Courses en traîneau à rennes à travers les forêts de bouleaux, pêche au trou sur le lac gelé, souper de saumon fumé sous la yourte et aurores boréales sous un ciel de glace… En Laponie, à la fin de l’hiver, dans la lumière bleue de ces crépuscules qui n’en finissent pas, on vit nuit et jour.

En pratique page 76.

Sous les flocons qui tourbillonnent, la route perce droit à travers la forêt. Dès l’atterrissage à Rovaniemi, on est déjà au-delà du cercle polaire. Plus on monte vers le nord, plus les arbres rapetissent. C’est la toundra. Deux heures plus  » haut « , après avoir posé le pied sur la glace de Loma Vietonen, maîtrisé en deux minutes le maniement de l’indispensable trottinette des neiges, on pousse la porte du chalet de bois rouge : la brioche à la cannelle embaume. Aira, notre hôtesse, a les mains dans la farine. Mikko, son mari, le visage rond comme un Lapon, a rentré les rennes et se repose sur son rocking-chair devant le grand poêle de faïence. On se sent à la fois très loin, dans un ailleurs de légendes, et comme chez soi, dans la chaleur du foyer. Parce qu’ici, la vie est simple, les besoins aussi : un bon feu, du pain fait maison, des skis pour aller et venir, le lac devant soi pour aller pêcher, les rennes dans l’enclos pour partir en traîneau, et les chiens d’attelage du voisin pour varier les plaisirs. Tous les produits utilisés sont locaux, de la compote de mûres jaunes ou du saumon frais pêché et fumé devant le feu aux magnifiques chaussettes de laine tricotées à la main par les mamies du village. Cette année, le printemps est en avance û les températures font des bonds de -15 °C à un 0 °C anormalement chaud pour mars ! û et la plupart des rennes ont déjà perdu leurs bois. Les rennes, c’est la richesse du Lapon.  » Demander à quelqu’un combien il a de rennes, cela ne se fait pas. Ce serait comme lui demander combien il a dans son porte-monnaie !  » explique Mikko. Lui-même restera mystérieux sur l’importance de son troupeau. Nous verrons seulement dans l’enclos les rennes qui travaillent, une trentaine. Les autres vivent en liberté dans la forêt. Deux ou trois fois par an, il rassemble son troupeau pour l’évaluer et détecter, parmi les plus jeunes, ceux qui montrent une aptitude au travail. A peine deux rennes sur dix en sont capables ! C’est une question de docilité. Car si le renne ne mord pas, il peut être rebelle, obstinément têtu. Autour de l’enclos, des petits chalets de rondins aux formes d’isbas, plus étroits à la base ; ce sont les garde-manger des rennes où s’entasse leur nourriture d’hiver, ballots d’herbe séchée et fagots de branches de bouleaux. Mais si vous voulez faire vraiment plaisir à un renne, donnez-lui une poignée de lichens ! Sur la porte sont clouées les peaux mises à sécher. Les traîneaux anciens, étroits comme des canoës, attendent, retournés, à l’abri des rafales de neige. Plus loin se dresse une haute yourte de forme traditionnelle, en toile (les anciennes étaient en peau de renne), avec une ouverture au sommet pour laisser échapper la fumée, et au centre, un foyer délimité par de grosses pierres et quelques bancs. Le saumon, ouvert en deux, est fixé sur une planchette par des fiches de bois, puis placé face au feu, pas trop près (il faut pouvoir passer une main entre les flammes et le saumon). Deux heures et demie plus tard, nos vêtements sentent la fumée et le poisson, mais on goûtera le meilleur saumon de notre vie, fumé à l’unilatérale, moelleux, exquis ! Un autre délice lapon est la soupe de saumon épicée, à la crème. Chez Aira, qui met un point d’honneur à utiliser les ressources locales, on se nourrit lapon et c’est un dépaysement de plus : beaucoup de légumes conservés en marinade, oignons doux au vin rouge sucré, lamelles de radis noirs et carottes au vinaigre, champignons des bois à la crème… On goûtera aussi au renne rôti aux rutabagas, aux bébés harengs à la crème aigre, au lavaret du lac, servi cru, émincé. Un jour nous sera servi un jambon entier de porc, cuit au four. Les desserts sont souvent à base de fromage blanc, accompagnés de comporte de mûres jaunes et de miel de bourgeons de sapin. Le  » mämmi  » est un porridge de malt brun, confit pendant deux jours, puis passé au four. Le pain est fait maison ( » rieska « , une belle galette incisée en croix,  » pulla « , une longue brioche à la cannelle). Chaque jour, en rentrant de promenade, à la lumière bleue de ce crépuscule qui n’en finit pas et annonce les nuits blanches de juin, on passe raconter notre journée à Aira et humer ce qui se mijote pour le dîner. Une atmosphère paisible et sans façon, que les enfants ressentent très bien : ils adorent séjourner ici, comme chez une bonne mamie. Un soir, on ira pêcher sur le lac gelé. Sur l’immensité lisse et glacée, des silhouettes éparses, engoncées dans de longs manteaux et des bottes épaisses, sont assises sur un petit tabouret ou accroupies à même la glace. Chacun tient entre ses mains un fil qui plonge dans le trou d’eau noir, d’où il remonte, averti par une infime secousse, lavaret, truite ou lotte. On ira faire une balade en traîneau dans la toundra. Le silence n’est rompu que par les craquements des traîneaux sur la piste gelée et les clochettes des rennes harnachés de cuirs brodés. Calfeutré dans sa peau de renne, on file entre les bouleaux, en prenant soin de rentrer ses bras sous la couverture, car quand le renne galope, jetant ses pattes vers l’extérieur, l’allure totalement déjantée, le traîneau oscille, frôlant les troncs argentés. Par une belle journée, on ira sur une île au milieu d’un lac gelé, faire un barbecue dans une sommaire hutte de bois. On pourra aussi partir à l’aventure, debout derrière un attelage de huskies aux yeux bleus et à la fourrure ébouriffée. Et bien sûr, on n’aura besoin de personne pour s’éloigner à skis de fond, glaner quelques petits trésors de la nature, minuscules pommes de pin au dessin parfait, lichens, belles mousses, grappes de baies rouges… On dérangera des poules de neige ou des coqs de bruyère qui se soulèveront d’un vol lourd et bref. On s’arrêtera sur des traces inconnues dont Mikko nous dira que ce sont celles de lièvres des neiges, de renards, d’élans… ou peut-être de lynx et d’ours, tandis que dans le ciel tournoient aigles et tétras. Par une nuit claire, avec un peu de chance, en repartant vers son chalet, on verra apparaître une aurore boréale, comme un nuage lacté légèrement phosphorescent qui se déploie telle une écharpe ondoyante au-dessus des cimes des pins. Et la légende lapone aura tenu ses promesses.

Noëlle Bittner

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