Au diable le fast-food ? Oubliés fish sticks et autres boulettes-frites ? Aujourd’hui, les kids se pourlèchent d’une nourriture saine et variée. Pour les combler, les cours de cuisine destinés tout spécialement aux enfants et aux ados se multiplient aux quatre coins du pays.

Léa, 9 ans, fait la moue. Alors que sa maman l’a invitée au restaurant – sa surprise préférée -, elle ne desserre pas les mâchoires. Sa mauvaise humeur n’est pourtant pas plus chronique qu’elle ne préfigure une quelconque crise d’adolescence avant l’heure. C’est plutôt que, devant une assiette, Léa est un tyran. Ses exigences sont celles d’un critique gastronomique à qui on ne la fait pas. Pas de chance, l’adresse dans laquelle elle se trouve a commis un crime de lèse-majesté envers son plat fétiche, la salade César. Il faut avouer que la bévue est de taille : les copeaux de parmesan ont été remplacés par un très vulgaire gruyère râpé. Impardonnable. Pour peu, elle en pleurerait. Quand le serveur qui vient lui retirer son assiette se fend d’un  » ça ne vous a pas plu, Mademoiselle ? « , sa réponse tombe comme un couperet.  » Quand on inscrit une salade César à la carte, le minimum est d’en respecter les vrais ingrédients. « 

Tout penaud, le garçon s’en va sans demander son reste, décontenancé par le rapport âge-assurance de la petite brunette. Sa maman, en revanche, n’est pas surprise, ce n’est pas la première fois que Léa s’illustre de la sorte. Elle-même en a déjà fait les frais, notamment lorsque, faute de temps, elle a eu le malheur de ramener de la charcuterie préemballée ou des pommes pas mûres à la maison. Les  » ça goûte le plastique !  » ou  » trop acide  » sanctionnent impitoyablement les aliments en question.

La nourriture a une grande importance dans la vie de Léa. Sur Internet, elle s’est constitué un réseau de copines avec lesquelles elle échange des recettes et des bonnes adresses. Tout cela n’empêche pas la fillette d’aimer frites et hamburgers, surtout quand elle est avec ses amies, même si elle concède avoir ses adresses préférées,  » celles où les pommes de terre sont coupées à la main et cuites deux fois « .

À 14 ans, Léo affiche un profil similaire à celui de Léa. Hervé, son père, ancien publicitaire reconverti en restaurateur, lui a sans doute transmis une passion pour le goût. En famille, le verdict de Léo fait office de référence. S’il annonce  » pas assez de sel « , son paternel s’empresse de corriger le tir. Au restaurant, il épate tout le monde par sa facilité à différencier poisson frais et poisson surgelé.  » Jamais, il ne se trompe « , confie Hervé qui en connaît pourtant un rayon sur les produits de la mer. Auprès de ses potes, Léo ne passe pas pour un  » freak « , au contraire, sa connaissance de la nourriture a fait de lui un oracle respecté qui a même contribué à améliorer les repas servis à la cantine.

bien dans son assiette

Léa et Léo ne sont pas des exceptions. Au contraire, ils sont emblématiques d’une génération extrêmement conscientisée par le bien manger. Mais derrière les enfants et les adolescents d’aujourd’hui, il y a leurs parents : ces trentenaires et quadragénaires, confrontés de plein fouet à une société en crise et pour qui la nourriture est perçue comme une valeur refuge autour de laquelle se retrouve toute la famille. Ce sont eux qui sont à l’origine de la montée en puissance de la cuisine, ingrédient désormais consubstantiel d’un art de vivre harmonieux. De la multiplication des livres de recettes à celle des émissions de télévision – Un dîner presque parfait, Top Chef et bientôt Masterchef (lire aussi en pages 34 à 38) – en passant par la prolifération des guides de bonnes adresses et des chefs devenus people, les 30-40 ans ont très vite été conquis.

De façon paradoxale, toutefois, cette tranche d’âge est prise en tenaille car elle est aussi celle qui  » n’a pas appris à monter une mayonnaise « , comme le constate Arnaud Fleurent-Didier dans sa chanson France Culture. Mais au moment d’endosser des responsabilités familiales, une prise de conscience s’opère. Pas question de laisser les petits démunis face à ce qui prend des allures d’enjeu majeur.  » Devenus parents à leur tour, les trentenaires se préoccupent d’enseigner à leur progéniture les valeurs du bien manger « , épingle quant à elle la journaliste Anne-Cécile Sanchez (*). À pointer aussi : cette  » DIY attitude  » (pour do-it-yourself), une mouvance qui enjoint à faire soi-même plutôt qu’à acheter tout fait.

Conscient de la problématique et soucieux de répondre aux attentes des parents, il y a trois ans, le gouvernement de la Communauté française a conçu un programme d’éducation spécifique. Placée sous l’appellation de  » Plan de promotion des attitudes saines en termes d’alimentation et d’exercice physique pour les enfants et les adolescents (PPAS) « , cette véritable stratégie comprend plusieurs volets. Outre la création de deux postes de conseillers en alimentation et du site Web Mangerbouger.be, le PPAS a également accouché du projet  » Grand chefs « . Une quinzaine de superpros – non des moindres, puisque le double étoilé Sang-Hoon Degeimbre en fait partie – ont ainsi partagé leur expérience professionnelle avec le personnel de cuisine des établissements scolaires et, dans la foulée, initié les élèves au plaisir de manger grâce aux Ateliers du goût. L’initiative a remporté un franc succès : en 2007, 170 Ateliers du goût ont été coordonnés et deux ans plus tard, la Communauté française en a mis 300 sur pied.

À Bruxellesà

En matière de cours de cuisine pour enfants et adolescents, le gros de l’offre provient toutefois d’initiatives privées. À Bruxelles, Les Filles, un atelier de cuisine servant des déjeuners aux entreprises – doublé d’une table d’hôtes en vue – propose une formule inter-générationnelle imaginée par Line Couvreur, une des trois associées.  » Je privilégie les cours parents-enfants, explique-t-elle en s’appuyant sur sa formation d’institutrice. C’est ce qui est le plus porteur. D’une part, cela permet d’éveiller les parents à la créativité culinaire en les faisant sortir des schémas du type « les enfants n’aiment que la purée et le jambon ». De l’autre, cela donne la possibilité aux enfants de reproduire ce qu’ils ont appris. Tout seuls, ils sont souvent démunis quand il faut utiliser un appareil ou acheter certains ingrédients. L’éveil des enfants à la nourriture passe toujours par les parents. Je constate d’ailleurs que les enfants dont les parents accordent de l’importance à la nourriture sont plus ouverts à la nouveauté. Bien sûr, il y a un moment où ils font des blocages mais la curiosité gustative prend en général le pas.  »

À Bruxelles également, les cours de cuisine Mmmmh ! consacrent un samedi sur deux aux kids. En compagnie d’un chef, ils élaborent pendant deux heures une préparation – sucrée ou salée – qu’ils peuvent ramener à la maison. À Uccle, le traiteur Fonteyne The Kitchen décline des sessions pour les 10 à 13 ans. Trois intervenants se succèdent auprès d’eux : un chef pour le salé, un chef pour la pâtisserie et une diététicienne se chargeant d’expliquer les vertus nutritionnelles des aliments. Au terme de l’heure et demie de cours, les enfants repartent avec leur menu, leur tablier et leur toque sous le bras. À Woluwe-Saint-Lambert, l’Hof Ter Musschen propose des cours plus spécifiques. Chaque premier dimanche du mois, d’avril à octobre, ils permettent aux enfants et aux d’adolescents d’apprendre à faire du pain à l’ancienne dans un fournil du xixe siècle. Au nord de la capitale, l’atelier Stimul’Art, créé par Julita Szleszynska, s’ouvre à différentes disciplines créatives et parmi celles-ci, la gastronomie se taille une place de choix grâce à des cours de cuisine  » bio conscients  » qui réunissent petits et grands. Le but ? Découvrir que manger sainement n’a rien d’une punition.

à comme En Wallonie

À Namur, les stages P’tits Toqués sont conçus pour des groupes de 10 enfants maximum. Ensemble, ils apprennent à constituer des menus à base de produits sains, le plus souvent bio. Outre ces ateliers, Delphine Hourlay, l’initiatrice du concept, orchestre des sessions spéciales pour les anniversaires. À Jodoigne, le traiteur Clos des Saveurs planifie des stages de cuisine en internat qui s’étalent sur une semaine. Au fil des jours, les 6 à 9 ans préparent les repas quotidiens avec, cerise sur le gâteau, un opus spécial, le dernier jour, à l’attention des parents.

Dans le même esprit, mais en version externat, la Ferme du Nil à Tourinnes-Saint-Lambert organise des stages de vacances. En plus d’une initiation à la cuisine des produits de saison, les petits ont la possibilité de s’occuper des animaux de la ferme, de faire du poney et de se familiariser avec le bricolage. À Charleroi, un passionné de gastronomie, Rudy De Lagrange, développe un concept de cours de cuisine qui porte le nom de Cooking Plus. Avec une équipe de chefs avisés, il propose une section Kid’s Cook dédiée aux jeunes. Le mercredi et le samedi, Kid’s Cook accueille les petits pour une approche concrète de la cuisine. Le principe – résumé par le sous-titre  » regarder sans faire, c’est pas apprendre  » – consiste à mettre la main à la pâte pour tout savoir sur la nourriture et oublier les éventuelles appréhensions. Pas de doute, avec tous ces top chefs en herbe, la relève est assurée.

(* )  » Retour vers le fourneau « , Les Inrockuptibles, 14 avril 2010.

Carnet d’adresses en page 86.

Par Michel Verlinden

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