Slowdive haute tension

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Dans le temps, je vous parle d’il y a quinze ans, voire plus, nous « montions » souvent au pylône. Mes cousins, mon frère et moi. Dès qu’un anticyclone le permettait, hop, grimpette. Nous restions là des heures durant, à 8 mètres des blés et à 1 000 mètres du ciel. Les champs et l’E40, encore et toujours. C’était un rituel, là-haut, on pouvait tout se raconter ou ne rien dire. Parfois, l’un d’entre nous y allait en solo, Walkman et musique  » shoegaze  » sur la bande. J’ai des souvenirs de Ride, de Slowdive et Throwing Muses tout là-haut. Surtout de Slowdive. Leur musique alanguie se mariait admirablement avec la langueur des champs et leur houle douceâtre. Du bleu, du vert et de l’or. La voix de Rachel sonnait comme la brise qui fait se ployer les épis. Les guitares dessinaient des traînées blanches sur l’azur. Telles des promesses de voyages. Le paysage devenait la musique. Il suffisait de descendre la route de Lin, une légère courbe à droite et l’étendue agricole désertique se dévoilait, dominée par son pylône. Notre pylône. Attirant comme un aimant. Amour magnétique. Passeport pour le Très Haut. Nous avons toujours été fascinés par l’électromagnétisme dans toutes ses formes : courant électrique, chimie électrique, lévitation, ce genre de choses. Et au sommet de ce truc, à une encablure des lignes à haute tension, je ne vous raconte pas les décharges inconscientes qu’on se prenait dans le cerveau. 10 000 volts ou quelque chose comme ça. Nous l’aimions, c’était notre pylône. Nous vivions alors le bel âge. Le temps a passé et nous ne grimpons plus. Le pylône a été démonté. Deuil national. Sale époque. La haute tension n’a plus la cote. Le temps a passé et Slowdive sort d’un mutisme long de vingt-deux ans. J’ai fébrilement appuyé sur  » play  » et les guitares ont entamé leur sarabande. Si le monde a changé en vingt-deux ans, si j’ai terriblement changé, Slowdive n’a pas bougé. Alors, à l’écoute de ces 6 minutes en forme de recherche du temps perdu, j’ai revu le pylône, j’ai entendu le vent et son silence ouaté. Dieu que la grimpette me démange.

JÉRÔME MARDAGA

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