non selon Autrique.  » La voix est un instrument de musique incontrôlable. Pour en obtenir le maximum, l’artiste doit se sentir en confiance. Je me mets en retrait, je peaufine les balances, je tamise les lumières, parfois je mets des bougies dans la pièce, comme pour Keren Ann. Les filles aiment bien ça en général. J’ai vu des chanteurs qui ne voulaient enregistrer que dans le noir, couchés à poil sur la moquette !  » Sa règle absolue :  » enregistrer tout, même les séances de réglages qui peuvent receler les meilleures prises. Il faut toujours essayer de privilégier l’émotion à la technique « .

Une technique désormais miniaturisée, ouverte à tous grâce au tout digital.  » J’ai un studio sur le dos « , lâche Erwin en désignant du doigt le havresac qui contient son ordinateur portable équipé du système audionumérique Pro Tools. C’est réjouissant, même si l’évolution technique a des revers en ces temps de crise du disque. Avec la mode du home studio, certains artistes ont tendance à s’improviser arrangeur et mixeur sans en avoir forcément les compétences. En dix ans, le temps d’enregistrement en studio a été divisé par deux et les budgets considérablement compressés.  » L’ingénieur son de haut vol, une espèce en voix d’extinction ?

Antoine Moreno

Enregistrer tout, même les séances de réglages qui peuvent receler les meilleures prises.

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