Mark Twain l’appelait  » la plus ancienne ville du monde « . Cité sacrée des hindouistes, Bénarès rassemble chaque année près de 4 millions de pèlerins venus laver leurs péchés dans le Gange. Un lieu qui fascine et bouscule tous nos codes.

Tous confluent vers lui. Dès 5 heures du matin, alors que les premières lueurs du jour sont encore floues, les sadhus, ces hommes qui ont renoncé à tout bien matériel, arpentent les ghats (les marches). Vêtus d’un longhi, un pagne de couleur orange, leur visage parsemé de tatouages et peintures symboliques, ils mirent l’horizon en toute quiétude. Le maître des lieux les appelle. Immuable, le Gange accueille les reflets argentés du soleil qui peine à percer le mur de brume. Depuis les bateaux ancrés le long des berges, quelques têtes émergent. De nombreux bateliers dorment à bord de leur embarcation, sous une couverture de fortune. Le va-et-vient d’une berge à l’autre va reprendre, ainsi que les balades fluviales des touristes qui viennent admirer l’aube qui réchauffe les façades pastel des anciens palais surplombant le fleuve.

Les ghats, ces imposants escaliers de 7 km de longueur, unissent Bénarès – aujourd’hui aussi appelée Varanasi – au tout-puissant Gange. On vient s’y laver, y prier, y plonger son corps et la tête plusieurs fois de suite dans l’onde, censée purifier l’âme humaine. Les pèlerines y font parfois don de leur chevelure… pendant que d’autres femmes lessivent. Tout cela dans la même eau, à côté des buffles qui estiment eux aussi avoir droit à leur bain matinal.

LA VIE ET LA MORT

S’y rendre une fois dans sa vie est le v£u le plus cher des hindouistes. Mais le plus important, c’est d’y être amené après sa mort, pour la crémation. Car être incinéré à Bénarès signifie enrayer le cycle des réincarnations et atteindre le stade de la sagesse, de l’accomplissement. Une ville où l’on veut mourir, ce n’est pas commun. Surtout lorsque les cadavres sont brûlés publiquement, sur des bûchers géants. Une trop grande proximité avec la mort qui nous choque parfois. Mais qui fait ici partie intégrante du cycle de la vie.

En soirée, les cérémonies sacrées de Ganga Aarti drainent quotidiennement une foule compacte. Ce moment de culte s’orchestre avec minutie : de jeunes prêtres effectuent en ch£ur des gestes aériens, rythmés par le son d’une cloche, des percussions et des chants, tout en manipulant le feu en guise d’offrande aux dieux.

Fleuve purificateur et le plus sacré, le Gange est censé laver tous les péchés humains. Avec Sarnath (à 10 km de Bénarès), le lieu où Bouddha aurait prodigué ses premiers enseignements, la ville sainte symbolise aussi la renaissance de l’hindouisme. On y apprend depuis 3 000 ans la philosophie, la culture, les arts, la religion. Et surtout la spiritualité et le sanskrit, langue des écritures sacrées. La cité accueille d’ailleurs la plus grande université du continent asiatique. Mais comme le mélange religieux est de coutume en Inde, Bénarès attire également les pèlerins jaïnistes, qui lui attribuent le lieu de naissance du dieu Parshvanath. C’estégalement ici que se serait développé l’ayurvédisme, médecine douce pratiquée un peu partout en Inde et particulièrement au Kerala. Et Ravi Shankar, le maître incontesté du sitar indien, est aussi un enfant de la cité.

Patchwork d’images fortes, troublantes, parfois incomprises : Bénarès induit un mélange d’émotions qui nous transportent de la fascination au questionnement et, pour certains, au divin. On n’en ressort pas indemne. Son aura est infinie… Voilà pourquoi de nombreux Occidentaux s’y rendent en quête de mysticisme. Ils séjournent au c£ur des ashrams où l’on apprend à se détacher du matérialisme et à vivre de peu de choses, tout en développant sa conscience et les postures yogistes. Croyant ou non, adepte d’une religion ou d’une philosophie, la ville sainte nous enveloppe, nous absorbe. Parfois jusqu’à l’overdose. Bénarès, c’est cette Inde si particulière, spirituelle, belle et colorée mais aussi marquante. Un lieu très différent de Bombay, de Bangalore ou du Kerala. C’est l’Inde des vaches sacrées qu’on laisse même entrer dans les magasins, car personne ne songerait ici à contredire le désir de cet animal vénéré. Ce sont des scènes surréalistes et dérangeantes comme ce sadhu qui se précipite pour toucher l’urine d’une vache et se bénir de la sorte. Alors que d’autres aux regards illuminés et aux visages peinturlurés de traces blanches ou jaunes déambulent dans les rues en marmonnant des mantras, tout en s’arrêtant ici et là devant les petits autels dédiés aux déesses du panthéon hindou. C’est aussi la beauté de l’instant. Celle de ces jeunes enfants qui suivent leur classe de yoga en compagnie de leur maître dès 6 heures du matin le long du fleuve.

UN CHARME AUTHENTIQUE

En quittant les berges du Gange, les venelles offrent de nouvelles découvertes. La vie quotidienne de n’importe quelle cité du pays reprend ses droits. Un homme lit le journal devant son kiosque où s’amoncellent friandises et petits gadgets. Alors que les tenanciers d’échoppes de souvenirs laissent échapper des  » welcome sirrrr  » tonitruants. Un pousse-pousse évite les Tata, classiques voitures indiennes, tandis que les écolières en uniformes immaculés se faufilent parmi la foule compacte.

Au c£ur de la vieille ville, le temple d’or est aussi bien gardé que celui de Jérusalem. Il faut montrer patte blanche pour pénétrer dans son périmètre. GSM, miroirs, briquets doivent rester au portillon d’entrée. Ou chez un petit marchand qui vous offre ce service en se disant que vous craquerez bien pour l’une ou l’autre babiole en reprenant votre sac. Une fois à l’intérieur, on comprend vite pourquoi l’endroit est si sensible : une mosquée jouxte les vestiges d’un temple hindou et chacun se verrait bien avoir la suprématie.

Comme souvent dans les cités sacrées, on s’est ici longuement disputé l’attribution des lieux. Le temple hindou originel, détruit par les envahisseurs, fut reconstruit à la fin du xviiie siècle. Avant d’être à nouveau rasé par l’empereur moghol Aurangzeb, qui y fit édifier la mosquée de Gaynvapi. Les pèlerins hindous viennent pourtant encore admirer les restes du temple intrinsèquement blotti dans le mur ouest de la mosquée.

En s’éloignant du site, le plaisir de se perdre dans des ruelles moins fréquentées aux façades patinées, nous envahit. Un théâtre de scènes de la vie quotidienne, avec de petits temples à chaque coin de rue, d’hommes en pagne sirotant un chai masala, ce thé épicé, et de silhouettes de femmes enroulées dans leurs saris colorés. Toutes ces atmosphères si particulières à l’Inde, qui nous donnent à chaque fois l’envie d’y revenir.

PAR SANDRA EVRARD

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