élégante et raffinée, la capitale de la communauté germanophone de belgique a gardé son allure d’antan. le 9 août, lors de notre quatrième samedi vif, elle vous dévoilera sa richesse architecturale et vous invitera à un grand bol d’air autour du barrage de la vesdre.

Riche de 17 000 habitants, Eupen a le port noble. Ses magnifiques demeures valent celles de toute capitale belle, altière et prospère. Prospère, Eupen l’est dès la fin du xviie siècle. L’eau de ses ruisseaux, sa  » richesse naturelle « , est extrêmement douce, particulièrement appréciée par l’industrie textile. A partir de 1680, des maîtres drapiers affluent. Le premier vient de Verviers : André de Grand Ry, patriarche d’une famille tentaculaire, ambitieuse et puissante. Les Grand Ry dominent l’industrie lainière et la gestion de la cité. Ils s’allient, par mariages, à d’autres familles importantes : les Klebanck, les Ackens, les Roemer, par exemple. Sous leur influence, Eupen change d’allure, s’embellit et s’enrichit de splendides édifices. On dirait que le temps n’a eu aucune prise sur ces architectures raffinées, jouant habilement de l’alternance de pierre bleue et de briques rouges. Bichonnées, chouchoutées, les façades se montrent toujours avec autant de superbe. La plus prestigieuse ? L’imposante maison de maître en forme de  » U « , avec une cour intérieure orientée vers la rue. Johann Josef Couven, célèbre architecte d’Aix-la-Chapelle, l’a dessinée, au milieu du xviiie siècle, pour le fils d’André de Grand Ry. Aujourd’hui, elle est le siège du gouvernement de la Communauté germanophone. A deux pas, sur la place du Marché (Marktplatz), on admire la résidence du xviiie siècle du maître drapier Heinrich Ackens (la porte richement sculptée de style rococo est vraiment remarquable) où s’est installée la rédaction de  » Grenz Echo « , le seul quotidien belge de langue allemande. Une autre  » célébrité  » de la ville, c’est… l’hôtel de ville. Curieusement, il ne trône pas sur une grand-place. Il occupe, depuis 1863, l’aile gauche de l’ancien couvent des Capucins, construit en 1665 et situé au milieu de la rue du Couvent (Klosterstrasse). Sa façade, envahie par des acacias, est ravissante et fait penser à un accueillant hôtel de charme.

Une histoire mouvementée

Eupen, une petite ville amicale, paisible et cossue ? Certes, après de longs chahuts de l’histoire. Elle est mentionnée pour la première fois en 1213, au sein du duché de Limbourg. Dès 1288, elle intègre le duché de Brabant et, durant plus de 500 ans, partage ses destinées. Elle appartient donc à la maison de Bourgogne, puis aux Habsbourg d’Autriche, ensuite aux Habsbourg d’Espagne, et de nouveau aux Habsbourg d’Autriche. Ce changement de propriétaire s’accompagne régulièrement de destructions et de réductions en cendres, complètes ou partielles. A la fin du xviie siècle, le calme revient, enfin. On travaille, on aménage, on construit. La ville se dédouble. Les maîtres drapiers, les  » nouveaux riches « , s’installent dans les hauteurs, ont pignon sur rue dans la ville haute (Oberstadt). Les petites gens, les ouvriers, travaillent dans la ville basse (Unterstadt), ont  » les pieds dans l’eau « , au bord de la Vesdre, à côté de nombreuses usines naissantes. Et les frontières recommencent à bouger. En 1794, Eupen devient française. Pas pour longtemps. En 1815, le congrès de Vienne partage l’ancien duché de Limbourg en deux. La partie orientale, comprenant Eupen, échoit à la Prusse. Un siècle plus tard, en 1920, Eupen est incorporée, définitivement, à la Belgique. Malgré encore une parenthèse allemande : de mai 1940 à septembre 1944…

Des haltes privilégiées

Dans la rue Gospert, on s’attarde devant un petit  » bijou  » de la fin du xviie siècle. La petite maison, coiffée d’un pignon  » flandrien « , abrite le musée de la ville. On y a conservé, enfermés dans un cadre authentique et charmant, de beaux souvenirs régionaux : belle collection d’orfèvrerie sacrée, mobilier typique, costumes de carnaval et poteries de Raeren, village voisin. Le clou du programme ? Une épatante collection d’horloges européennes qui rythmaient la vie de plusieurs générations d’Eupenois aisés.

En flânant, on arrive devant l’église Saint-Nicolas. Sa façade présente une vraie curiosité. Les deux tours, de style baroque, sont parfaitement symétriques, mais les matériaux sont sensiblement différents. La partie droite, construite avec de gros moellons, n’est autre que les restes des anciens remparts de la ville, érigés au début du xiiie siècle. Tout autour, l’église actuelle s’est harmonieusement  » ajoutée « , grâce au talent de l’architecte aixois Lorenz Mefferdatis. A l’intérieur, l’aménagement est très riche, dans tous les sens du terme. Les maîtres drapiers étaient aussi de généreux mécènes. Reconnaissante, l’église les a récompensés en leur octroyant des bancs aux premiers rangs, gravés à leurs noms.

Faisons un saut de puce de quelques siècles. Dans un tout autre genre, il ne faut pas manquer la maison de l’architecte Yves Delhez, chantre de l’architecture organique. Drôle, colorée et tout en courbes, elle a été construite avec des matériaux de récupération parfois insolites. Cette maison des Schtroumpfs est devenue une réelle attraction touristique.

Le royaume du chocolat

La sagesse d’Eupen est son trait constant, l’humour son particularisme, la gourmandise sa seconde nature. Les  » chocomaniaques  » pénètrent donc avec beaucoup d’émotion dans ce temple des délices : la chocolaterie Jacques. C’est un Verviétois, Antoine Jacques, qui a eu l’excellente idée d’adoucir les journées de ses concitoyens, en leur proposant du chocolat, des confiseries et du pain d’épice. La petite affaire familiale, fondée en 1896, grandit à vue d’£il. Qui s’en étonnerait ? En 1920, Antoine Jacques s’associe avec William Zurstrassen. La chocolaterie Jacques a toujours le vent en poupe. Se sentant à l’étroit dans les locaux verviétois, elle déménage à Eupen. Ici, on a de l’espace, on innove. La nouveauté la plus percutante ? Le fameux  » bâton  » de chocolat, tellement facile à glisser en poche ! Un brevet est déposé le 8 février 1936. Mais, la chocolaterie Jacques n’échappe pas à la mondialisation. Elle est reprise, en 1982, par le groupe Stollwerck, puis, en 2002, par le groupe suisse d’origine belge Barry-Callebaut. Une nouvelle usine est construite dans le zoning industriel d’Eupen. Au rez-de-chaussée, un clin-d’£il nostalgique : un ravissant musée, nous apprend tout sur l’origine et la fabrication de chocolat. On admire aussi une collection d’anciennes chocolatières, des emballages, des affiches, des moules creusés à la main et une adorable collection de chromos, que la chocolaterie Jacques a été la première à glisser dans les emballages pour fidéliser la clientèle. A l’étage, on peut suivre, de loin et à travers les vitres (hygiène oblige !) toute la chaîne de production. Des parfums ronds et moelleux flattent les narines et excitent les papilles. La guide insiste sur le fait que la chocolaterie Jacques travaille depuis toujours avec des ingrédients de toute première qualité. Certes, les normes européennes autorisent l’utilisation de graisses végétales, mais chez Jacques, on ne les applique pas ! Ici, tout est fait exclusivement avec du beurre de cacao. La majeure partie de la production est destinée à l’exportation. La chocolaterie Jacques a mis au point 47 recettes différentes, pour satisfaire les goûts éclectiques des consommateurs. On apprend que les francophones ont une prédilection pour le chocolat à la banane, les Flamands aiment plutôt le praliné et le noisette. Les Anglais accompagnent leur tea time avec du chocolat à la menthe. Les Français craquent pour le chocolat au lait, tandis que les Américains ne jurent que par des variétés très sucrées, avec du miel, par exemple. Pour terminer, une précision d’une importance capitale : il est impossible d’avoir une  » crise de foie  » avec le chocolat. Tous les travailleurs (environ 200 personnes) sont autorisés à en manger, gratuitement, tout au long de la journée. Ils ne s’en privent pas, en consomment sans modération et se portent comme un charme ! Après cette excellente nouvelle, on se précipite à la boutique du rez-de-chaussée, très richement garnie et on se laisse aller à toutes les tentations.

L’eau et la nature

Des forêts impénétrables, des arbres majestueux tracent tout autour d’Eupen une sinueuse ligne verte. Au centre, le fameux barrage de la Vesdre, à 4 km de la ville. Il ne mérite que des superlatifs : il est immense (126 hectares), il est impressionnant (361 mètres au-dessus du niveau de la mer) et il est profond (25 millions de m3). Sa construction a été décidée dès 1937, pour deux raisons : il devait fournir de l’eau potable à la région et régulariser les pluies (à Eupen, il pleut trois fois plus qu’à Blankenberge !) pour éviter, ainsi, les inondations fréquentes de la ville basse. Ces missions ont été parfaitement remplies. Dès son inauguration, en 1950, le barrage, situé dans un environnement paradisiaque, est devenu de surcroît une attraction touristique et un agréable lieu de promenade pour les Eupenois. Un restaurant et une tour panoramique ont été rapidement ouverts. A l’aube du iiie millénaire, l’ensemble n’a rien perdu de son cachet. L’architecture, nette et rigoureuse, un rien majestueuse, typique des années 1940, s’inscrit toujours très harmonieusement dans son écrin de verdure. Certaines installations ont pourtant vieilli mais, bonne nouvelle, un grand lifting est prévu prochainement, pour rendre l’endroit plus attractif.  » Pour des raisons de sécurité, la tour panoramique a dû être fermée, explique Jean-François Krucke, coordinateur des centres de la Communauté germanophone. Les travaux de rénovation démarrent au mois d’octobre pour la rendre de nouveau accessible aux visiteurs. L’accès à la cafétéria deviendra plus facile. Avec la complicité de l’architecte eupenois Manfred Lerho, le bâtiment sera modernisé avec, notamment, l’aménagement d’une salle audio-visuelle. Les visiteurs pourront s’initier à l’histoire du barrage, à son fonctionnement, ainsi qu’au système d’épuration d’eau « .

A l’heure de la détente

Eupen est gourmande, on l’a déjà dit. Les bonnes tables ne manquent pas. Le restaurant…  » Fiasco  » (les Eupenois ont de l’humour, on l’a déjà dit, aussi) est un modèle d’accueil et de gentillesse, tandis que les mets qu’on y sert (scampis sur le lit de choux, carpaccio d’agneau au pesto, loup de mer aux courgettes…) sont de véritables poèmes. Eupen aussi est mélomane, aime s’amuser, chanter et danser. Le carnaval, incontournable et fortement apprécié, puise ses racines dans les traditions de la Rhénanie. Le clou du programme a lieu le jeudi gras, lorsque les femmes, vêtues de leurs superbes robes 1900, se dirigent de la ville basse, vers l’hôtel de ville. Sur le passage, elles essayent d’embrasser tous les hommes et de couper, discrètement, leur cravate. En arrivant au but, l’assemblée féminine prend d’assaut l’hôtel de ville, occupe la place du bourgmestre et règne, ce jour-là, à sa place, dans la joie et la bonne humeur. Lorsque les beaux jours reviennent, la musique est reine. Lors de l’African Night, toute la ville vibre à l’unisson. Mais c’est surtout le Marathon de musique qui est attendu avec beaucoup d’impatience. Le premier dimanche de juillet, il attire 10 000 visiteurs, férus de toutes les musiques, de Mozart à Heavy Metal. La fête bat son plein, dans les cafés, dans les restaurants, dans les églises et en plein air.  » Sans oublier l’ensemble de théâtre Agora et l’ensemble de danse Irène Ka, souligne Monique Wey, conseillère au cabinet du ministre-président. Ces deux ensembles tournent dans toute la Communauté germanophone et leur réputation dépasse déjà les frontières « .

Eupen est bien un petit paradis qui vaut le détour. Car elle est à la fois traditionnelle avec sagesse et moderne avec simplicité. Et sait prendre le temps de vivre.

Barbara Witkowska – Photos : Jean-Michel Clajot, Reporters

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