Curieusement, le jeu vidéo le plus vendu au monde est une pâle copie de notre quotidien. Bizarre, vous avez dit bizarre ?

Retrouvez Frédéric Brébant chaque lundi matin, vers 9 h 45, dans l’émission  » Bonjour quand même « , de Jean-Pierre Hautier, sur La Première (RTBF radio).

Une fois n’est pas coutume : le phénomène en question n’est pas l’expression d’une mode naissante et passagère, mais bien la confirmation criante d’une véritable tendance de fond qui imprègne notre société occidentale depuis quelques années déjà. Les faits : dix jours à peine après leur lancement, les Sims 2 franchissaient déjà le cap du million d’exemplaires vendus. Si vous avez plus de 30 ans ou si vous avez délibérément choisi de vous couper du monde informatique, la tribu des Sims ne vous dit probablement pas grand-chose. En revanche, si vous êtes adolescent ou tout simplement passionné de jeux vidéo, vous savez depuis belle lurette que les personnages de cet univers ludique sont les superstars des mondes imaginaires. A priori, on pourrait croire que le jeu vidéo le plus vendu sur Terre met en scène des guerriers, des créatures fantastiques ou des courses de voitures rutilantes. A priori, on pourrait croire aussi qu’un jeu n’a d’intérêt que s’il n’y a qu’un début et une fin ou, encore, que s’il n’y a qu’un gagnant et un perdant. Dans son apparente banalité, le concept des Sims démontre tout le contraire avec gloire et panache. En clair, ce divertissement repose sur une simulation de vie ordinaire où chaque joueur peut créer ses personnages et les faire évoluer dans un contexte des plus quotidiens entre boulot, bobo, auto et dodo. Grâce à ce jeu, chacun a donc l’opportunité de s’improviser  » Grand architecte  » en créant des vies et en les dirigeant comme bon lui semble. Le Sims n’est toutefois pas complètement dépendant : son quota d’intelligence artificielle lui permet d’être relativement autonome, même s’il reste malgré tout soumis au bon vouloir de son Créateur. Enfermé entre quatre murs, il meurt ! Lancée en février 2000, la première version s’est écoulée à plus de 26 millions d’exemplaires, devenant ainsi le jeu vidéo le plus vendu de tous les temps avec moult sites Internet de fans en prime (plus de 700 adresses en 13 langues répertoriées à ce jour). C’est dire si les fans attendaient les Sims 2 avec impatience ! Depuis un bon mois, leur v£u est exaucé : le plus grand simulateur de vie humaine est de retour, dans une toute nouvelle version aux options et aux graphismes beaucoup plus aboutis. Désormais, le joueur peut reproduire ses Sims (avec respect de l’héritage du patrimoine génétique !), cibler davantage ses objectifs et créer carrément des villes. De prime abord curieux, le succès phénoménal de ce jeu hyperbanal n’est finalement pas si étonnant que cela. Quoi de plus excitant, pour une génération gavée de télé-réalité, de diriger un Loft personnalisé sous la forme d’un jeu ? Quoi de plus enivrant que d’inverser les rôles pour devenir momentanément le responsable d’une bande d’irresponsables ? Et puis, pourquoi se fatiguer à mener des combats avec des dragons et à gagner des courses avec des bolides alors que l’apathie est désormais érigée en style de vie ? Avec les Sims 1 et 2, c’est finalement le télescopage du réel et du virtuel qui triomphe. En tirant les ficelles d’un quotidien inédit à portée de main, on savoure surtout une nouvelle vie par procuration et on se plaît enfin à se prendre pour Dieu dans une société déshumanisée. Qui peut promettre, aujourd’hui, meilleur scénario ?

Frédéric Brébant

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