Il aime les femmes féminissimes. Et il habille les hommes comme des oiseaux de paradis. Virtuose des matières et des motifs, Roberto Cavalli ne passe pas inaperçu. Portrait d’un créateur haut en couleur.

Carnet d’adresses en page 107.

Geste large, regard perçant et perspicace, crinière léonine, sourire un brin mo-queur et port de tête royal… Roberto Cavalli n’est pas un homme de l’ombre û la couleur grise le hérisse, à moins qu’elle ne soit argentée û ni une demi-portion. Témoin ses collections masculines et féminines sexy, luxueuses et  » coloris-simo  » qu’il présente dans des décors dignes d’un empereur romain. Et sur un  » beat  » musical a vous dévisser les tympans. Avec, assis aux premiers rangs de ces défilés spectaculaires, des créatures siliconées issues en grande partie de la télé italienne et des jeunes loups affriolants sapés comme des nababs. Les fans du style Cavalli ? Madonna, Puff Daddy, Jennifer Lopez, Bon Jovi, Mary J. Blige, Bono de U2, Britney Spears, etc. Ainsi que les actrices assez allumées de la série télévisée américaine  » Sex and the City « . Bref, des gens qui n’ont pas vraiment le look d’un banquier planqué en Suisse. Ce faste mâtiné de provocation allurée se retrouve d’ailleurs dans sa deuxième ligne  » Just Cavalli  » ainsi que dans ses accessoires tels que sacs, chaussures, lunettes û la ligne  » Roberto Cavalli Eyewear  » remonte à l’été 2001 û, balnéaire assez hot, parfums qui décoiffent et bijoux pas vraiment minimalistes. Sans oublier le volet déco ( NDLR : acheter un canapé griffé  » Roberto Cavalli Casa  » revient plus ou moins à remplacer votre matou par un guépard non apprivoisé) et, depuis janvier dernier, un  » Just Cavalli Café  » qui a ouvert en grande pompe au c£ur de Milan. Même les  » ragazzine  » entre 4 et 14 ans ont droit à une garde-robe pas tristounette baptisée  » Roberto Cavalli Angels « .

Complètement jet-set û ses fêtes où l’on se noie dans le champagne sont prisées par tous les beautiful people û, mais pas complètement  » jeté « , Cavalli utilise avec brio ces ambiances limite décadence et ces atmosphères magico-kitsch afin de mettre ses créations en scène et en image. A la manière du défunt Gianni Versace ou du photographe Mario Testino, il transforme l’extravagance et l’opulence en £uvres d’art.  » Je ne pense pas cultiver la provocation à travers mes vêtements. J’apporte simplement une vision différente de la mode, remplie de couleurs fun et d’imprimés pétillants. Que voulez-vous, j’ai l’optimisme chevillé au corps. En outre, je n’impose rien aux gens : ils ont parfaitement le droit et le choix d’apprécier ou non mon travail. J’es-soie simplement d’interpréter leurs attentes, leurs désirs d’une mode plus excitante que la moyenne « , souligne Roberto Cavalli.

Sur les podiums milanais, les hommes de Cavalli annoncent un printemps empreint de nonchalance, de légèreté riante et d’audace teintée d’ironie. Au menu, tons qui  » pul-sent « , motifs traités avec maestria û le patchwork est évidemment de mise û, mélange des genres (casual et urban chic ou esprit montagne et esprit plage, par exemple) et choc des matières. Le pantalon se porte assez bas sur la taille et le short, bien haut sur la cuisse tandis que les vestes, plutôt courtes et près du corps, ne sont guère guindées. A souligner, les accords chemise ou polo et tee-shirt, si possible dans une palette de couleurs qui donne l’envie d’un aller-simple pour les Maldives.

L’outsider de l’opulence

Et les femmes ? Aaaah, le belle donne du signore  » M’as-tu-vu  » ! A chaque fois, les photographes manquent d’en lâcher leurs objectifs et les mâchoires du public masculin restent décrochées un bon moment. Faut-il préciser que, pour cette saison, Roberto Cavalli a glissé un régiment de bimbos dans des jupes aussi longues qu’une ceinture, des robes littéralement cousues sur le corps, des corsets déjà à demi-délacés, des décolletés à la Jessica Rabbit et des tissus sortis tout droit d’un concours de  » Miss tee-shirt mouillé  » ? Dentelle, cuir (sublime !), fourrure, plumes, broderies, soieries très  » Nuits de Chine, nuits câlines « … Rien n’arrête le Florentin quand il a décidé de célébrer, de façon exacerbée, la sensualité. Il faut dire que Dame Nature et ses atouts envahissent les atours du sieur Cavalli.  » La nature constitue ma principale source d’inspiration. Regardez autour de vous : le pelage des animaux, la pu-reté du ciel, la forme parfaite d’une plume ou d’une fleur, la géométrie géniale d’une feuille, les détails subtils d’une pierre précieuse… C’est une mine d’or pour les artistes ! Sans oublier la couleur : toute mon £uvre est basée sur elle. Quand je l’emploie, je me sens moi-même comme un arc-en-ciel. Et par ce biais, je traduis les joies que m’apporte l’existence. Quelque part, je suis un peintre mais mes  » tableaux « , eux, se portent sur le corps au lieu de s’accrocher au mur.  »

Quant aux collections de  » Just Cavalli « , sa deuxième ligne lancée en 2000, elles reprennent sur un mode plus discret les points clés de la ligne mère. A l’instar de l’immense gamme d’accessoires et de produits dérivés,  » Just Cavalli  » est fabriquée sous licence.  » Je n’ai pas peur de perdre mon identité, ma  » patte  » ou mon autonomie en agissant de cette manière. En fait, cela me permet, primo, de développer correctement une série de produits assez importante et secundo, de me consacrer à fond à l’élaboration de ma ligne principale. De plus, je ne présente pas uniquement des vêtements au public. Je veux lui proposer un mode de vie global. Le  » Just Cavalli Café « , par exemple, est une suggestion, parmi d’autres, pour passer de chouettes moments entre copains.  »

Né à Florence, la mecque des artistes, voici soixante-deux ans, Roberto Cavalli est un autodidacte pur jus. Son  » nonno  » (grand-père), peintre célèbre, appartenait au mouvement tachiste toscan et sa mère était couturière.  » Dans un certain sens, ma mère fut ma première muse : elle était gracieuse et dotée d’un sens inné de l’allure. Je suppose que c’est de là que me vient mon attirance pour les femmes très féminines ( NDLR : Roberto Cavalli est marié à Eva Duringer, une ex-Miss Univers).  »

En toute logique, Cavalli junior s’inscrit donc à l’Académie des Beaux-Arts de Florence. Très vite, son esprit d’entreprise, son audace et son instinct inné des couleurs et des matières l’incitent à mêler mode et peinture. Techniquement talentueux, il invente, entre autres, des procédés d’impression sur cuir et fait un tabac, dans les années 1960 et 1970, avec ses vêtements en patchwork composés d’anciennes pièces de cuir, ses motifs bariolés et ses jeans vintage avant la lettre. A Saint-Tropez, Brigitte Bardot et Sophia Loren portent ses créations. En 1972, Cavalli défile pour la première fois au prestigieux Palais Pitti avant de secouer la scène de la mode milanaise… où il figure toujours en bonne place.

Il y a deux ans, le chiffre d’affaires de la compagnie, fondée à l’aube des années 1960, a atteint les 147 millions d’euros, dont 60 % obtenus grâce à l’export. Le label Cavalli est en effet présent dans plus de trente pays, via des magasins à l’enseigne û le premier flagship store a ouvert ses portes à Saint-Barthélemy en 1994 û, ou des points de vente triés sur le volet (Harrods à Londres, Le Printemps à Paris, Bergdorf&Goodman à New York, etc.).

Né sous le signe du Scorpion, un  » bestiau  » fort et tenace, Roberto Cavalli n’a jamais baissé pavillon devant les vogues du minimalisme ou les tempêtes économiques. Au contraire, il demeure fidèle à son style exubérant, voire éclectique.  » Je sais que les Florentins ont, depuis des siècles, un sens aigu du commerce. Mais moi, je me sens davantage artiste qu’homme d’affaires. J’ai une chance folle, avec ce métier : je peux créer, inventer ce que je veux sans pour autant me plier aux exigences des tendances ou du marché de la mode. J’admire d’ailleurs les designers capables de défendre bec et ongles leur style propre. Cela prouve qu’ils ont des c…, de la personnalité à revendre. En ce qui me concerne, je prends mes décisions seul, qu’elles soient d’ordre créatif ou commercial. Et on peut m’aduler ou me critiquer, je m’en fous.  »

Marianne Hublet

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