Phénomène: Les fromages végans envahissent nos plateaux

Les camemberts artisanaux Omage à base de noix de cajou et de graines de potiron. © SARAH VAN LOOY

Les fromages végans sont légion dans nos rayons. Mais les camemberts et autres parmesans sans produits laitiers sont-ils prêts à faire oublier les ersatz caoutchouteux que nous connaissions jusqu’alors?

Fromage à tartiner, mozza, feta et camembert… tous se déclinent en version végétale. Ces dernières années, l’offre a explosé. Selon la société de diffusion de communiqués de presse Business Wire, le marché représentait, en 2019, environ 2,74 milliards de dollars sur le plan mondial. Un chiffre qui devrait doubler d’ici 2025. Et ce, même si pour l’instant, chez nous, le nombre d’adeptes du véganisme reste de 1% de la population en Flandre et en Wallonie et de 6% à Bruxelles, selon l’association BE Vegan. « C’est une faible proportion, regrette Bram Bruyland, son porte-parole. Mais, selon une enquête de l’ASBL Eva, un Belge sur quatre a l’intention de manger plus souvent végan. Nous ne disposons pas de chiffres pour le fromage, mais nous savons que la vente de produits végétariens et végans en Belgique a enregistré une hausse de 80% entre le début de la crise de la Covid et fin février 2021. Auparavant, les fromages végans n’étaient proposés que dans des commerces spécialisés, mais chaque année, de nouveaux produits viennent allonger la liste, même dans les supermarchés. Cela va des tartinades et des sauces crémeuses de la marque belge Pa’lais, au fromage en tranches ou râpé de Nurishh, VioLife et Wilmersburger. »

Un constat que dresse aussi Neri De Meester de l’entreprise Omage: si notre pays avait un peu de retard sur ses voisins, il est en bonne voie maintenant. Sa société fabrique des camemberts artisanaux à base de noix de cajou et de graines de potiron, vendus en ligne et notamment chez Bioplanet… Pour cette passionnée, produire un tel fromage végan est un véritable métier car qui dit camembert, dit culture de bactéries, fermentation et salage. Chez Omage, le maître-fromager recourt au penicillium camemberti, qui produit une fine croûte blanche de moisissure. L’objectif avoué de cette productrice est que ses produits trouvent leur place sur un plateau classique. Pas question toutefois d’intensifier la production, au détriment de la qualité, car le but est de fournir les crémeries traditionnelles et de satisfaire des clients exigeants.

Neri De Meester fabrique les camemberts artisanaux Omage à base de noix de cajou et de graines de potiron.
Neri De Meester fabrique les camemberts artisanaux Omage à base de noix de cajou et de graines de potiron.© SARAH VAN LOOY

Comme Neri, Benoit Van den Broeck s’est lancé dans l’aventure, après être devenu lui-même végan. « Je travaillais pour des organismes de protection des droits des animaux et je photographiais clandestinement des abattoirs. J’étais toujours confronté à des images négatives. Avec The Vegan Butcher, je voulais réaliser quelque chose de plus positif et contribuer à une solution. » En collaboration avec Federica Boddi, il a donc mis au point des fromages de chèvre et à pâte persillée, à base de noix de cajou, et une mozzarella fondante composée de lait de soja et d’huile de coco: « Notre fromage bleu a beaucoup de succès. Il contient les mêmes bactéries que le roquefort. Mais nous ne cherchons pas à faire un copier-coller de l’original et notre public-cible n’est pas exclusivement végétarien. Nous attirons également des omnivores, conscients des enjeux environnementaux ou présentant des intolérances alimentaires. »

Le fromage bleu signé Benoit Van den Broeck de The Vegan Butcher connaît un grand succès.
Le fromage bleu signé Benoit Van den Broeck de The Vegan Butcher connaît un grand succès.© SARAH VAN LOOY

En quête de qualité

On estime que 15% des Belges ne supportent pas le lactose – bien moins qu’en Asie (64%), au Moyen-Orient (70%) et en Afrique (65%). Kim Huybrecht fait partie de ceux-ci, suite à des problèmes de santé rencontrés il y a huit ans. Et c’est ce qui l’a poussée à se reconvertir en spécialiste de l’alimentation orthomoléculaire. Avec son entreprise Buikgeluk, elle accompagne des patients souffrant de pathologies semblables et anime des ateliers. « Lorsque j’ai cherché des solutions alternatives, je ne trouvais que des articles à base d’huile de coco, ce qui est peu recommandé pour la santé, raconte-t-elle. Alors, je me suis mise à fabriquer des fromages, à commencer par le Rambol. Maintenant j’apprends à d’autres à fabriquer douze types de fromages, dont un Boursin végétal et une sauce pour les pâtes. » Outre les noix de cajou, elle utilise aussi des graines de tournesol et de potiron et même des haricots pour les personnes allergiques aux noix. « Les participants reçoivent une liste de courses et de magasins où ils peuvent acheter les meilleurs ingrédients. Il existe ainsi de multiples sortes de levure maltée, pour la fabrication du parmesan végétal. »

Pieter-Jan Lint, chef végan, a, lui, un petit secret pour ces flocons de levure: « Si vous les faites griller dans une poêle au préalable, leur goût est bien plus intense. » Après la crise sanitaire, il ouvrira le premier restaurant gastronomique végan du pays mais depuis des années déjà, il donne des ateliers de gastronomie végétale, durant lesquels il propose de fabriquer des fromages aux noix fermentées, aux légumineuses et aux haricots, visant toujours la qualité plutôt que la quantité. Toutefois, le cuisinier trouve difficile la comparaison avec de « vrais » fromages. « Omage, par exemple, est un très beau produit, mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’il ait le goût d’un vrai camembert… » dit-il. En ce qui concerne l’offre dans les supermarchés, l’homme reste également prudent. « Sur une pizza, j’oserais utiliser du fromage râpé végan. Ce sont des produits qui tentent de s’approcher du fromage, en bloc ou en tranches, mais sur le plan gustatif pur, on en reste éloigné. Les fromages à pâte dure sont, eux aussi, encore difficilement imitables. Mais de grandes entreprises cherchent à exploiter les protéines végétales, comme les petits pois et les fèves, et à les transformer en produits végétaux. Cette recherche n’en est qu’à ses balbutiements. »

Benoit Van den Broeck de The Vegan Butcher.
Benoit Van den Broeck de The Vegan Butcher.© SARAH VAN LOOY

Un avenir en labo

La société agroalimentaire Those Vegan Cowboys, active dans ce secteur, sait aussi que le chemin reste long. Ses fondateurs sont des anciens de la marque Le Boucher végétarien, vendue à Unilever. Les substituts de viande que Jaap Korteweg et Niko Koffeman ont mis au point connaissent un énorme succès. A présent, ils ambitionnent de créer des fromages végétaux à pâte dure « comme le gouda », précise Kathleen Piens, docteur en biochimie, employée dans leur laboratoire à Gand. Avec son équipe, elle a développé des protéines dans un but médical, notamment pour aider des enfants atteints des maladies de Gaucher et de Pompe. Ce projet achevé, leur entreprise, Oxyrane, a été reprise par Those Vegan Cowboys. « Nous planchons sur un produit alternatif équivalent en goût, mais aussi en valeur nutritionnelle, insiste-t-elle. Certains articles disponibles en magasin contiennent peu de protéines. » Le challenge est donc de développer exactement les mêmes protéines que pour le fromage de vache, par le biais de la fermentation microbienne. Pour le moment, le projet en est au stade de l’expérimentation mais le but avoué est de déclencher une révolution végétale dans le monde du fromage. « Nous souhaitons fabriquer un produit capable d’inciter le plus de consommateurs possible à opter pour un produit durable. S’il ne touche qu’un public niche de végétariens et de végans, qu’à cela ne tienne; ces profils sont souvent des avant-gardistes. Actuellement, la marge de croissance pour les alternatives végétales aux fromages à pâte dure est énorme. Nous visons une production à l’échelle mondiale. »

Au niveau international, d’autres grands acteurs sont déjà présents, comme Perfect Day (Etats-Unis), Formo (Allemagne), New Culture (Etats-Unis), Better Dairy (Royaune Uni) et Remilk (Israël). Kathleen Piens pense que les concurrents non européens réussiront plus rapidement une percée: « Ici, vous devez mener à bien vos recherches, mais aussi rentrer un vaste dossier auprès de l’Agence européenne de Sécurité des aliments. Aux USA, cela semble plus simple. Chez Perfect Day, par exemple, ils fabriquent des protéines de lactosérum permettant de produire de la glace végane, mais sans le goût du soja. L’Agence américaine des produits alimentaires a déjà approuvé cette protéine. » Sans oublier que la législation européenne est aussi strict en termes de dénomination et qu’elle décide si un producteur doit utiliser le mot « fromage végan » ou « solution alternative végane au fromage »…

Bien que le lobby de l’agriculture mette tout en oeuvre pour empêcher que le secteur se développe, chez Those Vegan Cowboys, on ne demande pas mieux que d’impliquer les agriculteurs: « Les levures qui composent nos protéines ont aussi besoin de nutriments pour se développer. Leur culture peut être confiée à des agriculteurs. » Récemment, la société a annoncé son intention de collaborer avec la marque de fromages néerlandaise Westlandkaas, connue pour le Old Amsterdam et le Maaslander. Une entreprise traditionnelle. Peut-être l’avenir se teintera-t-il alors d’un peu plus de végétalisme.

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