À 44 ans, l’actrice australienne enchaîne les projets palpitants : un film de Woody Allen, une pièce aux côtés d’Isabelle Huppert. Et une campagne signée Anne Fontaine pour Sì, le nouveau jus de Giorgio Armani. Rencontre avec une femme de tête, bien dans sa vie.

Elle dit qu’elle ne sait pas dire non. Que c’est sans doute une aubaine et une malédiction. Un simple coup d’oeil à sa carrière et l’on se dit que Steven Spielberg, David Fincher, Martin Scorsese et Terrence Malick, entre autres, ont eu bien de la chance finalement qu’elle ait le oui plutôt facile. Sur sa ligne de vie, on cherche en vain le moindre écart de conduite. A 44 ans, Cate Blanchett a tourné avec et pour les plus grands, est la mère comblée de trois gamins pétants de santé et comme si cela ne suffisait pas encore, elle s’éclate aussi sur la scène de la Sydney Theatre Company que dirige, depuis 2009, le père de ses enfants, l’auteur de théâtre, scénariste et écrivain Andrew Upton.

Difficile de mettre la barre plus haut ? Ajoutez encore 1,74 m de silhouette tout en jambes, une blondeur subtile et un teint diaphane, à peine marqué par quelques ridules au coin des yeux quand elle sourit – et elle sourit souvent -, bien utiles pour donner un peu plus d’humanité à cette actrice en majesté, dont l’agenda booké jusque fin 2015 déborde de projets plus alléchants les uns que les autres. Ouvrez-le au hasard en janvier 2014 et vous tomberez sur The Monuments Men, une histoire de sauvetage d’oeuvres d’arts tombées aux mains des nazis, dirigée par George Clooney. En juillet dernier, elle remontait sur les planches, à Sydney, aux côtés d’Isabelle Huppert dans le glaçant Les Bonnes de Jean Genet. A l’affiche du dernier Woody Allen, Blue Jasmine, elle y joue une bourgeoise dépressive et complètement ruinée. Un vrai rôle de composition – comme tous ceux qu’elle accepte – dans lequel elle excelle, évidemment.

Mais ce matin-là, si elle a posé son corps longiligne vêtu d’un tailleur-pantalon irréprochable dans la suite nickel chrome d’un palace milanais, c’est pour raconter une tout autre histoire. Celle de l’admiration qu’elle éprouve depuis plusieurs années pour le travail et la personne de Giorgio Armani. Celle de la femme Sì, incarnation fantasque d’une certaine idée du bonheur au féminin qui sourit à celles qui osent tout embrasser sans avoir peur d’elles-mêmes. Le timbre posé, la voix grave à vous donner des frissons, elle parle de parfums, de petits matins pressés, d’énergie créatrice, de Monica Vitti. Et de fabuleuses chaussures, aussi.

Que vous évoque le concept de parfum ?

Plus encore qu’une image, c’est pour moi la chose la plus puissante qui soit. Il est capable de rappeler un lieu, un moment précis, une personne, peut-être quelqu’un qui vous manque et que vous espérez retrouver. Pour moi, les parfums sont chargés de souvenirs. C’est l’odeur de ma mère, de ma grand-mère, de mes amis. Cela fait partie du passé, qui évolue sans cesse. Je crois que les parfums les plus merveilleux se transforment au fil du temps sur votre peau. Tout est dans le souvenir.

Vous souvenez-vous justement de ce que portaient votre mère et votre grand-mère ?

Seulement des odeurs. Ma grand-mère sentait toujours la poudre de riz et la violette. Ma maman, c’était tout autre chose : elle aimait les parfums musqués, un peu masculins. Du coup, dès que je sens autour de moi ce genre d’odeurs, ça me transporte immédiatement à l’époque où j’étais une toute petite fille.

Quel genre de parfum aimez-vous ?

J’ai un penchant pour les chyprés et les boisés, traditionnellement plus masculins. J’aime les odeurs de feu ouvert, de cuir, de bois de santal, mais aussi les héspéridés. Par contre, les floraux ne sont pas trop à mon goût. Si j’apprécie Sì, c’est parce que son côté féminin et sa douceur ne sont pas trop envahissants. Les freesias que j’adore sont traités comme le cassis, en petites touches. C’est ce qui rend ce jus si spécial. Mystérieux même… Oh mon Dieu, mais vous portez toutes les deux des chaussures fabuleuses !

Les vôtres ne sont pas mal non plus !

Armani (elle sourit en levant les mains en signe d’évidence).

Depuis combien de temps vous sentez-vous proche de son univers ?

Adolescente déjà, je m’intéressais à son travail et à l’influence qu’il avait sur le cinéma notamment. J’adorais son tailoring masculin que je trouvais exquis. Je portais des costumes d’homme, à l’époque, que je demandais à ma mère d’ajuster pour moi. Avec le temps, j’ai appris à adoucir mon allure. Comme le fait monsieur Armani : il donne de la force et de l’élégance à la féminité. Lorsque j’ai quitté l’école de théâtre, j’ai investi mon premier cachet dans un tailleur de la griffe. Je l’ai d’ailleurs toujours aujourd’hui et je le porte encore. J’ai rencontré Giorgio Armani pour la première fois il y a quelques années dans les coulisses d’un défilé Armani Privé. Je tremblais ! J’étais stressée ! Quand vous admirez quelqu’un dont l’influence esthétique est tellement vaste, c’est terrifiant de vous retrouver face à votre héros, votre idole ! Mais il est incroyablement chaleureux et il m’a mise tout de suite très à l’aise.

Vous avez dit un jour, après le tournage de la trilogie de Peter Jackson, Le seigneur des anneaux, que dans votre métier, on sait que l’on a réussi lorsque l’on se retrouve avec une poupée en plastique à son effigie. Devenir l’égérie d’un grand parfum, c’est aussi le signe que l’on commence à compter ?

C’étaient des figurines Lego, je m’en souviens très bien ! Cela aurait pu être une Barbie. Dans le cas présent, monsieur Armani m’a fait un compliment incroyable en me demandant d’être le visage de son parfum signature. Sa nièce Roberta me disait hier soir :  » c’est un nouveau chapitre que nous écrivons dans notre relation.  » Et c’est vrai ! Il a déjà signé des costumes pour le théâtre que j’ai dirigé avec mon mari, à Sydney. En tant qu’actrice, j’ai eu la chance de porter des vêtements qu’il avait créés tout spécialement pour moi. C’est un privilège, vraiment. Et ce qui m’arrive aujourd’hui en est le prolongement.

Si comme en Australie, on vous dit  » go bush  » (NDLR : autrement dit, partir à l’aventure, en pleine nature), vous êtes partante ?

J’adore quitter la ville ! Que ce soit pour aller à la plage, comme celle de Whale Beach, près de Sydney, au bord de laquelle la campagne de Sì a été tournée, ou pour partir plus loin, en Islande ou en Italie. Ne pas avoir de contrainte de temps surtout. N’avoir rien à faire !

Prendre de la distance aussi face au trop-plein de glamour de votre boulot ?

Si vous pensez à une première de film ou de théâtre, au vernissage d’un ami, oui, ce genre d’événements a l’air terriblement glamour. Mais on oublie trop souvent que le processus créatif qui a mené à cette première, à cette expo, ne l’est pas du tout. Derrière les paillettes, il y a énormément de travail et de recherche sur soi. Pina Bausch (NDLR : danseuse et chorégraphe allemande) parlait très bien de ce sentiment étrange d’insatisfaction et d’agitation permanente qui accompagne la création.

Il paraît que vous rêvez d’être plus patiente. Qu’est-ce qu’il y a de mal finalement à être impatient ?

Vous pouvez avoir faim de nouvelles expériences. Mais si vous êtes trop impatient, vous risquez de vouloir que les événements arrivent trop vite. Et c’est bien aussi de savoir prendre son temps. De laisser les choses venir à vous. D’accepter que cela se passe si ça doit se passer et quand ça doit se passer. Dans le fond, je suis plutôt quelqu’un de fataliste. Comme je demande à mes garçons d’être patients, c’est plutôt normal d’essayer de l’être aussi moi-même, non ?

Pendant le tournage de la campagne, est-ce vrai que vous vous êtes inspirée de Monica Vitti ?

Oui, Anne Fontaine et moi avons beaucoup parlé d’elle. C’est une actrice incroyable, un esprit libre, drôle. Lorsque je crée un personnage, je suis un buvard. Tout ce que je vois, ce que je fais, ce qu’on me raconte, est susceptible d’ouvrir une porte vers un rôle, vers une histoire. Je ne sais jamais d’où l’inspiration peut venir.

Dans la campagne justement, cette femme, c’est vous ? Un personnage de fiction ?

Peut-être moi… Ou pas ! Le film ne décrit pas seulement les femmes italiennes. D’ailleurs, je ne le suis pas. Il touche à l’universel. Je me sens proche de ce qu’il raconte, de ce qu’il évoque. Mais on ne se prépare pas pour un tel rôle. Il faut être vivant, se réveiller le matin du tournage rempli d’énergie positive. Il m’a suffi de me dire :  » Oh mon Dieu, aujourd’hui, je vais être dirigée par Anne Fontaine, qui est pour moi une femme extraordinaire, pour une fragrance de monsieur Armani.  » Ça ne pouvait être qu’une belle journée. Et j’ai vécu de super moments. Lorsque je suis arrivée sur le plateau, je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. J’ai embrassé l’instant présent et j’espère que cet état d’esprit-là transparaît à l’écran.

Pour vous, qu’est-ce que l’élégance ?

L’élégance est sans prétention. Etre élégante, c’est être sophistiquée à sa manière. C’est personnel. Et serein.

Mais ce n’est jamais fatigant d’essayer d’être élégante tous les jours ?

Si vous êtes élégante, vous n’avez jamais à  » essayer « , vous l’êtes, c’est tout (elle part dans un grand éclat de rire). Mais je reconnais que certains jours y sont plus propices que d’autres… A 6 heures du matin, quand j’essaie de préparer mes trois garçons pour l’école, d’arriver à l’heure à la répétition, ce n’est pas toujours le moment le plus élégant de mon existence, je l’avoue. Le tout, c’est d’essayer de vivre sa vie avec grâce.

Même quand vous êtes stressée, est-ce qu’il y a des gestes beauté dont vous ne pouvez pas vous passer ?

En plus, bien sûr, d’hydrater ma peau, ce que je fais matin et soir quoi qu’il advienne, je me parfume toujours et je mets du mascara. Je suis passée maître dans l’art de le faire au feu rouge, dans le rétroviseur de ma voiture. Et oui, j’avoue être une de ces femmes-là.

Etes-vous fidèle à votre parfum ou en changez-vous en fonction du personnage que vous êtes en train d’incarner sur scène ou devant la caméra ?

Ça dépend. Je peux avoir envie d’associer un parfum à un rôle mais aussi à la ville dans laquelle je tourne ou à la saison. Mais je reste fidèle à la même famille de senteurs : l’orange, le bois de santal, le bois, le cuir.

Vous voyez-vous comme un modèle pour les autres femmes ?

Ce n’est pas à moi de le dire. Chacun doit vivre sa vie comme il l’entend. Je n’ai en tout cas pas l’ambition d’influencer l’existence ou la carrière de qui que ce soit. En revanche, il y a des femmes qui m’inspirent. Je pense notamment à l’artiste australienne Del Kathryn Barton. Quelqu’un comme Christine Lagarde aussi. J’aime la manière qu’elle a de vivre comme un homme dans un monde d’hommes. La force de caractère de ma mère et de ma grand-mère ont toujours été des références pour moi.

Pensez-vous qu’à la manière du parfum Sì, une femme doive être forte et délicate à la fois ?

Si vous remplacez devoir par pouvoir, je dis oui. C’est le problème majeur des femmes : elles se disent tout le temps  » je devrais faire ceci, ou ne pas faire cela « . Acceptons et célébrons ce que nous sommes.

PAR LENE KEMPS ET ISABELLE WILLOT

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