A 42 ans, l’acteur s’offre son premier one man show. Une farce au vitriol mettant en scène un exilé fiscal qui rêve de devenir belge pour sauver ses milliards…

Ce type-là, c’est sûr, sait exactement ce qu’il vaut. Un bon 40 milliards d’euros, au bas mot. Lui, le  » patron d’un grand groupe industrialo-commercial  » – toute ressemblance avec l’un des cadors du CAC 40 ne serait ni fortuite, ni involontaire – se retrouve pourtant bien coincé, bloqué qu’il est au bord d’un chemin boueux de la campagne hennuyère et suspendu au bon vouloir d’un Etat qui lui refuse la seule chose qui ne s’achète pas encore : la nationalité belge ! Un truc dont tout petit, il rêvait déjà – ne sue-t-il pas plus encore que Brel quand il chante ? – au point de demander, à 12 ans, un nouveau passeport pour Noël…

Pour incarner ce SDF – comprenez sans difficulté financière – d’un genre nouveau, pressé d’échapper comme tant d’autres Français à un embarrassant impôt sur la fortune, Fabrice Schillaci a fait sienne la langue de Jean-Marie Piemme, un auteur dont il apprivoise pour la première fois le verbe en 2010 en jouant dans Dialogue d’un chien avec son maître.  » Une vraie rencontre d’acteur, un détonateur, confie-t-il. J’avais depuis longtemps l’envie d’oser un seul en scène. Celle aussi d’aborder le monde des puissants. Il m’a proposé L’ami des Belges. J’ai flashé tout de suite.  » Ensemble ils cisèlent le texte et ressentent rapidement – nous sommes en 2013, en pleines affaires Arnault et Depardieu – l’urgence de monter la pièce, une première création pour la compagnie Impakt dont Fabrice Schillaci est le directeur artistique.

Présenté dans le  » off  » d’Avignon, le spectacle trouve très vite son public. Belges et Français se délectent des travers de ce pantin arrogant et pathétique à la fois.  » Le genre de mec qui ne s’excuse jamais d’être là « , ironise le comédien belge. Les programmateurs s’y bousculent, les contrats se signent. Deux saisons plus tard, L’ami des Belges n’en finit pas de tourner, Fabrice Schillaci saisissant au vol toutes les occasions que lui laisse son agenda bien rempli pour se frotter à ce texte brûlant. Un tour de force exaltant.  » Ces mots qui dansent et qui swinguent sans cesse, qui demandent à l’acteur d’être physiquement et mentalement à fond, tout le temps, j’ai envie de les dire et de les défendre, s’enthousiasme-t-il. J’aime l’idée du masque au sens large.  »

Enfant, pourtant, Fabrice Schillaci n’allait pas beaucoup au théâtre.  » Je me souviens encore du National venu en « décentralisation » dans la région, sourit-il. C’est là que j’ai vu Pierre Laroche jouer pour la première fois.  » Avec son père, il regarde plutôt la télé et découvre Charlot, de Funès et Toto, le comique italien. A l’académie, où il se traine en section musique, il observe en secret les élèves du cours d’art dramatique. Il a 16 ans lorsqu’il ose pousser la porte de la classe de Jean Giard, à Namur. Son professeur l’entraîne avec lui au théâtre de l’Escalier.  » J’étais mordu « , s’exclame-il. Il fera donc sa vie sur scène. Inscrit au conservatoire de Liège, il décroche son prix supérieur avec la plus grande distinction.  » Mes parents étaient tellement fiers, souffle-t-il. De l’idée qu’on ne puisse pas aller plus haut.  » Le lendemain de la proclamation, il répète déjà avec Françoise Bloch, au théâtre de la Place.  » Une époque bénie « , lâche-t-il, lui qui n’a pourtant jamais manqué de travail, alternant périodes plus calmes, propices à l’élaboration de nouveaux projets – comme la mise en scène de Jours radieux, une pièce de Jean-Marie Piemme abordant la montée de l’extrême-droite – et effervescence des tournées.  » Tous les jeunes comédiens rêvent d’une existence nomade, conclut-il. Mais on ne peut pas imaginer ce que c’est que de jouer un texte plus de cent fois ! Il faut le vivre. Les spectacles se nourrissent des rencontres avec le public. Tous les publics. Celui des capitales comme celui des petites villes.  » De s’y frotter, L’ami des Belges a mûri. Et mûrira encore.

lamidesbelges-lapiece.com

PAR ISABELLE WILLOT

 » J’aime l’idée du masque au sens large. « 

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