Christine Laurent
Christine Laurent Rédactrice en chef du Vif/L'Express

On ne se comprend pas. On ne s’écoute pas. Résultat : on se dispute. Dans le bus, à la maison, au boulot… Les petites bulles de sérénité et de paix se font de plus en plus rares. On est en conflit pour ceci, pour cela. Le plus souvent pour des broutilles, des détails, des divergences microscopiques montées en épingle. Sans parler des frustrations, ranc£urs, jalousies, humiliations, animosités rapidement surdimensionnées qui se faufilent dans les failles et sèment le trouble. Vivre ensemble, c’est parfois si difficile. Normal, parce que c’est compliqué.

Car la relation est le fruit d’une alchimie magique et mystérieuse qui repose sur la personnalité des protagonistes. Sur un rapport de force, sur des mises en scène de soi pour sauver la face, présenter le bon profil. Beaucoup d’énergie pour rien ? Pas sûr, la vie en société l’exige. Mais le regard que l’on pose sur les disputes, querelles et autres dissensions pourrait les rendre plus légères, moins plombantes. C’est ce que nous enseignent Dominique Picard et Edmond Marc, tous deux spécialistes des relations interpersonnelles (*).

Leur constat est sans appel : le conflit n’est pas une erreur, il constitue bien l’ordinaire de la vie sociale et intime. A contrario, la compréhension, la bonne entente sont des vrais états de grâce ou le fruit d’un énorme travail. Sur soi, d’abord. Car la rencontre, par définition, est une situation à risques, elle est porteuse d’enjeux. Sans parler du contexte dans lequel elle se déroule et qui peut engendrer de sérieuses tensions et dégénérer en vrais problèmes.

Prenez l’entreprise, LE lieu privilégié de tous les antagonismes, là même où, nous rappellent Dominique Picard et Edmond Marc, nous sommes nombreux à trouver une esquisse de squelette social. Une grande famille où tout le monde se serre les coudes ? Tout faux, rétorquent nos deux chercheurs. Un épicentre au sein duquel chacun cherche d’abord et avant tout à défendre ses propres intérêts. Souvent contre les autres. Et c’est bien pis encore quand, pour de multiples raisons, elle tangue. Le nid idéal pour la prolifération des conflits personnels. Bagarres, coups bas, altercations foisonnent. Car subitement, l’individu réoccupe une place centrale. Que vais-je devenir ? Va-t-on me jeter ? Qui va me  » piquer  » ma place ? Et mes privilèges ? Autant de peurs, de régressions et de fantasmes qui ont pour conséquence de  » psychologiser  » la situation. Plutôt que de braquer les spots sur le changement structurel mouvant.

Stratégies de pouvoir, poursuite des intérêts personnels, liens affectifs… Le trio infernal ? Un sacré défi, en tous les cas qui oblige, pour s’en sortir, à s’ouvrir aux autres (même au collègue qui nous a  » gentiment  » torpillé, dur, dur), tout en les tenant à distance. A ne pas dire tout ce que l’on pense, à se livrer avec discernement. Et puis, quand il nous reste quelques minutes de répit, à réfléchir calmement sur la source de l’échec de la relation. Sans oublier, aussi, de prendre un bon bol d’air. Parce que parfois  » trop is (vraiment) te veel « .

(*)  » Petit traité des conflits ordinaires « , Seuil, 255 pages.

Christine Laurent

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