Le temps d’une soirée, le metteur en scène Fabrice Murgia sera le chef d’orchestre d’un Karbon Kabaret à la sauce du coin. Dans cet opéra urbain, le folklore sera roi mais il se laissera bousculer. Par les artistes d’ici et d’aujourd’hui.

Ce serait quoi, finalement, l’âme d’une ville et de sa région ? Ce qui vient à l’esprit, là, tout de suite, quand on pense à Liège, c’est, pêle-mêle, Tchantchès, le péket, les guindailles du Carré, le passé minier puis l’ombre des hauts-fourneaux de Seraing à l’agonie, les majorettes du Belgium Star (photo, avec Farbrice Murgia) et les confréries, la guerre des carnavals entre Stavelot et Malmedy, les tirs aux campes et puis monsieur Dudule qui vend ses Bics sur la place du Marché en poussant la chansonnette, depuis quand, personne ne le sait vraiment, c’est un peu comme s’il faisait partie du paysage finalement. C’est réducteur évidemment, un brin cliché surtout, du genre qu’on véhicule hors les murs mais pas que… Nier cet héritage au nom d’une certaine pulsion de modernité ne servirait à rien, l’assumer, le faire sien quitte à s’en éloigner reste la meilleure manière de le garder vivant, pas momifié. Mandaté par Mons 2015 et par la Province  » pour témoigner d’un état du monde à Liège « , le temps d’une nuit où tout serait permis, Fabrice Murgia s’est emparé de ce folklore à bras-le-corps, pas tout seul bien sûr, le propre de ce metteur en scène hors normes, formé au théâtre classique, a toujours été de savoir s’entourer.

Tout au long de la trame qu’il a pensée,  » une sorte de carnaval abstrait qui parle aux sens « , les tableaux vont se succéder. Le terroir sera roi mais il ne sera pas figé. Le caractère viscéralement urbain de cette ville qui exulte sous la lune sera de la partie, rattrapé par le poids de toutes ces industries d’hier qui ont forgé son coeur et ses faubourgs et qui la marquent encore aujourd’hui. Pour lier tout cela, et donner du corps à ce qui ne serait sinon qu’un défilé bien creux, la musique sera reine. Toutes les musiques d’ailleurs, le grand écart entre les courants qui s’entrechoquent devrait faire de belles étincelles. Michael Larivière, alias Redboy, leader de My Little Cheap Dictaphone, a forcé des rencontres, improbables sur papier – comme celle des rockeurs garage de The Experimental Tropic Blues Band avec Kaer de Starflam – entre des artistes qui ne demandent finalement qu’à sortir de leur zone de confort.  » Tout le monde a dû se prêter au jeu des distorsions « , lâche Fabrice Murgia, Tchantchès le premier d’ailleurs, lui qui prendra vie sur scène sous les traits d’une marionnette de huit mètres de hauteur construite par les membres du collectif Détruitu. Le décor non plus ne sera pas figé. Coachés par Michaël Nicolaï, graffeurs, vidéastes et plasticiens construiront l’habillage graphique d’un spectacle qui s’ouvrira aussi à la participation citoyenne – une chorale est en train de se constituer – et devrait, si tout se passe comme il se doit à Liège, tourner en grand bal populaire jusqu’à pas d’heures.

La vidéo, comme souvent chez Fabrice Murgia, occupera une place de choix, on n’a pas encore trouvé mieux pour translater au coeur même de la place Saint-Lambert la mélancolie qui peut se dégager des lieux à l’abandon que se plaisent à débusquer les adeptes de l’exploration urbaine.  » Mais l’image filmée ne sera jamais écrasante, promet l’ancien étudiant du Conservatoire de Liège. Il faudra que l’humain reste au centre.  » Un job confié au travesti Peggy Lee Cooper, à la voix de fumeur de St. Michel sans filtre. Et puis à Mario Bandera, le dernier mineur sorti du puits de Trembleur, qui montera sur scène pour parler de  » sa  » mine à lui. Depuis près de trois mois déjà, ça  » incube  » à tout-va, les propositions fusent, il faudra que tout cela (se)  » tienne  » en nonante minutes, pas une de plus. S’il le faut Fabrice Murgia tranchera. La démocratie en art, il sait que cela n’existe pas, même s’il pose un regard bienveillant sur le  » joyeux bordel  » qui se construit sous ses yeux. Tout le monde donne. De ce travail, il restera sur scène trois secondes, peut-être trente, parfois rien. Juste du lien qui durera plus d’une nuit.

Karbon Kabaret, Espace Tivoli, à 4000 Liège. www.karbonkabaret.be Le 19 septembre prochain, à 20 h 30, événement gratuit.

PAR ISABELLE WILLOT

 » L’image filmée ne sera jamais écrasante. Il faudra que l’humain reste au centre.

 »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content